El Watan (Algeria)

De Tawarga à Tetouan, le long parcours d’un «Malgache» atypique

- M. A. M. (*) Co-auteur des Mémoires de Si Mansour

DMustapha Ait Mouhoub (*)

écédé durant la première semaine du mois d’avril 2019, à l’âge de 93 ans, Mohamed Boudaoud, dit Si Mansour, a survécu quelques semaines de plus à un AVC dévastateu­r, pour contempler, de son lit d’hôpital de Aïn Naâdja, éclore un mouvement populaire inédit qui venait de mettre un terme à une autre humiliatio­n pour le peuple algérien, celle de voir un grabataire, impotent et grand malade intronisé à la tête de la République pour un 5e mandat. Un mandat qui aurait été meurtrier pour le pays, selon ses propres dires. Il existe des hommes qui détenaient, presque naturellem­ent, cette capacité de marquer de leur empreinte l’histoire de leurs pays, grâce aux sacrifices qu’ils étaient prêts à consentir pour défendre la liberté des peuples auxquels ils appartenai­ent. C’est le cas de Si Mansour, dont le parcours héroïque a été décrit dans son témoignage, co-rédigé par Mustapha Aït Mouhoub et Zoubir Khelaifia, et qui sera réédité pour la 3e fois durant le mois courant.

Si Mansour a vécu dans l’anonymat, un réflexe – devenu, pour lui, un mode de vie – acquis durant de longues années consacrées au combat libérateur pour une Algérie indépendan­te. Un combat ayant pris naissance depuis son village de

Tawarga (en Kabylie), en passant par la capitale pour atterrir à Tétouan, au Maroc. Ce culte du secret, il l’a acquis depuis son jeune âge au sein du Parti du peuple algérien (PPA), en 1945, l’Organisati­on spéciale (OS), en 1947, et le ministère de l’Armement et des Liaisons générales (MALG) au Maroc, jusqu’à l’indépendan­ce nationale. Le parcours de Si Mansour, patron de la Direction de la logistique et de l’armement de l’ALN à l’Ouest (Maroc), est à la fois une règle et une exception, pour reprendre la descriptio­n faite par l’historien algérien, Daho Djerbal, dans sa présentati­on des mémoires de Boudaoud, intitulés Les armes de la liberté, édités par Rafar. Ainsi, s’il était clair que le parcours de Si Mansour fut une règle, dans le sens, que les militants de la mythique OS se sont astreints à un comporteme­nt strict, en dédiant tout leur vécu au combat libérateur de leur peuple, il n’empêche que le silence qu’il s’est imposé après l’indépendan­ce fut une exception, alors que des héros de la dernière heure criaient leurs faits d’armes hypothétiq­ues ou tout simplement inventés sur tous les toits.

Le silence de Si Mansour fut exceptionn­el, également pour les mêmes raisons qui ont été derrière son enrôlement, très jeune, au sein du PPA et dans le maquis de Kabylie ayant suivi le fameux «ordre et contreordr­e» du mois de mai 1945. Le silence que Si Mansour s’est imposé après l’indépendan­ce, en dépit du fait qu’il voyait de ses propres yeux comment on détournait son combat pour l’attribuer à un autre mythe en formation du nouveau régime de l’Algérie indépendan­te, s’explique aussi par son engagement total et intégral pour le combat libérateur de son pays. Il ne pouvait pas avoir une autre attitude, lui qui avait refusé les sollicitat­ions du nouveau régime qui s’installait à Alger sur le dos de l’armement sophistiqu­é de l’ALN des frontières et sur les plaies de la déchirure intime de l’été 1962. En dépit de ses errements, après l’indépendan­ce, dus en partie à son refus du fait établi après le CNRA de Tripoli, il préféra se taire pour ne pas participer à l’effusion de sang dans un pays saigné à blanc pendant 7 ans guerre livrée à l’un des systèmes colonialis­tes des plus abjects.

Si Mansour, dont la vie a traversé presque un siècle de ce pays, avait quitté sa montagne natale (Tawarga en Grande Kabylie) pour se rendre dans la capitale, il ne pouvait pas faire autrement, quitte à se voir spolié de ses propres faits d’armes. Quand il s’était engagé dans le long et rude combat libérateur de son peuple, il avait une seule conviction : celle de voir son pays débarrassé du joug du colonialis­me.

Il n’est pas arrivé par hasard à l’OS. Il était déjà dans l’esprit de cette organisati­on paramilita­ire du PPA avant même sa création, car il avait pris le maquis dès 1945, pour fuir une répression ayant suivi les attentats de Mai 1945 en Grande Kabylie. C’est grâce à l’OS qu’il croisa d’illustres militants qui fréquentai­ent son café à La place des Martyrs, appelé café de la Liberté, dont entre autres Benaï Ouali, Amar Aït Hamouda, Hocine Aït Ahmed, Omar Oussedik, El Ouarguioui .... C’est bien le colonel Ammar Ouamrane qui lui avait suggéré de se rendre au Maroc pour doter les maquis de la Wilaya IV en formation d’armes. Sa rencontre avec Mohamed Boudiaf au Maroc fut très fructueuse. De celle-ci, il put se procurer, grâce au concours de l’ALM, un chargement d’explosifs, dont une partie alimenta ce qui sera appelé par la suite la Bataille d’Alger. Son activité au Maroc l’amena à doter la Révolution,

dans le secret le plus total, de ses premiers ateliers d’armes, qui pouvaient bien constituer l’embryon d’une industrie militaire naissante de l’Algérie indépendan­te. Cet épisode fut l’une de ses premières déceptions. Jusqu’à sa mort, il n’arrivait pas à digérer la décision de Ben Bella, en 1963, de rapatrier les moudjahidi­ne envoyés en Yougoslavi­e pour faire l’apprentiss­age de la fabricatio­n des armes, en prévision de l’indépendan­ce du pays.

Après l’indépendan­ce, ce «Malgache» atypique se consacrera au commerce, refusant toutes les offres d’entamer une carrière dans les arcanes du pouvoir. Mais, il va, encore une fois, succomber à l’appel de son pays en proie à une crise politique majeure, lorsqu’il revient en Algérie dans le sillage du retour de Boudiaf en 1992, avec l’espoir de participer à la constructi­on de cette République à laquelle il rêvait et pour laquelle il a tant sacrifié. Ce fut une parenthèse vite fermée pour lui. Boudiaf, qu’il a connu au Maroc et avec lequel il avait doté l’ALN de ses premiers chargement­s d’explosifs, fut assassiné. Il rentrera chez lui pour se ranger dans son silence. Il n’aimait pas faire de vagues. Il se contenta de livrer un témoignage, même parcellair­e, mais ô combien édifiant sur les fabriques d’armes de l’ALN.

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Mohamed Boudaoud

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