Eviter de copier les plans de riposte des pays développés
Les politiciens américains viennent de se mettre d’accord sur un plan de relance de plus de 2000 milliards de dollars pour endiguer les effets désastreux qu’a subis l’économie en 2020. Le pays avait connu la pire récession de son histoire depuis la crise de 1929. La production nationale avait chuté de 3,5% et environs 9 millions d’emplois furent détruits. Le taux de chômage historiquement bas de 3,4% fin 2019 atteignit 14,8% en avril 2020 pour redescendre à 6,7% en décembre 2020. La situation demeure difficile et l’économie a besoin d’être boostée par le gouvernement. Contrairement à l’Europe qui tergiverse trop, vu la nature du processus décisionnel, le gouvernement américain veut aller vite à l’essentiel et rétablir le plus rapidement possible les grands équilibres macroéconomiques. Ce n’est pas la première fois qu’un plan de sauvetage gigantesque fut conçu et exécuté par la première économie mondiale pour s’en sortir d’une situation désastreuse. La grande crise de 1929, la crise des Subprimes de 2007-2008 étaient toutes des occasions d’injecter des liquidités massives dans l’économie à travers des financements par emprunts ou une simple émission monétaire. Durant la crise des Subprimes, plus de 7000 milliards de dollars ont été injectés pour booster l’économie et la faire sortir d’une grave récession. Il faut dire que le pays bénéficie d’un avantage unique au monde. Les dollars créés par la FED (Banque centrale américaine) vont surtout alimenter les réserves de la plupart des pays du monde. En fonctionnant de la sorte, le monde évite que des pressions inflationnistes se forment aux USA. A un degré moindre, l’Europe bénéficie de cet avantage. L’euro commence de plus en plus à être adopté comme monnaie de réserve pour compenser les dépréciations du dollar. Mais le niveau d’utilisation de l’euro est encore loin du roi dollar.
LA DIFFÉRENCE EST DANS L’UTILISATION
Les USA vont injecter les 2000 milliards de dollars surtout dans la modernisation de leurs infrastructures. Et c’est là où l’erreur de copiage est interdite. Durant les quinze premières années de l’an 2000, beaucoup de nos économistes avaient induit en erreur le gouvernement algérien. Ils avaient à l’esprit le fameux plan de relance américain du New Deal pour contrecarrer la grande dépression des années vingt. Le gros des dépenses était allé booster la construction d’infrastructures. A l’époque, au début de la période lorsque j’avais insisté sur le fait d’éviter de copier les plans de relance des pays développés et donc de ne pas dépasser un seuil d’investissement de 20 à 25% dans les infrastructures. Dans un séminaire, les participants n’ont pas manqué de me faire remarquer que pourtant c’est ce que font toujours les pays développés : orienter plus de 80% des montants de relance aux travaux d’infrastructures. Par ailleurs, c’est ce que l’on enseigne aussi en macroéconomie (théorie keynésienne). Ils ont tout à fait raison de constater que c’est ce que l’on fait habituellement dans les pays développés. Mais ils n’ont pas imaginé que c’est ce qu’il ne faut pas faire dans une économie en voie de développement. Alors, ce plan de relance américain et bientôt européen vont aller dans le même sens. Une grosse relance pour moderniser les équipements publics. Ceci peut donner une autre mauvaise idée à nos décideurs. Il serait possible alors de mobiliser une partie des ressources restantes pour faire la même chose et alors on ferait une terrible erreur. J’avais expliqué qu’un léger correctif fut introduit dès 2015 ; d’arrêter le dernier plan de relance (de plus 380 milliards de dollars) avec des infrastructures peu utiles au niveau des hauts plateaux. Si on avait exécuté ce plan, nous aurions actuellement zéro réserve et notre situation ne serait pas très éloignée de celle du Venezuela. L’abandon de la stratégie du tout équipement fut salutaire. Nous avons exagéré dans la démarche au point où nous avons inondé le pays en projets d’infrastructures ; et au final, on a seulement réalisé 20 à 30% des équipements planifiés et avec beaucoup de malfaçons et des surcoûts exorbitants. C’est ce qui arrive lorsqu’un pays sous développé privilégie les infrastructures sur les fondamentaux.
L’INGÉNIERIE DES RÉFORMES
Il est fort connu qu’un schéma thérapeutique est spécifique à une pathologie. On ne donne pas la même ordonnance à un tuberculeux et à un cancéreux. Il en est de même pour les politiques de relance. On ne doit pas faire d’amalgame entre les deux types de contraintes que connaissent les différents pays. Les pays sous-développés ont des maux très différents de ceux des pays développés. Les premiers sont surtout concernées par des qualifications humaines insuffisantes, des institutions non économiques et des entreprises sous gérées, une organisation de l’Etat inappropriée et des déficiences criantes en matière d’entreprenariat. Le capital scientifique et le savoir-faire sont dérisoires. Les moyens sont mal orientés et mal valorisés. Ces pays-là ne savent pas transformer les ressources naturelles et financières en richesses durables. Il faudrait donc investir plus dans l’éducation, les qualifications humaines, le management, la débureaucratisation et autres. L’ingénierie des réformes est tout à fait différente dans cette catégorie de pays. L’explication est simple. Dans un pays développé, si l’Etat investi 10 millions de dollars pour construire des infrastructures, il aura pour 10 millions de dollars d’infrastructures. Dans un pays en voie de développement, un investissement de 10 millions de dollars produira deux à trois millions de dollars d’équipements. Le reste sera dilapidé. La situation est pire chez nous. Nous avons lancé des milliers de projets d’infrastructures sans qu’aucune institution éducative ou universitaire officielle ne forme les managers de projets. D’ailleurs, on les confond souvent avec des chefs de chantiers. Les entreprises qui les gèrent sont souvent structurées par fonction au lieu d’une organisation matricielle. La meilleure manière d’échouer pour une entreprise de réalisation c’est de s’organiser par fonctions. Pourtant, 95% de nos entreprises de réalisation ont adopté cette forme de structuration. Les pays développés ont les institutions et les personnes qualifiées nécessaires. Il est donc normal que les USA et l’Europe vont lancer de vastes programmes de modernisation des infrastructures. Ils ont les ressources humaines et les institutions qualifiées pour le faire. Il faut donc faire attention à ne pas les copier une fois de plus. Les conséquences seront encore une fois désastreuses pour notre pays.