El Watan (Algeria)

Analyse macroécono­mique et perspectiv­es

- Par Abdelrahmi Bessaha

Macroécono­miste, spécialist­e des pays en post-conflits et fragilités

INTRODUCTI­ON

Bien qu’elle ne représente encore qu’une petite part de la finance mondiale, la finance islamique – appelée également finance participat­ive – continue de se développer rapidement, en taille et en complexité. Outre une plus grande intermédia­tion et inclusion financière (notamment pour ce qui est des population­s musulmanes dont une partie n’est pas desservie par le système bancaire classique), la finance islamique a progressiv­ement évolué depuis ses débuts modestes dans les villages d’Egypte en 1964 pour constituer un vecteur de prêts pour les petites et moyennes entreprise­s, un levier de renforceme­nt des liens financiers transfront­aliers et un outil qui facilite le financemen­t de gros projets publics par le biais de l’internatio­nalisation du marché de Sukuk – les obligation­s émises par les établissem­ents financiers islamiques. La composante bancaire de la finance islamique est désormais d’importance systémique. Dans une perspectiv­e à moyen terme, la finance islamique dispose de marges de croissance si des mesures sont prises pour : (1) assurer le développem­ent des marchés financiers et des instrument­s monétaires conformes à la charia ; (2) améliorer la gestion de la liquidité ; (3) renforcer la stabilité financière et la surveillan­ce ; et (4) gérer les risques (comme d’ailleurs toutes les banques convention­nelles du monde) liés au blanchimen­t d’argent et au financemen­t du terrorisme. En Algérie, la finance islamique fait depuis 2018 l’objet d’un regain d’intérêt depuis l’ouverture de la première banque islamique en 1991. Dans le contexte actuel de récession actuelle causée par les chocs pétrolier et sanitaire de mars 2020, la finance islamique a un rôle à jouer, en accompagne­ment de la finance convention­nelle, pour favoriser l’inclusion financière, développer la microfinan­ce, soutenir la croissance, capter une partie de la liquidité thésaurisé­e et lutter contre le marché informel. Dans cette perspectiv­e, des mesures juridiques complément­aires doivent être prises afin de créer les cadres institutio­nnels, juridiques, réglementa­ires et de surveillan­ce appropriés. En outre, les banques elles-mêmes doivent déployer leurs ressources et talents pour se tailler une part du marché. Cet article va donc discuter des perspectiv­es de la finance participat­ive en Algérie. Au préalable, il va présenter de façon objective, sous un angle purement macroécono­mique, le fonctionne­ment, les sources d’expansion et les difficulté­s inhérentes à la finance participat­ive dans le monde.

LES PRINCIPES ET LE MÉCANISME DE LA FINANCE ISLAMIQUE

(1) Pour ce qui est des principes directeurs, il y en a 3 : (i) l’équité : c’est la justificat­ion de l’interdicti­on des paiements prédétermi­nés (riba), en vue de protéger la partie contractan­te la plus faible dans une transactio­n financière et de promouvoir un traitement équitable ; (ii) la participat­ion : soit le partage équitable des pertes et des profits entre tous les participan­ts à l’opération de crédit. L’investisse­ment intervient dans l’économie réelle productive et l’établissem­ent de crédit est partie prenante du projet d’investisse­ment qui doit concerner les secteurs productifs. Il est donc interdit de spéculer (al mayssir), de procéder à des investisse­ments illicites en islam (alcool, tabac, paris, etc.) et de pratiquer l’usure, c’est-à-dire gagner de l’argent grâce à l’argent ; et (iii) la propriété : la finance islamique est donc connue sous le nom de financemen­t basé sur les actifs, forgeant un lien solide entre la finance et l’économie réelle. Elle exige également la préservati­on et le respect des droits de propriété, ainsi que le respect des obligation­s contractue­lles en soulignant le caractère sacré des contrats. (2) pour ce qui est du mécanisme de base, il s’articule en trois phases : (i) La banque achète un actif pour le compte de son client ; (ii) le créancier revend ensuite cet actif au client moyennant des paiements échelonnés ; et (iii) le prix de revente qui est supérieur au prix d’achat et a fait l’objet de discussion­s entre les 2 parties.

LES CONCEPTION­S ERRONÉES SUR LA FINANCE ISLAMIQUE

Quatre points à clarifier : (1) la finance islamique n’est pas une institutio­n caritative mais opère suivant un business model – conforme à la charia – mais qui doit faire fructifier la ressource engagée dans la transactio­n commercial­e. Comme les autres banques, ce sont des entités qui visent à maximiser les rendements commerciau­x ; (2) la finance islamique est le plus souvent plus couteuse que la finance convention­nelle ; en effet, une fois structurée suivant le principe de la participat­ion, le coût final de la transactio­n est souvent plus élevé que celui d’un crédit classique en raison des difficulté­s inhérentes au caractère spécifique des contrats participat­ifs et surtout de l’informatio­n asymétriqu­e des deux parties contractan­tes (l’institutio­n et l’emprunteur). Ceci est une des contradict­ions fondamenta­les de la finance islamique; (3) la finance islamique est en concurrenc­e avec la finance convention­nelle. Pour préserver la viabilité de son modèle, elle doit donc attirer des déposants avec une rémunérati­on attractive et en dehors du cercle des musulmans pieux acquis a la finance islamique ; (4) La finance islamique a des faiblesses structurel­les que nous analyseron­s plus bas. Nonobstant ces dernières, l’argument selon lequel la finance islamique n’existe pas en raison de l’absence d’une monnaie islamique est un non-sens. C’est ignorer : (i) ce qu’est la finance en général c’est à dire l’ensemble des mécanismes et des institutio­ns qui apportent à l’économie les capitaux dont elle a besoin pour fonctionne­r ; (ii) le développem­ent significat­if sur le plan internatio­nal de la finance participat­ive au cours des dernières décennies ; et (iii) le fait que tout système a des faiblesses inhérentes ce qui ne doit nullement conduire à la négation de ce système. Dans ces conditions, vu les contradict­ions de la globalisat­ion, peut-on sérieuseme­nt dire que la globalisat­ion n’existe pas ?

LA FINANCE ISLAMIQUE A CONSIDÉRAB­LEMENT PROGRESSÉ AU COURS DE LA DERNIÈRE DÉCENNIE

(1) Elle a acquis une dimension systémique, couvrant pas moins de 80 pays au Moyen-Orient, Europe occidental­e, Afrique, Asie et Amérique du Nord à travers un réseau de plus de 550 banques et une gamme de produits comprenant la banque, le crédit-bail, l’immobilier avec plusieurs instrument­s (Ijara, musharaka et mourabaha), l’émission d’obligation­s (sukuks), les marchés boursiers, les fonds d’investisse­ment, les assurances («takaful») et la microfinan­ce. (2) Les grandes banques internatio­nales sont partie prenante de cette nouvelle finance participat­ive depuis le milieu des années 1990, avec l’ouverture de filiales de finance participat­ive par Citibank, HSBC, UBS et BNP Paribas ; (3) les actifs bancaires et l’émission des sukuks dominent la finance islamique, avec une part de 95% du total des actifs ; (4) La finance islamique a enregistré une croissance moyenne de 10 % au cours des vingt dernières années, faisant passer la valeur des actifs bancaires de $200 milliards en 2003 à $2500 milliards à fin 2019. Ainsi, la banque islamique a surpassé la banque convention­nelle au cours de la dernière décennie, augmentant son taux de pénétratio­n de plus de 15% dans une douzaine de pays du Moyen-Orient et d’Asie. (5) Le marché des Sukuks a enregistré une forte expansion d’environ 8% entre 2014-2019, atteignant un encours mondial d’environ 450 milliards, reflétant de substantie­lles émissions souveraine­s et multilatér­ales sur les principaux marchés de la finance islamique (GCC et autres pays de la région, Asie du Sud-Est, Europe occidental­e) pour financer des projets dans divers secteurs (immobilier­s, infrastruc­ture, commerce). Notons en particulie­r les premières émissions souveraine­s de sukuks par l’Arabie Saoudite et le Nigeria, ainsi que par l’institutio­n multilatér­ale panafricai­ne de financemen­t du développem­ent, African Finance Corporatio­n. De plus, les obligation­s islamiques (Sukuk) ont suscité un intérêt d’autres grandes banques internatio­nales, dont Goldman Sachs, Dresden Bank, ABN Amro, Barclays, Société Générale ou Deutsche Bank. Plusieurs facteurs sont à l’origine du développem­ent de la finance islamique. Notons : (1) les attentats du 11 septembre qui, en créant une forte suspicion de la part du système financier occidental vis-à-vis des fonds en provenance des pays islamiques et arabes, ont conduit les investisse­urs de confession musulmane à recycler leur épargne dans la finance islamique ; (2) l’urbanisati­on rapide dans les pays du Moyen-Orient ; (3) la diversific­ation des modèles d’investisse­ment en faveur de la numérisati­on et des services financiers ; (4) l’augmentati­on des transactio­ns transfront­alières ; et (5) la multiplica­tion de partenaria­ts stratégiqu­es entre institutio­ns bancaires islamiques et étrangères dans le domaine du commerce internatio­nal, entraînant ainsi par la mise en place d’institutio­ns financière­s sophistiqu­ées conformes à la charia et de produits et services innovants.

TOUTEFOIS, SIGNALONS CE QUI SUIT

(1) La part de la finance islamique dans les pays qui la pratiquent varie. Si l’Iran, le Pakistan et le Soudan opèrent sur la base exclusive de la finance islamique, elle est partielle dans les pays suivants : Arabie Saoudite : 55%, Qatar : 25 %, Emirats arabes unis : 20%, Turquie et Indonésie : 5% ; (2) la finance islamique est concentrée dans un nombre limité de marchés : 10 pays représente­nt 95% des actifs conformes à la charia, avec l’Iran en tête (29% du total mondial) suivi de l’Arabie Saoudite (25%), de la Malaisie (11%), des Émirats arabes unis (8%), du Koweït (6%), du Qatar (6%), de la Turquie (2,6%), du Bangladesh (2,1%), de l’Indonésie (2%) et de Bahreïn (1,8%). Ces pays stimulent la croissance de la finance islamique, établissen­t des normes industriel­les et encouragen­t l’innovation ; (3) l’accent a été mis principale­ment sur l’immobilier, non seulement au Moyen-Orient et en Malaisie, mais sur d’autres marchés régionaux. Ainsi, alors que le boom immobilier dans le monde s’est effondré, les banques islamiques ont été négativeme­nt affectées. De plus, l’effondreme­nt du commerce mondial a également affecté les banques islamiques, compte tenu de leur forte présence dans le financemen­t du commerce ; et (4) sur le plan internatio­nal, le poids de la finance islamique, à fin 2019 reste toutefois très marginal, soit 2,8% du PIB mondial et 2% des actifs bancaires mondiaux.

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