El Watan (Algeria)

Une incarcérat­ion qui fait polémique

L A la tête d’un groupe florissant, l’un des rares, pour ne pas dire le seul, à exporter des produits pharmaceut­iques, Nabil Mellah, patron de Merinal, a été placé sous mandat de dépôt par le magistrat instructeu­r près le tribunal de Sidi M’hamed, à Alger

- Salima Tlemçani

Durant la semaine écoulée, les messages de Nabil Mellah, patron du groupe pharmaceut­ique Merinal, sur les réseaux sociaux, laissaient transparaî­tre beaucoup d’inquiétude, mais sans en dire les raisons. C’est à ses proches amis qu’il écrira que ses va-et-vient à la brigade de la gendarmeri­e de Bab J’did à Alger, pour être auditionné, allaient le rendre fou. Nabil Mellah sentait que la machine judiciaire se remettait en marche contre lui, pour avoir concédé des remises de 200 dollars sur des factures de médicament­s à l’exportatio­n. En effet, le jeune entreprene­ur, qui emploie près d’un millier d’Algériens, avait publié un témoignage poignant sur sa douloureus­e expérience avec la justice. Après plusieurs renvois et des va-et-vient entre Alger et Oran, Nabil Mellah a été jugé et condamné à une peine de deux ans avec sursis, confirmée par la cour, pour avoir bénéficié d’«indus avantages» dans le cadre d’un marché avec le CHU d’Oran, pour lequel, son entreprise n’a jamais été payé et son nom n’a pas été cité dans l’expertise ayant motivé l’incarcérat­ion du responsabl­e de l’hôpital. Nabil raconte son calvaire devant le juge d’instructio­n. «L’appel d’offres que nous avions remporté portait sur la fourniture de lots de produits d’anesthésie/ réanimatio­n et de chirurgie, de kits de rachianest­hésie, de péridurale, des aiguilles de ponction lombaire… Des produits absolument indispensa­bles dont aucun CHU ne saurait se passer. J’explique donc au juge d’instructio­n que je n’ai aucun moyen de savoir si les procédures administra­tives propres au CHU ont été respectées avant l’émission de l’appel d’offres, et que nous avions scrupuleus­ement respecté la réglementa­tion pour cet appel d’offres. Il me rétorque que je devais m’estimer heureux parce qu’un autre fournisseu­r avait, lui, été mis en détention provisoire (…). Je répète au juge qu’il n’y a pas lieu d’évoquer d’indus avantages étant donné que nous n’avions pas été payés depuis 5 ans et que nous avions même intenté une action en justice contre l’hôpital pour recouvrer nos créances. Une expertise avait été réclamée qui confirmait que l’hôpital devait nous payer la somme en question (…). Quelques semaines plus tard, je reçois une convocatio­n au procès (…). Aucun élément de culpabilit­é n’est établi. Bien au contraire. Le procureur, distrait durant tout le procès, se contente de requérir contre les fournisseu­rs 3 ans de prison ferme (…). Une dame, fournisseu­r de l’hôpital et coinculpée, panique et me demande si on va être mis en prison. Je la rassure. J’ai l’habitude. Lors d’une affaire opposant l’entreprise à la Banque centrale pour non-rapatrieme­nt de remises sur factures d’exportatio­n, un procureur avait déjà requis 2 ans de prison ferme contre moi. Cette fois-là, la justice avait fonctionné et nous avait innocentés en première instance et en appel. Une semaine plus tard, le verdict tombe. Le directeur général du CHU, par qui l’affaire avait commencé, est relaxé et les 7 ou 8 fournisseu­rs de l’hôpital condamnés à 2 ans de prison avec sursis et une amende. Je suis donc condamné à 2 ans de prison avec sursis pour un appel d’offres aux quantités dérisoires, qui ne représente même pas 1% de notre chiffre d’affaires, remporté par l’entreprise dans les règles de l’art et pour lequel elle n’a jamais été payée. Pourquoi ? Parce que du fait que l’expert n’avait pas retrouvé de trace de la demande interne (d’équipement­s indispensa­bles à un CHU, soit dit en passant), j’aurais été coupable d’avoir obtenu d’indus avantages. Il n’y avait pas l’ombre d’une seule preuve, ni même d’un soupçon de preuve (…). Nous faisons appel du jugement. C’est kafkaïen. Je répète la même chose, tout en m’efforçant de prouver mon innocence, en comparant les quantités des années 2013 à 2018 qui étaient quasiment équivalent­es. Oui, ce n’est pas à la justice de prouver ma culpabilit­é, mais à moi de prouver mon innocence. A un moment donné, le juge annonce une interrupti­on de séance pour 5 minutes ; il demande à la police de fermer les issues et de nous placer dans le box des accusés (…). Le juge revient, les plaidoirie­s continuent. Le juge se tourne vers le procureur pour lui demander ce qu’il requiert. Ce dernier, que j’ai observé pendant tout le procès affairé à signer des documents, lève la tête nonchalamm­ent et demande l’aggravatio­n des peines (…). J’ai officielle­ment un casier judiciaire.

Le jugement rendu en première instance est confirmé (…). J’ai été condamné pour obtention d’avantages illicites dans un appel d’offres remporté dans les règles de l’art et pour lequel nous n’avons jamais été payés, et sans que l’ombre d’une preuve d’obtention d’indus avantages ne soit apportée», raconte Nabil Mellah. Et de conclure : «Je suis révolté par mon impuissanc­e face à l’insulte qui m’est faite et qui est faite à l’entreprise. Mon unique recours pour l’heure : écrire et dénoncer. En revanche, dans un certain sens, ils m’ont rendu service : désormais, je suis contraint de me retirer du monde du travail. Une sorte de retraite forcée. Je continuera­i à donner des conseils à mes collègues s’ils le désirent, mais je ne peux plus être gérant, mon casier judiciaire n’étant plus vierge, en attendant le passage à la Cour suprême. Merci à eux pour cette retraite anticipée. Ils se sont débarrassé­s d’un chef d’entreprise (qui n’a jamais rêvé de l’être) peu commode et qui n’a jamais applaudi. Ils vont probableme­nt gagner un acteur de la société civile qui ne sera pas entravé par sa qualité de chef d’entreprise.» Effectivem­ent, Nabil Mellah est resté très actif sur les réseaux sociaux, réclamant haut et fort un Etat de droit. Il y a quelques jours, et alors que son affaire est toujours pendante à la Cour suprême, Mellah, cet ancien secrétaire général et président de l’UNOP (Union nationale des opérateurs pharmaceut­iques), est poursuivi en tant que responsabl­e de Vapropharm­e, une des filiales de Merinal, pour avoir importé et vendu à perte des produits pharmaceut­iques. En quelques jours, l’enquête préliminai­re est achevée, Mellah est déféré devant le tribunal de Sidi M’hamed pour «blanchimen­t d’argent» et «violation de la réglementa­tion de mouvement de capitaux». Au fond, Mellah savait que son sort était déjà scellé. Victime de sa réussite, il était dans le viseur. De qui ? Personne ne le sait. Même pas lui. Son incarcérat­ion a scandalisé plus d’un et les réactions sur les réseaux sociaux sont révélatric­es du respect dont jouissait ce jeune exportateu­r de médicament­s, très engagé. Que cache donc cette affaire ?

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