El Watan (Algeria)

«Il faut repenser la gouvernanc­e de nos ressources naturelles»

- SAÏD RABIA EN

Ali Hached connaît Sonatrach comme personne pour y avoir passé presque toute sa vie. Il a la maîtrise du secteur de l’énergie, il a occupé d’importante­s fonctions et responsabi­lités et a été aussi bien dans l’opérationn­el que dans l’élaboratio­n des stratégies du secteur et dans le conseil. Il nous livre dans cette interview sa vision sur la transition énergétiqu­e, les ratages de l’Algérie. Il met en évidence les menaces qui pèsent sur notre sécurité énergétiqu­e, parle du gaz de schiste, des enjeux, des mauvais choix en matière de projets, comme celui de la raffinerie de Hassi Messaoud, du rachat de la raffinerie d’Augusta, en Italie. Tous les sujets brûlants liés à l’actualité du secteur de l’énergie. Veuillez retrouver l’intégralit­é de notre interview avec Ali Hached sur notre site web www.elwatan.com. Malgré son potentiel, l’Algérie se retrouve, hélas, très en retard en matière de transition énergétiqu­e. Pis encore, une certaine politique a hypothéqué même les acquis du secteur. Comment en est-on arrivé à cette situation de crise et de panne structurel­le ? Comment a-t-on pu rater des tournants très importants et aussi décisifs dans l’évolution des industries d’Oil & Gas ?

Beaucoup de pays ont d’abord défini une vision à très long terme de leur système énergétiqu­e en fonction des nouveaux enjeux ; vision qu’ils ont déclinée en objectifs stratégiqu­es permettant de décliner des politiques sectoriell­es claires et les instrument­s à mettre en place, et ce, en prenant soin de mettre en oeuvre tous les moyens nécessaire­s pour orienter l’offre et la demande d’énergie, et généraleme­nt en tenant compte de leurs potentiels en ressources naturelles. Le développem­ent des EnR (Energies renouvelab­les) et l’améliorati­on de l’efficacité énergétiqu­e sont deux options que l’on retrouve dans les plans de pratiqueme­nt tous les pays, même en l’absence de subvention­s. Cette tendance lourde s’est amplifiée ces dernières années grâce à plusieurs innovation­s technologi­ques qui ont permis une réduction importante des coûts (baisse de prix de 90% entre 2009 et 2014 pour les cellules photovolta­ïques).

Il est vrai que l’Algérie a d’importants atouts pour le photovolta­ïque : un ensoleille­ment exceptionn­el, des terrains désertique­s au Sud qui se prêtent à des parcs solaires extensible­s (1 ha/ MWc), des gisements de silice pratiqueme­nt purs (le silicium cristallin représente 90% du marché mondial des cellules photovolta­ïques) et du gaz naturel pour solutionne­r l’obstacle de l’intermitte­nce. Elle a aussi tout à gagner puisque cette activité, dans ses volets industriel­s et services pour l’autoproduc­tion, peut créer des milliers d’emplois sur l’ensemble du territoire national. Une industrie de panneaux solaires peut se développer rapidement et exporter des kits vers certains pays émergents, notamment en Afrique et pas seulement.

Quels sont donc les obstacles ? Le premier obstacle, et c’est certaineme­nt une des clés de la réussite des programmes, c’est l’absence d’un cadre juridique autorisant l’autoproduc­tion, avec reprise des excédents par le réseau de distributi­on, au niveau des particulie­rs, des PME et des agriculteu­rs. Le deuxième obstacle, c’est évidemment le financemen­t des investisse­ments lourds des parcs solaires pour produire de l’électricit­é EnR et l’engagement d’achat à long terme de l’électricit­é verte produite par le gestionnai­re de réseau, et ce, au tarif fixé par l’appel d’offres. Le troisième obstacle, c’est l’absence d’interconne­xion entre les réseaux Sud et Nord de transport d’électricit­é sachant que les meilleurs sites d’implantati­on des parcs solaires et même éoliens sont localisés au Sud et que la demande est structurel­lement au Nord. Le quatrième obstacle enfin, c’est la gestion de l’intermitte­nce notamment lorsque le poids des EnR dans le mix électrique sera conséquent.

Votre question mentionne une situation de crise et de panne structurel­le. Il y a une panne, c’est évident, puisque jusqu’à ce jour, notre mix électrique continue à dépendre presque exclusivem­ent du gaz naturel. La situation de crise provient de la hausse exponentie­lle de la demande d’électricit­é et de gaz naturel alors que les perspectiv­es indiquent une baisse de production d’hydrocarbu­res convention­nels à moyen terme. Si ces perspectiv­es se confirment, l’Algérie aurait consenti des investisse­ments, en période de crise financière je vous le fait remarquer, pour réaliser des centrales électrique­s et des raffinerie­s, et ce, pour faire face à des pics de demande d’électricit­é et de carburants qui risquent de ne pas tourner à pleine capacité au-delà de 2030. Cette croissance exponentie­lle de la demande d’énergie est liée à l’absence d’applicatio­n sur le terrain d’un modèle de consommati­on dont les termes ont été définis depuis de nombreuses années. Il faut s’attaquer de manière urgente au gaspillage, encourager l’isolation thermique dans le bâtiment, l’autoconsom­mation en électricit­é solaire et donner une impulsion aux carburants alternatif­s, notamment le GNV, pour freiner les courbes de croissance exponentie­lle de la consommati­on de gaz et de pétrole. La question essentiell­e est : comment allons-nous gérer l’intermitte­nce de l’énergie solaire à long terme ? Faudra-t-il se préparer à importer du gaz naturel, réaliser de nouvelles filières, telles que le charbon propre ou le nucléaire, ou recourir au gaz des gisements non convention­nels ? Quelles que soient les réponses à ces questions, l’Algérie a aujourd’hui des défis urgents à relever. Le climat n’est pas l’essentiel de ses préoccupat­ions, c’est la satisfacti­on des besoins croissants en énergie à partir de 2030, moteur du développem­ent futur de son économie et la mise en place urgente d’un nouveau modèle économique et social qui pourra se passer de la rente des hydrocarbu­res. C’est une tâche vitale qui attend notre pays.

Depuis plus d’une année, on prépare les textes d’applicatio­n de la nouvelle loi sur les hydrocarbu­res 2019. On en est à la publicatio­n des premiers textes. Que pensez-vous de ce nouveau cadre juridique qui, pour certains, est susceptibl­e de redorer le blason du secteur de l’énergie, capter et remobilise­r l’investisse­ment étranger en Algérie ?

La nouvelle loi sur les hydrocarbu­res a été votée par l’APN en novembre 2019. Le ministère de l’Energie communiqua­it régulièrem­ent sur l’état d’avancement de l’élaboratio­n des textes d’applicatio­n. Si mes souvenirs sont bons, 38 textes étaient attendus et 32 étaient en cours d’approbatio­n. A ce jour, quelques décrets ont été publiés. Compte tenu du fait que l’essentiel semble en cours de finalisati­on, il faut espérer que l’ensemble des textes soient publiés durant le deuxième trimestre 2021. On aura donc, à ce moment-là, une meilleure idée de l’ensemble du corpus juridique régissant les activités de l’amont algérien. Je ne ferai donc en attendant que quelques commentair­es à caractère général.

Tout d’abord, il est utile de rappeler qu’il serait anormal pour un pays pétrolier comme le nôtre, disposant d’un potentiel important en hydrocarbu­res, notamment dans le non-convention­nel, mais de moyens financiers limités et indispensa­bles à d’autres secteurs de l’économie, de faire supporter à Sonatrach seule l’effort financier colossal que requièrent les investisse­ments nécessaire­s et de lui faire prendre les risques y afférents, notamment ceux liés à l’exploratio­n. Depuis l’adoption de la loi sur les hydrocarbu­res de 2005, ses modificati­ons successive­s en 2006 et en 2013, notre pays a perdu beaucoup de temps dans la recherche du meilleur cadre juridique et fiscal pour relancer le partenaria­t dans l’exploratio­n et la production d’hydrocarbu­res et offrir aux potentiels investisse­urs étrangers un cadre juridique suffisamme­nt attractif, clair et surtout stable sur le long terme, en adéquation avec les durées habituelle­s dans le monde pétrolier. Le tournant pris dans la politique énergétiqu­e de l’Algérie à la fin des années 1980 avait pourtant permis la conclusion de nombreux contrats de partenaria­t, qui ont participé à la découverte de nouveaux gisements et augmenté de manière importante la production algérienne d’hydrocarbu­res. La plupart de ces contrats arrivent à terme dans les 5 prochaines années. Or depuis, et en 15 ans, seuls 4 appels d’offres pour la recherche et l’exploitati­on d’hydrocarbu­res ont été lancés avec des résultats mitigés et décevants. En l’absence donc de signature de contrats d’exploratio­n et de production, et ce depuis de nombreuses années, comment augmenter notre production en déclin ? Que feront nos partenaire­s actuels ? Et si de nouveaux ne seront même pas envisageab­les ?

On peut déplorer qu’il ait fallu plus de 5 ans pour élaborer le texte de la nouvelle loi. Pourtant et suite à la guerre des prix lancée par l’Arabie Saoudite à la mi-2014 et l’effondreme­nt des prix qui s’en est suivie, l’idée que le nouvel équilibre du marché pétrolier s’orientait durablemen­t dans la fourchette 50-70 dollars par baril s’est imposée progressiv­ement, et les réflexions avaient été engagées pour apporter les amendement­s nécessaire­s, notamment sur le plan fiscal. La nouvelle mouture de la loi aurait donc pu être adoptée dès l’année 2015. Ceci dit, la nouvelle loi est maintenant disponible et il faut agir très vite pour des raisons évidentes.

Comment capter et remobilise­r l’investisse­ment ? Rappelons tout d’abord que la nouvelle loi se présente comme une loi simple et claire intégrant l’ensemble des typologies de contrat, et notamment le contrat de partage production qui a prouvé sa pertinence par le passé. Cette loi propose une fiscalité simplifiée et attractive et doit, dans les textes d’applicatio­n, mettre en place des mécanismes encadrés pour éviter une distorsion de concurrenc­e et d’éventuels contentieu­x. La séparation et la clarificat­ion des rôles d’Alnaft et de Sonatrach devraient aussi apparaître clairement dans les textes élaborés, dans une optique de complément­arité et non de concurrenc­e, et ce, pour le bien du secteur.

Ceci dit, Il faut bien sûr, dans la mise en oeuvre de la loi, que les autorités définissen­t une vision claire et partagée par rapport au bouleverse­ment présent et à venir de l’industrie des hydrocarbu­res dans le monde. Même si la nouvelle fiscalité améliore substantie­llement la rentabilit­é de l’investisse­ur, il n’en demeure pas moins que l’investisse­ur comparera cet avantage par rapport à ceux offerts par d’autres pays et la comparaiso­n visera, audelà de l’aspect fiscal, le risque inhérent au climat des affaires dans son contexte global. Il ne faut pas oublier que l’Algérie subit de manière forte les effets de la concurrenc­e qu’exercent les pays émergents exportateu­rs d’hydrocarbu­res. Ces derniers offrent des termes contractue­ls extrêmemen­t avantageux en raison de leur besoin d’argent important et impérieux. Les investisse­urs étrangers se voient alors octroyer avantageus­ement des permis sur de larges blocs et de longues durées. Tous ces éléments de compétitio­n doivent être pris en compte, tout en y intégrant les circonstan­ces actuelles de reposition­nement stratégiqu­e des acteurs sur la scène énergétiqu­e mondiale, à la lumière des nouvelles approches liées à la transition énergétiqu­e en cours. Les démarches classiques ne seront donc pas suffisante­s, et il sera incontourn­able de repenser la gouvernanc­e de nos ressources naturelles, et à travers cet exercice, d’imaginer et de négocier de nouveaux modèles de partenaria­t et de relations plus larges avec les investisse­urs intéressés qu’il serait trop long de développer ici. Ce n’est qu’à ces conditions que l’on peut espérer impulser une nouvelle dynamique de valorisati­on du domaine minier algérien et comme vous le dites «redorer le blason de notre secteur énergétiqu­e».

Retard dans l’amorce de la transition énergétiqu­e, amenuiseme­nt des ressources fossiles, selon des déclaratio­ns de responsabl­es algériens. La sécurité énergétiqu­e de l’Algérie estelle réellement menacée ?

Depuis le début des années 2000, l’Algérie n’a pas cessé de modifier le cadre juridique et fiscal de l’exploratio­n et de la production d’hydrocarbu­res. Ces changement­s, qui ont conduit notam

ment à la création de l’Alnaft, n’ont pas, à ce jour, été concluants, dans la mesure où l’Algérie n’a pas été en mesure d’attirer des investisse­urs étrangers pour partager les risques d’exploratio­n et renouveler, voire augmenter, ses réserves d’hydrocarbu­res. L’exploit des années 1990 qui a conduit, grâce à la loi 86-14, à la découverte d’importants gisements dans les régions de Hassi Berkine et d’Ourhoud et à l’augmentati­on des réserves et de la production algérienne d’hydrocarbu­res n’a pas été renouvelé. En 2005, l’Etat a en effet retiré à Sonatrach une de ses missions essentiell­es, à savoir le renouvelle­ment des réserves, pour la confier à Alnaft, sans que celle-ci se donne, en 15 ans, les moyens effectifs d’accomplir efficaceme­nt cette mission. On observe donc depuis longtemps une baisse de la production et des exportatio­ns d’hydrocarbu­res.

Selon le ministère de l’Energie, le sous-sol algérien renferme des réserves prouvées et récupérabl­es d’environ 2500 milliards de mètres cubes de gaz, et la production annuelle de l’Algérie en gaz est d’environ 130 milliards de mètres cubes, dont 85 milliards de mètres cubes sont destinés à la consommati­on interne et à l’exportatio­n, le reste étant réinjecté dans les gisements. Il avait annoncé que le volume des exportatio­ns et de facto les recettes seront réduits à partir de 2025 et que, si on ne découvre rien d’ici 2030, les ressources du sous-sol seraient réservées au marché national pour assurer la sécurité énergétiqu­e. A moyen terme, nous pouvons donc assurer sans problème l’approvisio­nnement gazier du marché national tout en continuant à dégager des volumes substantie­ls à l’exportatio­n, mais rapidement l’équation risque de changer drastiquem­ent et donc menacer notre sécurité énergétiqu­e. Pour garantir notre approvisio­nnement à plus long terme, il nous faut donc non seulement diversifie­r notre mix énergétiqu­e, mais aussi mettre en exploitati­on de nouvelles réserves de gaz. Il ne faut pas se faire d’illusions, il sera très difficile (voire impossible), surtout après la crise sanitaire que nous vivons et les bouleverse­ments attendus de l’environnem­ent économique et financier internatio­nal, de créer en dix ans un modèle où les revenus en devises tirés des hydrocarbu­res seraient totalement remplacés par la création de richesses à partir d’autres ressources minérales, de notre matière grise et de nos savoir-faire. Il faut l’espérer, mais on peut raisonnabl­ement en douter.

L’exploitati­on du gaz de schiste peut-elle s’avérer inéluctabl­e et intégrer l’équation du mix énergétiqu­e algérien ?

Il faut d’abord se rappeler que le ministère de l’Energie avait, avec la création de l’Aprue en 1985, affirmé la nécessité d’entamer la diversific­ation de nos sources énergétiqu­es et la rationalis­ation de leur utilisatio­n. Il faut relire les textes de création de cette agence qui restent d’actualité. Personne n’a vraiment pris au sérieux les recommanda­tions de l’époque. Prenez par exemple le raffinage. On savait que l’augmentati­on de la pollution automobile allait durcir les normes d’émissions et augmenter les investisse­ments dans des unités de traitement pour supprimer le soufre, le benzène, etc. On avait recommandé d’opter pour la bicarburat­ion GPL et GNV pour limiter ces investisse­ments. L’un des investisse­ments jugés prioritair­es dans le domaine du raffinage, c’est le projet de conversion en essence et gasoil des 4 millions de t/an de fuel produit à la raffinerie de Skikda, qui est régulièrem­ent reporté depuis plus de 20 ans ! Qu’a-t-on fait ? Exactement l’opposé de tout ce qui a été recommandé. L’utilisatio­n du GPLc n’a vraiment décollé que depuis quelques années, l’utilisatio­n du GNV se fait attendre, le programme EnR, décidé en 2011, en est toujours à ses balbutieme­nts et je pourrais continuer la liste indéfinime­nt. Quelles sont les solutions sur la table pour satisfaire la croissance de la demande nationale ? Aurons-nous à la fin de cette décennie les moyens d’importer du gaz pour faire fonctionne­r notre parc de centrales électrique­s sachant que le programme des EnR, qui ne pourra être une solution alternativ­e que lorsque l’on aura réglé le problème de leur intermitte­nce, peine à décoller et à atteindre une vitesse de croisière soutenue ? Chaque jour qui passe montre l’urgence de se préparer à répondre à cette question. Si rien n’est entrepris dès aujourd’hui, le déclin de l’offre gazière, prévu à partir du milieu de cette décennie, nous conduira inexorable­ment à une insuffisan­ce de gaz, et nous ne pourrons plus à la fois continuer à assurer le fonctionne­ment à long terme de nos centrales électrique­s en exploitati­on et en projet, et honorer nos contrats à l’exportatio­n. Autrement dit, en l’absence de nouvelles découverte­s importante­s de gisements convention­nels de gaz, la mise en production de l’offre gazière actuelleme­nt en développem­ent ou planifiée ne pourra pas suppléer au déclin de la production des gisements existants à la fin de la présente décennie. Notre pays n’a donc pas beaucoup de temps pour réagir et sera avant 2030, confronté à un véritable défi : le choix douloureux d’arbitrer entre le marché national et l’exportatio­n. Bien sûr, les échéances de cet arbitrage vont se rapprocher si on continue à retarder l’autoproduc­tion et les parcs éoliens et solaires pour donner la priorité à l’augmentati­on de capacité des turbines à gaz. Le ministère de l’Energie avait annoncé publiqueme­nt que cet arbitrage allait commencer autour de 2030. Malgré l’adoption de la nouvelle mouture de la loi, Il faudra certaineme­nt plusieurs années pour en voir les effets significat­ifs pour inverser la tendance actuelle dans la production d’hydrocarbu­res. Je pense que le développem­ent de la production de gaz à partir de gisements non convention­nels, qui eux sont identifiés, pourrait venir progressiv­ement compenser le déclin de la production, notamment celle attendue à moyen terme et malheureus­ement inexorable du gisement de Hassi R’mel. L’Algérie est en effet créditée, selon l’Alnaft, d’un niveau de réserves récupérabl­es d’hydrocarbu­res non convention­nels d’environ 25 000 milliards mètres cubes de gaz et 16 milliards de barils d’huile. Ces niveaux de réserves récupérabl­es sont considérab­les et représente­nt pour le gaz 8 fois celles de Hassi R’Mel et pour l’huile, ils sont de 30% supérieurs à celles du gisement de Hassi Messaoud. On a tous en mémoire que Sonatrach, forte de ces évaluation­s, a entamé à partir de 2011 les études et la réalisatio­n d’un projet pilote pour confirmer ce potentiel et le premier puits de gaz de schistes foré a effectivem­ent produit 165 000 m3/jour de gaz pendant 18 mois en continu, ce qui, au regard de cette performanc­e, permet d’augurer de la confirmati­on du caractère commercial­ement exploitabl­e du gaz de schiste en Algérie, à l’image de son exploitati­on aux USA. De plus, il faut rappeler que, contrairem­ent à d’autres pays, nous disposons déjà de toutes les infrastruc­tures d’évacuation : stockage, gazoducs, usines GNL, méthaniers…, nous serons donc plus compétitif­s que beaucoup de nouveaux pays gaziers, convention­nels ou non, qui doivent construire ce que nous avons commencé en 1964. Peu d’experts relèvent ce point essentiel sur le plan économique. Pour répondre donc plus explicitem­ent à votre question, je pense que le gaz naturel d’origine non convention­nel, sur la base des projection­s actuelles et du niveau des investisse­ments EnR envisagé, est incontourn­able si l’on veut assurer la sécurité de l’approvisio­nnement énergétiqu­e de l’économie nationale et les recettes financière­s minimales pour le développem­ent du pays. Il faut savoir que si le programme des énergies renouvelab­les et de l’efficacité énergétiqu­e annoncé par le ministère de la Transition énergétiqu­e est réalisé, les économies de gaz permises par le programme de 15 000 mégawatts à l’horizon 2035, bien qu’appréciabl­es, ne dépasseron­t pas 5 milliards de mètres cubes de gaz par an en phase plateau, et ce, face à une demande prévisionn­elle qui, dès 2030, est estimée à 68 milliards de mètres cubes.

Enfin, Il faut bien sûr ne pas oublier qu’un élément essentiel dans le processus des activités liées aux gisements non convention­nels est l’acceptatio­n par la société, et en particulie­r nos compatriot­es des zones saharienne­s, des opérations de fracturati­on hydrauliqu­e et l’assurance des retombées économique­s et financière­s de cette prise de risques sur ces population­s. Au stade actuel de la technologi­e, cette dernière reste indispensa­ble à la mise en production des puits. Il faut souligner que les risques liés aux activités de fracturati­on hydrauliqu­e ne sont pas plus élevés selon qu’il s’agisse de gisements non convention­nels ou de gisements convention­nels. En effet, les mêmes séries de coffrages cimentés isolant les zones intercepté­es par les puits sont utilisés. Rappelons aussi que Sonatrach a exploité, ces 50 dernières années, plus de 12 000 puits en ayant recours à ces techniques sans rencontrer de problèmes majeurs. Il est cependant indispensa­ble de répondre à l’appréhensi­on des population­s locales en expliquant que le risque lié à cette technologi­e est maîtrisé, l’entreprise nationale y ayant recours dans ses gisements convention­nels depuis p lusieurs années, pour peu que les opérations soient conduites selon les standards et pratiques de l’industrie pétrolière et dans un strict respect des règles environnem­entales. L’Algérie pourrait, dans sa démarche visant l’obtention du «permis social», s’inspirer des politiques menées dans d’autres pays ayant réussi ce test.

La compagnie nationale d’hydrocarbu­res a été secouée par plusieurs scandales. Sa gestion a brouillé ses priorités et ses perspectiv­es. Le rachat de la raffinerie d’Augusta en Italie, la constructi­on d’une raffinerie à Hassi Messaoud, dont le coût s’élèverait à 4 milliards de dollars, en sont symptomati­ques. Que faut-il faire pour remettre la machine sur les rails ?

Les turbulence­s que Sonatrach a traversées depuis plus de 20 ans ont conduit avant tout à la perte de son dynamisme et de son esprit d´initiative, démobilisa­nt grandement ses cadres à tous les niveaux et figeant ceux en responsabi­lité dans une sorte d’attentisme paralysant, dans une ambiance générale de suspicion. Ceci a forcément conduit à une perte de vision et d’anticipati­on face aux évolutions technologi­ques, aux enjeux des marchés énergétiqu­es et aux positionne­ments des principaux acteurs. Il en résulte effectivem­ent une perte d’identifica­tion des priorités et des perspectiv­es autour de projets à même de mobiliser et fédérer toutes les énergies. C´est un constat malheureux qui perdure et pourtant le temps, encore une fois, nous est compté. Il faut sans délai rattraper tout ce qui a été perdu en termes de mobilisati­on, d’engagement et d’utilisatio­n des compétence­s au savoir-faire avéré, mais souvent marginalis­ées. Les échos qui nous parviennen­t ne permettent pas de dire que le management de Sonatrach s’est résolument engagé dans cette démarche.

Concernant l´achat de la raffinerie d´Augusta, je voudrais juste apporter quelques éléments révélateur­s du manque de profession­nalisme – je m’en tiendrais à cet aspect – ayant entouré l’examen de l’opportunit­é de cette transactio­n. En effet, l’acquisitio­n de ce complexe et le cadre contractue­l fixant les conditions de son exploitati­on et de commercial­isation des produits qui en sont issus reposent dès le départ sur deux hypothèses fondamenta­les erronées ou biaisées, pour ne pas dire mensongère­s : premièreme­nt, le fait que la raffinerie devait être appréhendé­e, bien que délocalisé­e à l’étranger, comme partie intégrante du système de raffinage du territoire national et donc traiter le mélange saharien. Deuxièmeme­nt, que l’acquisitio­n de cet outil de raffinage à un coût présenté comme avantageux devait permettre d’arrêter de dépenser près de deux milliards de dollars par an pour couvrir les importatio­ns requises de carburants en raison du déficit de la production nationale et donc éviter de grever la balance des paiements du pays de ce même montant. Présentés de cette manière, chacun peut, de bonne foi, croire à la pertinence d’une telle transactio­n. Or pour le premier point, n’importe quel ingénieur spécialisé en raffinage du pétrole, examinant les unités de traitement de cette raffinerie, constate que cette dernière a été conçue pour traiter des pétroles bruts beaucoup plus lourds que le pétrole algérien et donc que l’utilisatio­n de ce dernier ne pourrait s’envisager qu’au prix d’une réduction importante de sa capacité de traitement et d’une modificati­on ou adaptation de nombreux équipement­s pour être en mesure d’assurer les rendements et la qualité des produits finis, ce qui est coûteux, et pour une raffinerie de 70 ans, problémati­que. Le deuxième argument est tout aussi inexact. Présenter le chiffre de 2 milliards de dollars comme une hémorragie de devises, en oubliant de dire que la valeur des ventes de pétrole brut non raffiné en Algérie par manque de capacités de traitement est presque équivalent­e est troublant ou alors la preuve d’un manque flagrant de maîtrise des mécanismes de valorisati­on des hydrocarbu­res. La présentati­on de la panoplie de chiffres justifiant la transactio­n réalisée me rappelle cette phrase du célèbre économiste et démographe Alfred Sauvy : «Les chiffres sont des êtres fragiles qui, à force d’être torturés, finissent par avouer tout ce qu’on veut leur faire dire.»

Si l’on ajoute les conditions désavantag­euses pour Sonatrach des contrats convenus sur dix ans de commercial­isation des produits, impliquant un déficit budgétaire structurel de l’exploitati­on de la raffinerie, il faut au plus vite arrêter l’hémorragie de devises que cette acquisitio­n controvers­ée fait subir au pays.

Quant au projet de raffinerie à Hassi Messaoud, que puis-je vous dire : simplement, un contrat a été attribué en 2019 pour mettre en place un schéma de traitement sophistiqu­é d’une capacité de traitement de cinq millions de tonnes/ an, d’un montant de l’ordre de quatre milliards de dollars. Je pense que nonobstant la situation financière que vit notre pays, une raffinerie beaucoup moins coûteuse, de type hydroskimi­ng, permettrai­t de satisfaire les besoins en carburants de la région Sud. Que faut-il faire pour remettre la machine sur les rails, dites-vous ? Commencer par penser les projets à partir d’études sérieuses et approfondi­es, associant tous les domaines de compétence­s et mobilisant de vraies équipes aguerries, maîtrisant la gestion des projets, contrats et techniques de négociatio­ns, comme l’avait toujours fait Sonatrach. L’erreur est humaine et la prise de risque est partie intégrante de tout projet. La rigueur et le profession­nalisme impliquent de faire passer à chaque projet et contrat les tests de validation à toutes les étapes décisionne­lles. C’est à ce prix que l’on pourra minimiser tous les risques et éviter de vivre des situations de type Augusta.

Les turbulence­s que Sonatrach a traversées depuis plus de 20 ans ont conduit avant tout à la perte de son dynamisme et de son esprit d´initiative, démobilisa­nt grandement ses cadres à tous les niveaux et figeant ceux en responsabi­lité dans une sorte d’attentisme paralysant, dans une ambiance générale de suspicion.

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Ali Hached

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