Les dessous d’une visite du président Saïed en Egypte
L Le président tunisien, Kais Saïed, est en visite en Egypte, pas très aimée par l’islamiste Rached Ghannouchi, président de l’Assemblée. Le sommet du pouvoir tunisien essaye de marquer des points, les uns contre les autres, derrière cette visite.
Rien ne va plus entre les trois présidents en Tunisie, ceux de l'Etat, Kais Saied, de l'Assemblée, Rached Ghannouchi, et du gouvernement, Hichem Mechichi. Et cette mésentente est devenue très visible. Hier, lors de la célébration de la Fête des martyrs, quelques heures avant son départ vers Egypte, le président Saied s'est même permis de taquiner Ghannouchi et Mechichi, en leur présentant un tableau du début du XXe siècle montrant une Tunisie alitée et un médecin lui prescrivant l'ordonnance, à savoir «un Parlement nationaliste respecté et un gouvernement responsable». La visite de Saied en Egypte est par ailleurs à comptabiliser dans les luttes du sommet de la sphère politique.
OBJECTIFS
Nul n'ignore que les islamistes d'Ennahdha, à leur tête Rached Ghannouchi, n'aiment pas le pouvoir égyptien et, surtout, le président Abdelfattah Al Sissi. Or, ce n'est pas le cas pour le président de la République, Kais Saied. Ce dernier, après des débuts marqués par des relations timides, le courant s'est très vite rétabli entre Saied et Al Sissi. Et voilà le Président tunisien en visite en Egypte. Ce qui a changé entre temps, c'est la détérioration des relations entre Kais Saied et le leader d'Ennahdha, Rached Ghannouchi, le président de l'Assemblée et pilier du gouvernement de Hichem Mechichi. Le président tunisien cherche désormais à nouer des liens forts avec les sphères hostiles aux Frères musulmans.
Plus encore, le président Saied a développé des liens solides avec l'émir du Qatar, Tamim Ben Hamad. Saied est parvenu à limiter les relations des islamistes tunisiens au sein de la principauté, à un point que Ghannouchi n'a pas pu aider le ministre tunisien des Finances, parti au Qatar à la recherche d'aides financières et rentré bredouille. Saied aurait refusé d'intervenir auprès de l'émir Tamim, qui cherche, lui aussi, à prendre ses distances avec les Frères musulmans à travers le monde. Le bruit court même que Saied va tenter de ressouder davantage les relations entre l'Egypte et le Qatar, qui ne sont plus au frigo. Le président tunisien va essayer de dégeler complètement ces relations, en essayant d'installer une plateforme anti-islam politique incluant le Qatar. C'est ce qu'assurent des sphères proches de la présidence tunisienne.
TENSIONS
La visite de Saied en Egypte vient à un moment très délicat en Tunisie, avec un gouvernement qui n'arrive pas à lever les fonds nécessaires pour le Budget 2021, auquel il manque près de six milliards d'euros. La Covid frappe fort l'économie et plombe économiquement les faibles. La délégation de la Banque mondiale est repartie insatisfaite de la Tunisie, dont les décideurs n'arrivent plus à tenir leurs engagements, comme ce fut le cas lors de la dernière intervention du FMI 2016-2019. Les solutions sont désormais rares devant le gouvernement, surtout lorsque les sphères du pouvoir s'entre-tuent ouvertement comme c'est le cas en ce moment. Les perspectives financières sont sombres pour le pays et sa population.
Les observateurs savent que Ghannouchi et Mechichi ont sollicité les Américains pour assister la sortie de la Tunisie sur le marché financier international, afin d'obtenir de l'argent à un coût raisonnable. Pour sa part, Kais Saied va solliciter les pays amis de la Tunisie, l'Algérie, l'Egypte, voire le Qatar et Abu Dhabi, dans le même objectif. Kais Saied donne la preuve de sa réussite à travers ce qui s'est passé en Libye, dont le nouveau pouvoir réussit, jusque-là, à merveille. Reste la question interne, Saied veut la résoudre avec les partenaires de la Tunisie, pour montrer ce dont il est capable aux Tunisiens, population et partis politiques. C'est pour cela que le président tunisien s'est permis de taquiner les deux autres présidents, qu'il n'a pourtant pas rencontrés depuis la réunion du Conseil supérieur de la sécurité, le 25 janvier, quand il avait averti qu'il n'allait pas valider le remaniement ministériel. Plus de deux mois plus tard, le courant ne passe toujours pas entre les trois hommes. Et la visite en Egypte n'est pas étrangère à tous ces calculs.