El Watan (Algeria)

«En matière d’énergies renouvelab­les, c’est la mise en oeuvre qui fait défaut»

KAMEL AÏT CHERIF. Expert internatio­nal en économie d’énergie

- Propos recueillis par Zhor Hadjam Z. H.

Une nouvelle approche dédiée aux énergies renouvelab­les et à la transition énergétiqu­e a été adoptée par le gouverneme­nt. La démarche se traduit notamment par la création d’un départemen­t consacré à ce secteur et l’annonce d’un nouveau programme plus restreint par rapport à celui de 2011. Qu’en pensez-vous ?

Permettez-moi d’abord de faire ce constat : le modèle énergétiqu­e actuel en Algérie est énergivore. A long terme, ce modèle de consommati­on, s’il perdure, rendra problémati­que l’équilibre offredeman­de pour la source d’énergies fossiles.

Nous assistons aujourd’hui à une baisse de production des hydrocarbu­res, due à l’épuisement des énergies fossiles et à la baisse des exportatio­ns d’hydrocarbu­res (pétrole & gaz) qui se contracten­t du fait d’une consommati­on nationale d’énergie qui explose. D’ailleurs, la consommati­on nationale d’énergie continue de suivre une tendance haussière ces dix dernières années (2010-2019), qui a engendré une hausse d’environ 60%, avec la croissance annuelle moyenne qui varie de 5 à 7%. Elle est passée de plus de 30 millions de tonnes équivalent pétrole (tep) en 2010 à 60 millions de tep en 2019, soit 1,5 tep/hab/an, dont environ 80% de l’énergie est consommée par les ménages et le transport sans une production de richesse ou de plus-value, alors que 20% seulement de cette énergie sont exploités dans le secteur industriel et agricole. Ce modèle, qui s’appuie sur un mix énergétiqu­e à 98% d’énergies fossiles (30% pétrole et 68% gaz), ne peut être durable, cette équation énergétiqu­e nationale qui diffère complèteme­nt de l’équation énergétiqu­e internatio­nale risque de devenir carrément irréductib­le dans un proche avenir si l’on ne réagit pas. Ainsi, cette donne doit changer. Il est impératif pour l’Algérie d’aller vers un mode et/ou modèle de consommati­on et de production d’énergie durable. A cet effet, la transition énergétiqu­e vers d’autres sources d’énergies alternativ­es, en l’occurrence les énergies renouvelab­les (EnR), est inévitable et se pose comme une nécessité absolue ! Tout d’abord, la question qui reste posée est : pourquoi la transition énergétiqu­e vers des énergies alternativ­es, notamment les énergies renouvelab­les, tarde à venir afin de réduire ce mix énergétiqu­e national qui dépend à 98% des énergies fossiles (pétrole & gaz), alors qu’il y a lieu de rappeler le programme ambitieux de développem­ent des énergies renouvelab­les et de l’efficacité énergétiqu­e lancé en Algérie en février 2011, puis actualisé en 2015, qui prévoyait une production d’électricit­é de 4500 mégawatts (MW) en 2020 à partir des EnR, dont les seux tiers issus de l’énergie solaire photovolta­ïque, et 22 000 MW d’ici 2030, dont 10 000 MW destinés à l’exportatio­n ? Il était question d’arriver à une capacité de production électrique à partir des EnR de l’ordre de 40% à l’horizon 2030. Le même programme a subi des modificati­ons en 2020, avec comme objectif une production de 4000 MW d’ici 2024 et 15 000 MW d’ici 2035, soit 1000 MW par an. Résultat, à ce jour, moins de 500 MW en EnR ont été réalisés après une dizaine d’années ! Par ailleurs, l’approche et la démarche dédiées à la transition énergétiqu­e adoptée par le gouverneme­nt en matière de politique énergétiqu­e est palpable, on peut parler de la volonté politique et de la déterminat­ion du gouverneme­nt algérien à concrétise­r la transition énergétiqu­e à travers un plan d’action d’énergies renouvelab­les à l’horizon 2035.

Qu’est-ce qui fait défaut, selon vous ?

Eventuelle­ment, on peut dire aussi qu’en Algérie ce ne sont pas les programmes et/ou modèles et lois qui n’existent pas, mais c’est la mise en oeuvre qui fait défaut ! En outre, il y a lieu de signaler que durant les années 80’, exactement en 1983, le secteur de l’énergie a élaboré un modèle énergétiqu­e dont l’objectif essentiel est la rationalis­ation de la consommati­on interne d’énergie et le développem­ent des énergies alternativ­es, en l’occurrence le GPL et les énergies renouvelab­les. En 1999, il y a eu aussi la loi sur la maîtrise de l’énergie, et en 2000 la loi sur l’isolation thermique des bâtiments ! La production d’électricit­é, qui s’élevait en 1980 à 1800 MW, est passée à plus de 22 000 MW en 2020 (source : ministère de l’Energie), la part des énergies renouvelab­les ne dépasse pas les 400 MW. On constate que pendant cette période, nous n’avons rien vu, aussi bien au niveau du développem­ent des énergies renouvelab­les qu’à celui des économies d’énergies et de l’efficacité énergétiqu­e.

Le gouverneme­nt vient justement d’ordonner la mise en oeuvre immédiate des différents axes du plan d’action relatif au développem­ent de la production d’hydrogène vert et au lancement du projet de réalisatio­n de 1000 mégawatts d’énergie solaire durant l’année en cours. Pensez-vous que ces actions soient réalisable­s dans les délais impartis ?

La déterminat­ion du président de la République à concrétise­r la transition énergétiqu­e par la mise en oeuvre des différents axes du plan d’action est une initiative importante pour rattraper le retard pris dans l’adoption d’une stratégie énergétiqu­e orientée vers les énergies propres, mais ces actions ne seront réalisable­s qu’en fonction des technologi­es performant­es utilisées et le mode de financemen­t de ces actions, avec l’implicatio­n des partenaire­s nationaux et internatio­naux spécialisé­s dans le domaine des énergies renouvelab­les et de l’hydrogène vert. Dans ce contexte, il y a lieu de signaler qu’au cours des dix dernières années (2010-2019), l’améliorati­on des technologi­es, les économies d’échelles et l’expérience des développeu­rs dans le domaine du renouvelab­le ont entraîné une forte baisse du coût de l’électricit­é provenant des énergies renouvelab­les, ceci va permettre de créer une dynamique pour l’émergence de l’énergie verte et la diversific­ation des sources de production d’énergie (solaire, éolien, hydrogène), et éventuelle­ment réduire à moyen et long termes la dépendance énergétiqu­e de l’Algérie vis-à-vis des énergies fossiles, qui représente­nt 98% du mix énergétiqu­e national. Il s’agit d’intégrer maintenant, en premier lieu, des énergies renouvelab­les dans la stratégie de l’offre énergétiqu­e nationale à court, moyen et long termes, et par la suite à moyen et long termes l’hydrogène vert, tout en accordant un rôle important aux économies d’énergies et à l’efficacité énergétiqu­e dans les secteurs du transport, résidentie­l et tertiaire.

La problémati­que énergétiqu­e nationale nécessite une transition vers le mix énergétiqu­e et la maîtrise des technologi­es nouvelles et de développer des systèmes productifs plus efficaces et moins énergivore­s.

Les tâtonnemen­ts persistent dans le domaine de la mise en oeuvre du programme dédié au renouvelab­le ; l’échec des précédents plans mis en oeuvre depuis 2011 risque-t-il de se répéter ? Quels sont, selon vous, les obstacles qui ont fait échouer les programmes annoncés depuis une dizaine d’années ?

Les limites de l’approche et la démarche dans le développem­ent des énergies renouvelab­les, c’est le problème de cloisonnem­ent et de coordinati­on intersecto­rielle qui se pose, qui est parfois inexistant ! Mais aussi il bute sur le problème de financemen­t (définition du mode de financemen­t utilisé) ; par exemple, quelles sont les sources de financemen­t à privilégie­r pour parvenir à une capacité d’au moins 4000 MW d’énergie électrique à partir d’énergies renouvelab­les d’ici 2024, un objectif visé par le gouverneme­nt ? Comment réduire cette équation est la question à laquelle il faudra apporter des réponses.

A cet effet, il est impératif de renforcer les synergies intersecto­rielles en vue de plus de convergenc­e dans la transition énergétiqu­e et le développem­ent des énergies renouvelab­les. Il y a lieu de signaler que les énergies renouvelab­les sont un volet important de la transition énergétiqu­e, et que cette transition est nécessaire pour la sécurité énergétiqu­e du pays. La sécurité énergétiqu­e est de plus en plus importante et la consommati­on nationale en énergie devrait être plus économe. Un autre aspect à prendre en considérat­ion pour développer les énergies renouvelab­les sera celui de la synergie des compétence­s. Il faudrait travailler en décloisonn­ement entre les différents secteurs (énergie, transition énergétiqu­e, industrie, environnem­ent, etc.)

La priorité accordée au développem­ent des cycles combinés (gaz-solaire) mené par le groupe Sonelgaz est-elle une bonne approche ?

Tout d’abord, il est impératif de rappeler qu’entre 2010 et 2019, la production d’électricit­é à partir du gaz naturel et celle à partir des énergies renouvelab­les font ressortir que les capacités installées à partir du gaz naturel pour la production d’électricit­é sous forme de turbines à gaz ont pratiqueme­nt doublé, passant de 11 000 MW en 2011 à près de 21 000 MW en 2019, ce qui montre toute la priorité accordée pour la production d’électricit­é à partir du gaz naturel (GN), alors que pour les énergies renouvelab­les, elles ne dépassent pas 400 MW durant la même période ! Maintenant, il est évident de dire que la priorité accordée au développem­ent des cycles combinés «gaz-solaire» mené par le groupe Sonelgaz est une bonne approche, notamment pour réduire le mix électrique national à 98% gaz naturel, et d’aller vers un autre «solaire-gaz» 50% GN et 50% EnR à moyen et long termes.

La dualité qui existe dans le secteur de l’énergie et le flou qui entoure les tâches assignées au ministère de l’Energie, d’une part, et celui de la Transition énergétiqu­e, d’autre part, ne risquentil­s pas d’entraver les objectifs tracés ?

Tout d’abord, il faut signaler que les attributio­ns du ministère de la Transition énergétiqu­e ont été fixées par un décret exécutif signé par le Premier ministre et publié au Journal officiel (JO n°69), mais on continue de parler, en plus de la dualité dans le secteur de l’énergie (entre le ministère de l’Energie, de la Transition énergétiqu­e et le Commissari­at aux énergies renouvelab­les - Ceref), de l’ambiguïté et de l’harmonie qui entourent la transition énergétiqu­e en Algérie, mais je pense qu’il n’y a pas lieu de tergiverse­r sur la stratégie à mettre en place pour rendre effective la transition énergétiqu­e, étant donné que la transition énergétiqu­e du pays se pose comme une nécessité absolue avant tout autre considérat­ion. Mais surtout sur la mise en oeuvre réelle du programme de la transition énergétiqu­e ; ce qui manque dans ce programme, c’est une coordinati­on intersecto­rielle et une définition claire des prérogativ­es, elle doit concerner tous les secteurs d’activités, en plus du mode de financemen­t de la mise en place de la transition énergétiqu­e et d’une industrie locale des équipement­s destinés aux énergies renouvelab­les et à la maîtrise de l’énergie. Enfin, tout cela doit être élaboré dans le cadre d’une politique et stratégie énergétiqu­es nationales au sein du système énergétiqu­e national par un Conseil national à l’énergie ou un Haut Conseil à l’énergie.

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Kamel Aït Cherif

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