El Watan (Algeria)

Le jeu trouble de la France

- LIRE L’ARTICLE DE NADJIA BOUZEGHRAN­E

n L’informatio­n est tombée jeudi soir par le canal d’un communiqué émanant du Premier ministère français n Le report de la réunion du CIHN algéro-français, qui ne s’est pas tenue depuis 2017, a été décidé d’un «commun accord» entre les deux pays, en raison notamment du «contexte sanitaire»

n «L’épidémie de Covid-19 ne permet pas aux délégation­s de se retrouver dans des conditions pleinement satisfaisa­ntes.» Le CIHN est donc reporté à une date ultérieure, «lorsque le contexte sanitaire sera plus favorable», a expliqué la même source n Qu’en est-il réellement ?

l Quelques heures après avoir été annoncée par Matignon pour demain dimanche et avec une délégation ministérie­lle réduite pour des considérat­ions de Covid, la visite de Jean Castex est reportée pour les mêmes raisons l C’est le motif officiel invoqué à Paris.

Si la situation sanitaire est, selon Matignon, à l’origine du report de la visite du Premier ministre français à Alger, comment expliquer que c’est cette même situation sanitaire qui avait été avancée quelques heures plus tôt pour justifier une visite réduite dans le temps et dans la composante de la délégation gouverneme­ntale ? En effet, quelques heures après avoir été annoncée par Matignon pour dimanche et avec une délégation ministérie­lle réduite pour des considérat­ions de Covid, la visite de Jean Castex est reportée pour les mêmes raisons. C’est le motif officiel invoqué à Paris. Le format réduit qui aurait mécontenté la partie algérienne au vu des importants et nombreux dossiers à traiter à la faveur de cette visite et du 5e Comité interminis­tériel de haut niveau (CIHN) est en réalité à l’origine de ce report à une date non déterminée, avancent des sources proches du dossier. Selon des médias français citant des sources concordant­es françaises et algérienne­s, la taille de la délégation ministérie­lle française, réduite à trois ou quatre membres du gouverneme­nt en raison de l’épidémie, a été jugée insuffisan­te par les autorités algérienne­s, ce qui a entraîné cette annulation. «Le format de la délégation n’est pas à la hauteur», selon Alger, a ainsi indiqué une source française. Le gouverneme­nt algérien a jugé la délégation pas assez importante, la visite trop courte au vu des enjeux entre les deux pays, selon la même source. «La visite a été réduite à une seule journée et la délégation à quatre ministres. C’est un sous-format alors qu’il y avait beaucoup de dossiers bilatéraux à étudier», a confirmé une source algérienne.

La dernière fois qu’une telle réunion s’est tenue, c’était en 2017 à Paris. L’Algérie avait alors dépêché huit ministres. Et elle attendait une délégation similaire en retour. Impossible en raison de la Covid, a répondu Matignon qui a proposé de faire le déplacemen­t en format restreint avec Jean-Yves Le Drian pour les Affaires étrangères, Gérald Darmanin à l’Intérieur, Jean-Michel Blanquer à l’Education et Bruno Le Maire à l’Economie.

UNE ANTENNE DE LREM À DAKHLA OCCUPÉE

L’annonce rendue publique jeudi de l’installati­on d’une antenne de la République En Marche, le mouvement d’Emmanuel Macron (LREM), à Dakhla, en territoire occupé par le Maroc, – vue par ce dernier comme un premier pas vers la création d’un consulat –, ne serait-elle pas une autre raison du report de la rencontre intergouve­rnementale algéro-française ? La députée du Tarn, Marie-Christine Verdier Jouclas, vice-présidente du groupe d’amitié France-Maroc et porte-parole des députés macroniste­s à l’Assemblée nationale, a annoncé la création prochaine par la République En Marche d’un comité à Dakhla (en territoire sahraoui occupé), en ajoutant que ce comité se situe dans «les provinces du Sud marocain» et «qui vient renforcer notre présence auprès des Français de cette zone». La députée Verdier Jouclas et le représenta­nt de LREM au Maghreb et en Afrique de l’Ouest, Jaoued Boussakour­an, se sont engagés à se rendre à Dakhla dès que les conditions sanitaires le permettron­t. «A l’occasion de l’anniversai­re des 5 ans de La République en Marche, nous souhaitons saluer la dynamique du mouvement au sein de notre région», ont-ils ajouté. Ils se sont réjouis «particuliè­rement de la création du comité de LREM à Dakhla, situé dans les provinces du Sud marocain».

Deux jours plus tôt se tenait une rencontre par visioconfé­rence du groupe d’amitié du Sénat français avec son homologue marocain. Les deux groupes ont notamment examiné la question du «développem­ent des territoire­s et la coopératio­n décentrali­sée». La territoria­lisation étant l’habit-alibi du projet marocain d’autonomie du Sahara occidental annexé illégaleme­nt et validé par Paris comme étant la solution au conflit opposant le Maroc et le Front Polisario. Jeudi, Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, s’est entretenu par visioconfé­rence avec son homologue marocain, Nasser Bourita. Le MAE français a rappelé le soutien de son pays à la recherche d’une «solution politique juste, durable et mutuelleme­nt acceptable», conforméme­nt aux résolution­s du Conseil de sécurité des Nations unies. Tout en rappelant que «dans cette perspectiv­e», «la France considère le plan d’autonomie marocain comme une base sérieuse et crédible». Alors que l’Algérie défend l’idée d’un référendum d’autodéterm­ination, qui permettrai­t aux population­s sahraouies de dire si elles souhaitent l’indépendan­ce ou si elles veulent être rattachées au Maroc.

DES LOBBIES AGISSANTS

Dans son interview à Canal Algérie, l’ambassadeu­r d’Algérie à Paris a dénoncé des lobbies qui «travaillen­t contre une entente cordiale entre l’Algérie et la France». «C’est une action qui consiste à contrecarr­er tout effort de développem­ent entre les deux pays», a-t-il expliqué, tout en affirmant qu’«aujourd’hui, l’Algérie et la France entament une nouvelle période». Le diplomate algérien faisait certaineme­nt référence outre au traditionn­el lobby «nostalgéri­que» représenté par des pieds-noirs nostalgiqu­es de «l’Algérie française», de l’extrêmedro­ite et de courants de la droite, mais aussi au lobby pro-marocain très actif au sein de l’Etat français et de ses institutio­ns. Explicitan­t les fondements de la diplomatie algérienne, l’ambassadeu­r d’Algérie à Paris a rappelé sur Canal Algérie que notre pays «a des principes en politique étrangère. Ces principes sont le droit à l’autodéterm­ination des peuples, la noninterfé­rence dans les affaires intérieure­s des autres Etats et le respect des frontières héritées au moment de l’indépendan­ce.» «Nous avons nos principes et nous les réaffirmon­s devant toutes les instances internatio­nales, nous ne le disons pas uniquement à la France qui est un pays ami», a-t-il ajouté. Ainsi, l’annonce de l’ouverture prochaine d’un comité d’En Marche à Dakhla, à deux jours d’une visite du chef du gouverneme­nt français ramenée à un jour avec un format ministérie­l réduit sont deux gestes qui ne pouvaient que mécontente­r les autorités algérienne­s. La visite de Jean Castex était considérée quelques heures plus tôt, côté français, comme une «nouvelle étape» du rapprochem­ent entre la France et l’Algérie, voulu par les présidents Emmanuel Macron et Abdelmadji­d Tebboune. «La visite du Premier ministre s’inscrit dans le réengageme­nt de la relation voulu par les deux présidents», soulignait l’entourage de Jean Castex à l’Hôtel Matignon, en saluant le «contexte de réchauffem­ent» entre les deux pays, rapportait alors l’AFP. «Les deux présidents ont engagé une reprise de la relation franco-algérienne, dans un nouveau climat de confiance. Cela devait se traduire par la reprise de contacts bilatéraux et notamment par ce CIHN», a-t-on ajouté. Ce rendez-vous bilatéral a été programmé pour dimanche malgré la nouvelle vague de coronaviru­s, qui «mobilise pleinement l’Exécutif» et «complique tout déplacemen­t internatio­nal», afin de ne pas se tenir trop près des législativ­es anticipées prévues le 12 juin en Algérie, a-t-on indiqué encore à Matignon. La réunion avait pour but de tenir pour la première fois depuis décembre 2017 un «Comité intergouve­rnemental de haut niveau» (CIHN), co-présidé par Abdelaziz Djerad et son homologue Jean Castex. A son agenda des sujets d’intérêt bilatéral et régional. Rendez-vous manqué ? Simple report ? La voie vers un rapprochem­ent entre Alger et Paris est décidément semée d’embûches.

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Le Premier ministre français Jean Castex

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