«Il faut repenser la gouvernance de nos ressources naturelles»
Ali Hached connaît Sonatrach comme personne pour y avoir passé presque toute sa vie. Il a la maîtrise du secteur de l’énergie, il a occupé d’importantes fonctions et responsabilités et a été aussi bien dans l’opérationnel que dans l’élaboration des stratégies du secteur et dans le conseil. Il nous livre dans cette interview sa vision sur la transition énergétique, les ratages de l’Algérie. Il met en évidence les menaces qui pèsent sur notre sécurité énergétique, parle du gaz de schiste, des enjeux, des mauvais choix en matière de projets, comme celui de la raffinerie de Hassi Messaoud, du rachat de la raffinerie d’Augusta, en Italie. Tous les sujets brûlants liés à l’actualité du secteur de l’énergie. Veuillez retrouver l’intégralité de notre interview avec Ali Hached sur notre site web www.elwatan.com. Malgré son potentiel, l’Algérie se retrouve, hélas, très en retard en matière de transition énergétique. Pis encore, une certaine politique a hypothéqué même les acquis du secteur. Comment en est-on arrivé à cette situation de crise et de panne structurelle ? Comment a-t-on pu rater des tournants très importants et aussi décisifs dans l’évolution des industries d’Oil & Gas ?
Beaucoup de pays ont d’abord défini une vision à très long terme de leur système énergétique en fonction des nouveaux enjeux ; vision qu’ils ont déclinée en objectifs stratégiques permettant de décliner des politiques sectorielles claires et les instruments à mettre en place, et ce, en prenant soin de mettre en oeuvre tous les moyens nécessaires pour orienter l’offre et la demande d’énergie, et généralement en tenant compte de leurs potentiels en ressources naturelles. Le développement des EnR (Energies renouvelables) et l’amélioration de l’efficacité énergétique sont deux options que l’on retrouve dans les plans de pratiquement tous les pays, même en l’absence de subventions. Cette tendance lourde s’est amplifiée ces dernières années grâce à plusieurs innovations technologiques qui ont permis une réduction importante des coûts (baisse de prix de 90% entre 2009 et 2014 pour les cellules photovoltaïques).
Il est vrai que l’Algérie a d’importants atouts pour le photovoltaïque : un ensoleillement exceptionnel, des terrains désertiques au Sud qui se prêtent à des parcs solaires extensibles (1 ha/ MWc), des gisements de silice pratiquement purs (le silicium cristallin représente 90% du marché mondial des cellules photovoltaïques) et du gaz naturel pour solutionner l’obstacle de l’intermittence. Elle a aussi tout à gagner puisque cette activité, dans ses volets industriels et services pour l’autoproduction, peut créer des milliers d’emplois sur l’ensemble du territoire national. Une industrie de panneaux solaires peut se développer rapidement et exporter des kits vers certains pays émergents, notamment en Afrique et pas seulement.
Quels sont donc les obstacles ? Le premier obstacle, et c’est certainement une des clés de la réussite des programmes, c’est l’absence d’un cadre juridique autorisant l’autoproduction, avec reprise des excédents par le réseau de distribution, au niveau des particuliers, des PME et des agriculteurs. Le deuxième obstacle, c’est évidemment le financement des investissements lourds des parcs solaires pour produire de l’électricité EnR et l’engagement d’achat à long terme de l’électricité verte produite par le gestionnaire de réseau, et ce, au tarif fixé par l’appel d’offres. Le troisième obstacle, c’est l’absence d’interconnexion entre les réseaux Sud et Nord de transport d’électricité sachant que les meilleurs sites d’implantation des parcs solaires et même éoliens sont localisés au Sud et que la demande est structurellement au Nord. Le quatrième obstacle enfin, c’est la gestion de l’intermittence notamment lorsque le poids des EnR dans le mix électrique sera conséquent.
Votre question mentionne une situation de crise et de panne structurelle. Il y a une panne, c’est évident, puisque jusqu’à ce jour, notre mix électrique continue à dépendre presque exclusivement du gaz naturel. La situation de crise provient de la hausse exponentielle de la demande d’électricité et de gaz naturel alors que les perspectives indiquent une baisse de production d’hydrocarbures conventionnels à moyen terme. Si ces perspectives se confirment, l’Algérie aurait consenti des investissements, en période de crise financière je vous le fait remarquer, pour réaliser des centrales électriques et des raffineries, et ce, pour faire face à des pics de demande d’électricité et de carburants qui risquent de ne pas tourner à pleine capacité au-delà de 2030. Cette croissance exponentielle de la demande d’énergie est liée à l’absence d’application sur le terrain d’un modèle de consommation dont les termes ont été définis depuis de nombreuses années. Il faut s’attaquer de manière urgente au gaspillage, encourager l’isolation thermique dans le bâtiment, l’autoconsommation en électricité solaire et donner une impulsion aux carburants alternatifs, notamment le GNV, pour freiner les courbes de croissance exponentielle de la consommation de gaz et de pétrole. La question essentielle est : comment allons-nous gérer l’intermittence de l’énergie solaire à long terme ? Faudra-t-il se préparer à importer du gaz naturel, réaliser de nouvelles filières, telles que le charbon propre ou le nucléaire, ou recourir au gaz des gisements non conventionnels ? Quelles que soient les réponses à ces questions, l’Algérie a aujourd’hui des défis urgents à relever. Le climat n’est pas l’essentiel de ses préoccupations, c’est la satisfaction des besoins croissants en énergie à partir de 2030, moteur du développement futur de son économie et la mise en place urgente d’un nouveau modèle économique et social qui pourra se passer de la rente des hydrocarbures. C’est une tâche vitale qui attend notre pays.
Depuis plus d’une année, on prépare les textes d’application de la nouvelle loi sur les hydrocarbures 2019. On en est à la publication des premiers textes. Que pensez-vous de ce nouveau cadre juridique qui, pour certains, est susceptible de redorer le blason du secteur de l’énergie, capter et remobiliser l’investissement étranger en Algérie ?
La nouvelle loi sur les hydrocarbures a été votée par l’APN en novembre 2019. Le ministère de l’Energie communiquait régulièrement sur l’état d’avancement de l’élaboration des textes d’application. Si mes souvenirs sont bons, 38 textes étaient attendus et 32 étaient en cours d’approbation. A ce jour, quelques décrets ont été publiés. Compte tenu du fait que l’essentiel semble en cours de finalisation, il faut espérer que l’ensemble des textes soient publiés durant le deuxième trimestre 2021. On aura donc, à ce moment-là, une meilleure idée de l’ensemble du corpus juridique régissant les activités de l’amont algérien. Je ne ferai donc en attendant que quelques commentaires à caractère général.
Tout d’abord, il est utile de rappeler qu’il serait anormal pour un pays pétrolier comme le nôtre, disposant d’un potentiel important en hydrocarbures, notamment dans le non-conventionnel, mais de moyens financiers limités et indispensables à d’autres secteurs de l’économie, de faire supporter à Sonatrach seule l’effort financier colossal que requièrent les investissements nécessaires et de lui faire prendre les risques y afférents, notamment ceux liés à l’exploration. Depuis l’adoption de la loi sur les hydrocarbures de 2005, ses modifications successives en 2006 et en 2013, notre pays a perdu beaucoup de temps dans la recherche du meilleur cadre juridique et fiscal pour relancer le partenariat dans l’exploration et la production d’hydrocarbures et offrir aux potentiels investisseurs étrangers un cadre juridique suffisamment attractif, clair et surtout stable sur le long terme, en adéquation avec les durées habituelles dans le monde pétrolier. Le tournant pris dans la politique énergétique de l’Algérie à la fin des années 1980 avait pourtant permis la conclusion de nombreux contrats de partenariat, qui ont participé à la découverte de nouveaux gisements et augmenté de manière importante la production algérienne d’hydrocarbures. La plupart de ces contrats arrivent à terme dans les 5 prochaines années. Or depuis, et en 15 ans, seuls 4 appels d’offres pour la recherche et l’exploitation d’hydrocarbures ont été lancés avec des résultats mitigés et décevants. En l’absence donc de signature de contrats d’exploration et de production, et ce depuis de nombreuses années, comment augmenter notre production en déclin ? Que feront nos partenaires actuels ? Et si de nouveaux ne seront même pas envisageables ?
On peut déplorer qu’il ait fallu plus de 5 ans pour élaborer le texte de la nouvelle loi. Pourtant et suite à la guerre des prix lancée par l’Arabie Saoudite à la mi-2014 et l’effondrement des prix qui s’en est suivie, l’idée que le nouvel équilibre du marché pétrolier s’orientait durablement dans la fourchette 50-70 dollars par baril s’est imposée progressivement, et les réflexions avaient été engagées pour apporter les amendements nécessaires, notamment sur le plan fiscal. La nouvelle mouture de la loi aurait donc pu être adoptée dès l’année 2015. Ceci dit, la nouvelle loi est maintenant disponible et il faut agir très vite pour des raisons évidentes.
Comment capter et remobiliser l’investissement ? Rappelons tout d’abord que la nouvelle loi se présente comme une loi simple et claire intégrant l’ensemble des typologies de contrat, et notamment le contrat de partage production qui a prouvé sa pertinence par le passé. Cette loi propose une fiscalité simplifiée et attractive et doit, dans les textes d’application, mettre en place des mécanismes encadrés pour éviter une distorsion de concurrence et d’éventuels contentieux. La séparation et la clarification des rôles d’Alnaft et de Sonatrach devraient aussi apparaître clairement dans les textes élaborés, dans une optique de complémentarité et non de concurrence, et ce, pour le bien du secteur.
Ceci dit, Il faut bien sûr, dans la mise en oeuvre de la loi, que les autorités définissent une vision claire et partagée par rapport au bouleversement présent et à venir de l’industrie des hydrocarbures dans le monde. Même si la nouvelle fiscalité améliore substantiellement la rentabilité de l’investisseur, il n’en demeure pas moins que l’investisseur comparera cet avantage par rapport à ceux offerts par d’autres pays et la comparaison visera, audelà de l’aspect fiscal, le risque inhérent au climat des affaires dans son contexte global. Il ne faut pas oublier que l’Algérie subit de manière forte les effets de la concurrence qu’exercent les pays émergents exportateurs d’hydrocarbures. Ces derniers offrent des termes contractuels extrêmement avantageux en raison de leur besoin d’argent important et impérieux. Les investisseurs étrangers se voient alors octroyer avantageusement des permis sur de larges blocs et de longues durées. Tous ces éléments de compétition doivent être pris en compte, tout en y intégrant les circonstances actuelles de repositionnement stratégique des acteurs sur la scène énergétique mondiale, à la lumière des nouvelles approches liées à la transition énergétique en cours. Les démarches classiques ne seront donc pas suffisantes, et il sera incontournable de repenser la gouvernance de nos ressources naturelles, et à travers cet exercice, d’imaginer et de négocier de nouveaux modèles de partenariat et de relations plus larges avec les investisseurs intéressés qu’il serait trop long de développer ici. Ce n’est qu’à ces conditions que l’on peut espérer impulser une nouvelle dynamique de valorisation du domaine minier algérien et comme vous le dites «redorer le blason de notre secteur énergétique».
Retard dans l’amorce de la transition énergétique, amenuisement des ressources fossiles, selon des déclarations de responsables algériens. La sécurité énergétique de l’Algérie estelle réellement menacée ?
Depuis le début des années 2000, l’Algérie n’a pas cessé de modifier le cadre juridique et fiscal de l’exploration et de la production d’hydrocarbures. Ces changements, qui ont conduit notam
ment à la création de l’Alnaft, n’ont pas, à ce jour, été concluants, dans la mesure où l’Algérie n’a pas été en mesure d’attirer des investisseurs étrangers pour partager les risques d’exploration et renouveler, voire augmenter, ses réserves d’hydrocarbures. L’exploit des années 1990 qui a conduit, grâce à la loi 86-14, à la découverte d’importants gisements dans les régions de Hassi Berkine et d’Ourhoud et à l’augmentation des réserves et de la production algérienne d’hydrocarbures n’a pas été renouvelé. En 2005, l’Etat a en effet retiré à Sonatrach une de ses missions essentielles, à savoir le renouvellement des réserves, pour la confier à Alnaft, sans que celle-ci se donne, en 15 ans, les moyens effectifs d’accomplir efficacement cette mission. On observe donc depuis longtemps une baisse de la production et des exportations d’hydrocarbures.
Selon le ministère de l’Energie, le sous-sol algérien renferme des réserves prouvées et récupérables d’environ 2500 milliards de mètres cubes de gaz, et la production annuelle de l’Algérie en gaz est d’environ 130 milliards de mètres cubes, dont 85 milliards de mètres cubes sont destinés à la consommation interne et à l’exportation, le reste étant réinjecté dans les gisements. Il avait annoncé que le volume des exportations et de facto les recettes seront réduits à partir de 2025 et que, si on ne découvre rien d’ici 2030, les ressources du sous-sol seraient réservées au marché national pour assurer la sécurité énergétique. A moyen terme, nous pouvons donc assurer sans problème l’approvisionnement gazier du marché national tout en continuant à dégager des volumes substantiels à l’exportation, mais rapidement l’équation risque de changer drastiquement et donc menacer notre sécurité énergétique. Pour garantir notre approvisionnement à plus long terme, il nous faut donc non seulement diversifier notre mix énergétique, mais aussi mettre en exploitation de nouvelles réserves de gaz. Il ne faut pas se faire d’illusions, il sera très difficile (voire impossible), surtout après la crise sanitaire que nous vivons et les bouleversements attendus de l’environnement économique et financier international, de créer en dix ans un modèle où les revenus en devises tirés des hydrocarbures seraient totalement remplacés par la création de richesses à partir d’autres ressources minérales, de notre matière grise et de nos savoir-faire. Il faut l’espérer, mais on peut raisonnablement en douter.
L’exploitation du gaz de schiste peut-elle s’avérer inéluctable et intégrer l’équation du mix énergétique algérien ?
Il faut d’abord se rappeler que le ministère de l’Energie avait, avec la création de l’Aprue en 1985, affirmé la nécessité d’entamer la diversification de nos sources énergétiques et la rationalisation de leur utilisation. Il faut relire les textes de création de cette agence qui restent d’actualité. Personne n’a vraiment pris au sérieux les recommandations de l’époque. Prenez par exemple le raffinage. On savait que l’augmentation de la pollution automobile allait durcir les normes d’émissions et augmenter les investissements dans des unités de traitement pour supprimer le soufre, le benzène, etc. On avait recommandé d’opter pour la bicarburation GPL et GNV pour limiter ces investissements. L’un des investissements jugés prioritaires dans le domaine du raffinage, c’est le projet de conversion en essence et gasoil des 4 millions de t/an de fuel produit à la raffinerie de Skikda, qui est régulièrement reporté depuis plus de 20 ans ! Qu’a-t-on fait ? Exactement l’opposé de tout ce qui a été recommandé. L’utilisation du GPLc n’a vraiment décollé que depuis quelques années, l’utilisation du GNV se fait attendre, le programme EnR, décidé en 2011, en est toujours à ses balbutiements et je pourrais continuer la liste indéfiniment. Quelles sont les solutions sur la table pour satisfaire la croissance de la demande nationale ? Aurons-nous à la fin de cette décennie les moyens d’importer du gaz pour faire fonctionner notre parc de centrales électriques sachant que le programme des EnR, qui ne pourra être une solution alternative que lorsque l’on aura réglé le problème de leur intermittence, peine à décoller et à atteindre une vitesse de croisière soutenue ? Chaque jour qui passe montre l’urgence de se préparer à répondre à cette question. Si rien n’est entrepris dès aujourd’hui, le déclin de l’offre gazière, prévu à partir du milieu de cette décennie, nous conduira inexorablement à une insuffisance de gaz, et nous ne pourrons plus à la fois continuer à assurer le fonctionnement à long terme de nos centrales électriques en exploitation et en projet, et honorer nos contrats à l’exportation. Autrement dit, en l’absence de nouvelles découvertes importantes de gisements conventionnels de gaz, la mise en production de l’offre gazière actuellement en développement ou planifiée ne pourra pas suppléer au déclin de la production des gisements existants à la fin de la présente décennie. Notre pays n’a donc pas beaucoup de temps pour réagir et sera avant 2030, confronté à un véritable défi : le choix douloureux d’arbitrer entre le marché national et l’exportation. Bien sûr, les échéances de cet arbitrage vont se rapprocher si on continue à retarder l’autoproduction et les parcs éoliens et solaires pour donner la priorité à l’augmentation de capacité des turbines à gaz. Le ministère de l’Energie avait annoncé publiquement que cet arbitrage allait commencer autour de 2030. Malgré l’adoption de la nouvelle mouture de la loi, Il faudra certainement plusieurs années pour en voir les effets significatifs pour inverser la tendance actuelle dans la production d’hydrocarbures. Je pense que le développement de la production de gaz à partir de gisements non conventionnels, qui eux sont identifiés, pourrait venir progressivement compenser le déclin de la production, notamment celle attendue à moyen terme et malheureusement inexorable du gisement de Hassi R’mel. L’Algérie est en effet créditée, selon l’Alnaft, d’un niveau de réserves récupérables d’hydrocarbures non conventionnels d’environ 25 000 milliards mètres cubes de gaz et 16 milliards de barils d’huile. Ces niveaux de réserves récupérables sont considérables et représentent pour le gaz 8 fois celles de Hassi R’Mel et pour l’huile, ils sont de 30% supérieurs à celles du gisement de Hassi Messaoud. On a tous en mémoire que Sonatrach, forte de ces évaluations, a entamé à partir de 2011 les études et la réalisation d’un projet pilote pour confirmer ce potentiel et le premier puits de gaz de schistes foré a effectivement produit 165 000 m3/jour de gaz pendant 18 mois en continu, ce qui, au regard de cette performance, permet d’augurer de la confirmation du caractère commercialement exploitable du gaz de schiste en Algérie, à l’image de son exploitation aux USA. De plus, il faut rappeler que, contrairement à d’autres pays, nous disposons déjà de toutes les infrastructures d’évacuation : stockage, gazoducs, usines GNL, méthaniers…, nous serons donc plus compétitifs que beaucoup de nouveaux pays gaziers, conventionnels ou non, qui doivent construire ce que nous avons commencé en 1964. Peu d’experts relèvent ce point essentiel sur le plan économique. Pour répondre donc plus explicitement à votre question, je pense que le gaz naturel d’origine non conventionnel, sur la base des projections actuelles et du niveau des investissements EnR envisagé, est incontournable si l’on veut assurer la sécurité de l’approvisionnement énergétique de l’économie nationale et les recettes financières minimales pour le développement du pays. Il faut savoir que si le programme des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique annoncé par le ministère de la Transition énergétique est réalisé, les économies de gaz permises par le programme de 15 000 mégawatts à l’horizon 2035, bien qu’appréciables, ne dépasseront pas 5 milliards de mètres cubes de gaz par an en phase plateau, et ce, face à une demande prévisionnelle qui, dès 2030, est estimée à 68 milliards de mètres cubes.
Enfin, Il faut bien sûr ne pas oublier qu’un élément essentiel dans le processus des activités liées aux gisements non conventionnels est l’acceptation par la société, et en particulier nos compatriotes des zones sahariennes, des opérations de fracturation hydraulique et l’assurance des retombées économiques et financières de cette prise de risques sur ces populations. Au stade actuel de la technologie, cette dernière reste indispensable à la mise en production des puits. Il faut souligner que les risques liés aux activités de fracturation hydraulique ne sont pas plus élevés selon qu’il s’agisse de gisements non conventionnels ou de gisements conventionnels. En effet, les mêmes séries de coffrages cimentés isolant les zones interceptées par les puits sont utilisés. Rappelons aussi que Sonatrach a exploité, ces 50 dernières années, plus de 12 000 puits en ayant recours à ces techniques sans rencontrer de problèmes majeurs. Il est cependant indispensable de répondre à l’appréhension des populations locales en expliquant que le risque lié à cette technologie est maîtrisé, l’entreprise nationale y ayant recours dans ses gisements conventionnels depuis p lusieurs années, pour peu que les opérations soient conduites selon les standards et pratiques de l’industrie pétrolière et dans un strict respect des règles environnementales. L’Algérie pourrait, dans sa démarche visant l’obtention du «permis social», s’inspirer des politiques menées dans d’autres pays ayant réussi ce test.
La compagnie nationale d’hydrocarbures a été secouée par plusieurs scandales. Sa gestion a brouillé ses priorités et ses perspectives. Le rachat de la raffinerie d’Augusta en Italie, la construction d’une raffinerie à Hassi Messaoud, dont le coût s’élèverait à 4 milliards de dollars, en sont symptomatiques. Que faut-il faire pour remettre la machine sur les rails ?
Les turbulences que Sonatrach a traversées depuis plus de 20 ans ont conduit avant tout à la perte de son dynamisme et de son esprit d´initiative, démobilisant grandement ses cadres à tous les niveaux et figeant ceux en responsabilité dans une sorte d’attentisme paralysant, dans une ambiance générale de suspicion. Ceci a forcément conduit à une perte de vision et d’anticipation face aux évolutions technologiques, aux enjeux des marchés énergétiques et aux positionnements des principaux acteurs. Il en résulte effectivement une perte d’identification des priorités et des perspectives autour de projets à même de mobiliser et fédérer toutes les énergies. C´est un constat malheureux qui perdure et pourtant le temps, encore une fois, nous est compté. Il faut sans délai rattraper tout ce qui a été perdu en termes de mobilisation, d’engagement et d’utilisation des compétences au savoir-faire avéré, mais souvent marginalisées. Les échos qui nous parviennent ne permettent pas de dire que le management de Sonatrach s’est résolument engagé dans cette démarche.
Concernant l´achat de la raffinerie d´Augusta, je voudrais juste apporter quelques éléments révélateurs du manque de professionnalisme – je m’en tiendrais à cet aspect – ayant entouré l’examen de l’opportunité de cette transaction. En effet, l’acquisition de ce complexe et le cadre contractuel fixant les conditions de son exploitation et de commercialisation des produits qui en sont issus reposent dès le départ sur deux hypothèses fondamentales erronées ou biaisées, pour ne pas dire mensongères : premièrement, le fait que la raffinerie devait être appréhendée, bien que délocalisée à l’étranger, comme partie intégrante du système de raffinage du territoire national et donc traiter le mélange saharien. Deuxièmement, que l’acquisition de cet outil de raffinage à un coût présenté comme avantageux devait permettre d’arrêter de dépenser près de deux milliards de dollars par an pour couvrir les importations requises de carburants en raison du déficit de la production nationale et donc éviter de grever la balance des paiements du pays de ce même montant. Présentés de cette manière, chacun peut, de bonne foi, croire à la pertinence d’une telle transaction. Or pour le premier point, n’importe quel ingénieur spécialisé en raffinage du pétrole, examinant les unités de traitement de cette raffinerie, constate que cette dernière a été conçue pour traiter des pétroles bruts beaucoup plus lourds que le pétrole algérien et donc que l’utilisation de ce dernier ne pourrait s’envisager qu’au prix d’une réduction importante de sa capacité de traitement et d’une modification ou adaptation de nombreux équipements pour être en mesure d’assurer les rendements et la qualité des produits finis, ce qui est coûteux, et pour une raffinerie de 70 ans, problématique. Le deuxième argument est tout aussi inexact. Présenter le chiffre de 2 milliards de dollars comme une hémorragie de devises, en oubliant de dire que la valeur des ventes de pétrole brut non raffiné en Algérie par manque de capacités de traitement est presque équivalente est troublant ou alors la preuve d’un manque flagrant de maîtrise des mécanismes de valorisation des hydrocarbures. La présentation de la panoplie de chiffres justifiant la transaction réalisée me rappelle cette phrase du célèbre économiste et démographe Alfred Sauvy : «Les chiffres sont des êtres fragiles qui, à force d’être torturés, finissent par avouer tout ce qu’on veut leur faire dire.»
Si l’on ajoute les conditions désavantageuses pour Sonatrach des contrats convenus sur dix ans de commercialisation des produits, impliquant un déficit budgétaire structurel de l’exploitation de la raffinerie, il faut au plus vite arrêter l’hémorragie de devises que cette acquisition controversée fait subir au pays.
Quant au projet de raffinerie à Hassi Messaoud, que puis-je vous dire : simplement, un contrat a été attribué en 2019 pour mettre en place un schéma de traitement sophistiqué d’une capacité de traitement de cinq millions de tonnes/ an, d’un montant de l’ordre de quatre milliards de dollars. Je pense que nonobstant la situation financière que vit notre pays, une raffinerie beaucoup moins coûteuse, de type hydroskiming, permettrait de satisfaire les besoins en carburants de la région Sud. Que faut-il faire pour remettre la machine sur les rails, dites-vous ? Commencer par penser les projets à partir d’études sérieuses et approfondies, associant tous les domaines de compétences et mobilisant de vraies équipes aguerries, maîtrisant la gestion des projets, contrats et techniques de négociations, comme l’avait toujours fait Sonatrach. L’erreur est humaine et la prise de risque est partie intégrante de tout projet. La rigueur et le professionnalisme impliquent de faire passer à chaque projet et contrat les tests de validation à toutes les étapes décisionnelles. C’est à ce prix que l’on pourra minimiser tous les risques et éviter de vivre des situations de type Augusta.
Les turbulences que Sonatrach a traversées depuis plus de 20 ans ont conduit avant tout à la perte de son dynamisme et de son esprit d´initiative, démobilisant grandement ses cadres à tous les niveaux et figeant ceux en responsabilité dans une sorte d’attentisme paralysant, dans une ambiance générale de suspicion.