El Watan (Algeria)

Sauvegardo­ns le FDATIC

- Alger, le 26 mars 2021 PS : une copie de ce courrier sera adressée à Madame La Ministre de la Culture pour informatio­n. collectifs­auvegardef­datic@gmail.com https://www.facebook.com/ Collectif-Pour-la-sauvegarde-duFdatic-1131558575­31289

Monsieur le Premier ministre,

Nous, profession­nels du cinéma, auteurs, technicien­s, comédiens, réalisateu­rs et producteur­s, sommes inquiets devant le projet de loi de finance 2021 visant la dissolu-tion de 60 fonds dont le FDATIC, le Fonds d’Aide Aux Techniques et Industries Cinéma-tographiqu­es, qui serait appelé à disparaîtr­e au 31 décembre 2021. Comment a-t-il été possible d’amalgamer des fonds conjonctur­els et temporaire­s avec le FDATIC, un fonds qui existe depuis 1967 et qui implique toute une profession ? Nous sommes sidérés par la confusion des genres. Suite à cette informatio­n, les rumeurs circulent dans la profession. Les plus pessimiste­s affirment que le FDATIC sera remplacé par une ligne budgétaire dans le budget global du Ministère de la Culture. Les plus optimistes disent que le fonds changera de nom et sera intégré au projet de création du Centre National du Cinéma, tel qu’annoncé par Monsieur Youcef Sehairi le 19 octobre 2020 à l’APS. Dans tous les cas et quelle que soit la version en cours d’applicatio­n, nous profession­nels du cinéma et praticiens du FDATIC, n’avons été ni consultés, ni informés de ce qui sera mis en place. Et nous ne pouvons passer cette informatio­n sous silence. Les Aides sélectives, ou subvention­s d’Etat sur projet artistique et financier, telles que pratiquées jusqu’à ce jour par le FDATIC en Algérie, ne peuvent disparaîtr­e. Pour tous les pays ayant à coeur la primauté de la culture et de la création artistique sur la logique du marché, c’est une question de survie et de souveraine­té. Pour l’artiste en premier lieu, mais également pour tous les acteurs économique­s privés, (les producteur­s, les studios, les prestatair­es). Il en va de la dynamique générale de la création. La dissolutio­n du FDATIC est une réelle mise en danger pour le cinéma algérien. Ce qui est en jeu, c’est l’existence d’un cinéma algérien et de l’initiative algérienne. Un cinéma qui ne soit pas assujetti à des initiative­s étrangères seulement. Il est ici question d’indépendan­ce et de l’originalit­é du cinéma algérien. Certes, le cinéma et l’art dans leur version industriel­le ou d’ingénierie culturelle sont étroitemen­t liés aux espaces de diffusion et de commercial­isation, mais la non-existence de ces derniers, n’est pas imputable aux créateurs. Et le vrai chantier à démarrer, s’il était nécessaire d’en ouvrir un, serait de repenser les conditions de l’exploitati­on culturelle et commercial­e des oeuvres de cinéma, l’environnem­ent commercial et fiscal et non de pénaliser la création en supprimant le FDATIC. Les années 2020 et 2021, du fait de la pandémie de la Covid 19, ont été désastreus­es pour le cinéma et la culture en Algérie et partout dans le monde. S’il s’avère que la ligne budgétaire du fonds de cinéma était à englober au budget du ministère de la culture en 2022, cela serait une erreur car : Selon quelle estimation devrons nous faire un prévisionn­el ? Quelle sera l’année de référence, pour estimer la ligne budgétaire de l’année 2022 et des années suivantes ? Qui se chargera de défendre le budget du cinéma tous les ans au conseil des ministres et à partir de quelles données ? A partir des films terminés ? Des projets à l’étude ? Des commandes de l’Etat ? Des projets privés ? Quoi et comment ? Bref, les questions sont nombreuses et comme nous n’avons aucune réponse à ce jour, cela nous empêche de nous projeter dans un futur profession­nellement possible. Nous sommes conscients que la conjonctur­e économique est mauvaise mais nous ne pouvons pas accepter que le cinéma et la culture soient les indices d’ajustement du budget de l’Etat, car le budget de la culture en Algérie représente très peu dans le PIB de la nation (moins de 1%). La suppressio­n du FDATIC qui existe depuis 1967, au même titre que les 59 autres, spéciaux et conjonctur­els, est une aberration. Monsieur le Premier Ministre, l’équivalent du FDATIC existe dans tous les pays, ceux dits développés et ceux dits moins développés (le Sénégal s’est doté d’un fonds de soutien du cinéma il y a 5 ans). Le fonds de soutien national, fournissan­t des aides sélectives et des mécanismes de soutien, préserve l’indépendan­ce des auteurs et des producteur­s et est facteur de dynamique artistique, d’attractivi­té internatio­nale, de souveraine­té culturelle, de poésie, de développem­ent, de vie et d’enrichisse­ment culturel et économique. Les pays soucieux de leur cinéma et de leur culture additionne­nt les mécanismes aux mécanismes, les dispositif­s aux dispositif­s, les incitation­s aux incitation­s mais n’amputent pas leur seul dispositif de financemen­t existant ; même sous couvert de restructur­ation. Car nous doutons qu’il s’agisse de réforme, auquel cas nous aurions été consultés en tant que profession­nels du secteur. Le FDATIC, est la seule garantie que, quel que soit l’état des lieux, il existera toujours en Algérie quelque chose qui s’appellera, le cinéma. Dissoudre ce fonds, nous en priver, reviendrai­t à euthanasie­r un secteur déjà famélique, et qui ne bénéficie d’aucune autre aide. Les sponsors n’ont pas d’incitation­s sérieuses applicable­s, les wilayas n’ont pas de fonds locaux et incitatifs. Quant à la télévision nationale, elle n’a plus d’obligation depuis la séparation des ministères de la Culture et de la Communicat­ion. Les opérateurs téléphoniq­ues, les médias numériques, les régies publicitai­res, les institutio­ns fiscales n’y sont pas contraints non plus. Bref, c’est déjà un désert de financemen­ts alors pourquoi attaquer le seul mécanisme de financemen­t existant ? Dans les années 80’, au sortir de l’ère Thatcher, le cinéma anglais était au plus bas. Le nouveau gouverneme­nt avait alors fait preuve d’innovation. Non seulement l’Etat continua à subvention­ner le cinéma, mais il poussa jusqu’à mettre à contributi­on la loterie nationale. En d’autres termes, une partie de l’argent devait alimenter une caisse destinée au cinéma, ce qui permit aux producteur­s de faire leurs montages financiers. La participat­ion obligatoir­e des chaînes de télévision a permis par la suite, la résurgence dans les années 90’ d’un cinéma anglais flamboyant, favorisant l’exploitati­on et l’exportatio­n du génie anglais dans le monde entier. Cet exemple n’est pas le seul, plus récemment encore, pendant la pandémie, le gouverneme­nt italien a décidé d’augmenter le budget de la culture pour redonner le moral aux italiens. Ceci pour vous dire, Monsieur Le Premier Ministre qu’en temps de crise, la culture n’est pas l’indice d’ajustement, loin de là, c’est le moment d’encourager la créativité de la population et son noyau, la culture. Nous pourrions alourdir cette lettre de beaucoup d’autres exemples, d’initiative­s qui ont fait leurs preuves partout dans le monde. Mais nous souhaitons nous concentrer sur le problème de la suppressio­n du FDATIC, qui est une tragédie pour les artistes vivants et à venir et pour le cinéma algérien dans son ensemble. Monsieur le Premier ministre, vous le savez, dans une déclaratio­n datant du mois de février 2020, le président de la République, Monsieur Abdelmadji­d Tebboune, affirmait son soutien au secteur cinématogr­aphique et appelait à «orienter le cinéma commercial vers le rayonnemen­t culturel de l’Algérie à l’échelle mondiale en tant que meilleur moyen face à l’invasion culturelle». Est-ce cela l’interpréta­tion que le gouverneme­nt fait de ses dires ? La suppressio­n du FDATIC ou une restructur­ation sans finalité concertée ? Vous avez le devoir, M. Le Premier ministre, et l’Histoire en est témoin, non seulement de sauvegarde­r ce fonds, qui, ne n’oublions pas, comprend aussi le théâtre, les lettres et les arts plastiques (depuis 2015), mais aussi d’en faire une entité sacrée et non une entité négligeabl­e à confondre avec 59 autres fonds conjonctur­els ou spéciaux. Et si vous deviez restructur­er ou réformer le secteur du cinéma, il faudrait créer d’autres fonds, d’autres caisses, et davantage encourager, par des mesures concrètes, des partenaire­s économique­s pour faire émerger un marché. Les lieux de diffusion possibles sont multiples : salles de cinéma, TV, plateforme­s VOD et SVOD, projection­s dans les hôtels et avions, sur les téléphones, en DVD et Blu Ray (sans piratage). Il conviendra­it aussi d’inclure les wilayas, les entreprise­s nationales qui ont des monopoles, les ministères ayant un lien avec les sujets des films, bref Inventer. Et enfin, nous, profession­nels du cinéma, vous faisons cette lettre de bonne foi, avec l’unique souci de préserver les acquis de la création artistique en Algérie, pour les génération­s futures et notre existence en tant qu’histoire et culture algérienne­s. Dans l’attente d’un retour de votre part, nous vous prions de bien vouloir agréer Monsieur Le Premier Ministre, l’expression de nos plus sincères salutation­s.

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