Une brèche attentatoire aux droits constitutionnels
l L’article 200 de la loi organique, sur la base duquel de nombreuses candidatures à la députation ont été rejetées, fait polémique, parce qu’il confisque aux citoyens leur droit à la présomption d’innocence et à celui d’être éligible l Le Conseil constitutionnel a mis en garde sur la contradiction entre cet article et les dispositions de la Loi fondamentale, mais l’a considéré constitutionnel, «si le but du législateur n’est pas de mettre à l’écart les garanties de la Constitution» l Les professionnels du droit s’offusquent, alors que les tribunaux administratifs entérinent les décisions de rejet.
L’article 200 de la loi organique relative au régime électoral, sur la base duquel l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE) a fait tomber de nombreuses listes de candidature à la députation, fait polémique et suscite de lourdes critiques aussi bien de la classe politique que des hommes de loi. La disposition fixe huit conditions que le candidat doit réunir afin que son dossier soit validé, et c’est sur la base de la 7e que des listes de nombreux partis et indépendants ont été rejetées. En plus de ne pas avoir fait l’objet d’une condamnation définitive à une peine privative de liberté pour crimes ou délits et non réhabilité, à l’exception des délits involontaires, de justifier de la situation vis-à-vis de l’administration fiscale, exercé deux mandats de député, successifs ou séparés, et de ne pas être «connu de manière notoire pour avoir eu des liens avec l’argent douteux et les milieux de l’affairisme et pour son influence directe ou indirecte sur le libre choix des électeurs ainsi que sur le bon déroulement des opérations électorales».
Pour les plus avertis, cette condition repose sur des «suspicions et non pas des faits pour lesquels le candidat aurait pu être condamné. L’article peut être utilisé de manière abusive pour empêcher n’importe quelle personne d’accéder à son droit d’être éligible, consacré par la loi». Dans sa dernière déclaration, le président du Syndicat national des magistrats (SNM), Isaad Mabrouk, n’y a pas été avec le dos de la cuillère pour dénoncer cette disposition de la loi électorale, promulguée au mois de mars dernier par ordonnance. Il commence par affirmer que le Conseil constitutionnel «avait précédemment mis en garde sur la gravité de cette condition qu’il a lié à l’application de l’article 34 de la Constitution» et précise «il était plus approprié pour lui (ndlr, Conseil constitutionnel) de décider de l’inconstitutionnalité de cette condition, mais il ne l’a pas fait et l’a maintenue malgré l’alerte et le soupçon de violation de la Constitution». Dans son rapport sur le contenu de la loi électorale, le Conseil constitutionnel a relevé que l’application de l’alinéa 7 de l’article 200 est en contradiction avec l’article 34 de la Loi fondamentale qui énonce : «Les institutions ont pour finalité d’assurer l’égalité en droits et devoirs de tous les citoyens et citoyennes en supprimant les obstacles qui entravent l’épanouissement de la personne humaine et empêchent la participation effective de tous à la vie politique, économique, sociale et culturelle.» Le Conseil l’a d’ailleurs qualifiée de «confuse non seulement dans son application mais aussi en matière de respect des principes dictés par l’article 34 de la Constitution», avant d’ajouter : «Etant donné que ces faits prévus dans cet alinéa sont confus et très difficiles à prouver et peuvent entraîner une atteinte et une violation des droits des citoyens, pour n’avoir pas prévu les outils qui permettent de prouver les faits reprochés.»
Le Conseil constitutionnel a conclu : «Cependant, si le but du législateur n’est pas d’écarter les garanties prévues par l’article 34 de la Constitution, dans ce cas là, l’article 200 de la loi électorale et son alinéa 7 sont considérés constitutionnels, à condition de prendre en compte cette réserve.» Une conclusion troublante qui pourrait ouvrir la voie à toutes les dérives. Pour le président du Syndicat des magistrats, «l’administration et les services de sécurité se sont appuyés sur cet alinéa pour donner des avis négatifs à l’égard de certains candidats, et l’autorité indépendante des élections les a adoptés pour justifier le rejet de leurs dossiers». Il a posé des questions pertinentes : «Les candidats déboutés peuvent-ils avoir les rapports des services de sécurité et de l’administration pour se défendre devant le tribunal administratif en cas d’appel contre la décision de rejet de leur candidature ? Est-ce que le pouvoir judiciaire administratif a la capacité de contrôler la légalité des décisions de l’Autorité électorale indépendante et la véracité ou non des rapports des services de sécurité et d’administration ?» Il faut dire que les décisions de rejet de l’ANIE sont argumentées de manière intempestive. Nous pouvons citer les cas les plus révélateurs. «Le candidat est connu pour ses activités sur les réseaux sociaux. Ses publications sont très critiques à l’égard des hautes autorités du pays, en plus de ses activités au sein de ce qui est appelé le hirak, à son début. De ce fait, la candidature est rejetée.» Une autre explication ahurissante : «Candidat connu pour ses publications subversives et ses attaques contre la personne du Président à travers les réseaux sociaux. Dossier de candidature rejeté.» Les quelques candidats qui ont fait appel devant les tribunaux administratifs ont été déboutés et les raisons évoquées par les magistrats laissent perplexes. A Bordj Bou Arréridj, «le tribunal explique que les faits contenus dans l’alinéa 7 de l’article 200, sur lesquels repose le rejet de la candidature, ne peuvent être connus qu’à travers une enquête administrative, et qu’il n’est pas obligatoire de mentionner dans la décision de rejet les preuves sur lesquelles repose ce rapport. De ce fait, la décision de rejet est légale». Le président du Syndicat des magistrats a appelé les juges à «argumenter en détail leurs jugements et leurs décisions afin de garantir la sécurité judiciaire et de satisfaire le sens général de la justice, mais aussi à s’éloigner de la superficialité, de l’ambiguïté et du scepticisme controversés, tant que la décision judiciaire est supposée être le titre de la vérité et que les arguments qu’elle contient répondent clairement à toutes les questions possibles. Son résultat doit toujours être conforme à la loi et justifié. Il ne doit pas être une source de suspicion qui pourrait alerter les autres parties pour justifier sa remise en cause». Pour lui, «les juges administratifs doivent faire face aux appels, selon les règles de légalité, pour établir un système judiciaire administratif à même de protéger les libertés au lieu de protéger l’arbitraire de l’administration. Ils doivent toujours avoir à l’esprit que le type de corruption le plus laid et le plus grave est la corruption du pouvoir judiciaire, qui s’écarte de sa noble mission». Visiblement, l’article 200 de la loi électorale, notamment son alinéa 7 qui concerne aussi bien les postes électifs des APC, APW, députation et sénateurs, ouvre la voie à des dérives graves parce qu’il viole non seulement «le droit à la présomption d’innocence» consacré par la Constitution, mais aussi le droit «à une participation effective de tous les citoyens à la vie politique, économique, sociale et culturelle».