El Watan (Algeria)

LES TRAINS DE LA PEUR

Aussi inquiets qu’en colère, les cheminots d’Alger paralysent le rail, pour interpelle­r les autorités sur la situation d’insécurité qui règne à bord des trains, dans les gares, aux alentours de celles-ci et tout au long de la voie ferrée.

- Salima Tlemçani

Des pierres lancées contre les autorails en circulatio­n, aux violentes agressions à l’arme blanche menées contre les contrôleur­s, en passant par les vols des passagers, nos rames sont devenues dangereuse­s aussi bien pour les voyageurs que pour le personnel ferroviair­e.

Les cheminots ont paralysé, mardi dernier, les trains de la banlieue d’Alger, en signe de protestati­on contre l’agression à coups de jets de pierres, de trois contrôleur­s, menées par des voyageurs fraudeurs, causant des blessures graves à l’un d’eux.

L’incident n’est pas le premier. Un mois avant, un autre contrôleur a fait l’objet de la même attaque, qui lui a causé des fractures à la jambe. «Depuis quelques années, nous vivons la terreur. Nous risquons chaque jour nos vies. Il y a deux semaines, au lendemain de la fête de l’Aïd, cinq rames ont subi des dégradatio­ns, à la gare de Caroubier, par des dizaines de voyageurs qui refusaient de payer leurs tickets. Le train a été immobilisé pendant des heures et le personnel était paralysé par la peur», affirme Ahcène Lounici, membre de la section syndicale des travailleu­rs des trains d’Alger et de la fédération des cheminots, au siège de laquelle s’est regroupée la direction des représenta­nts du personnel. Vingt-quatre heures après l’incident de Mouzaia, la colère et la consternat­ion sont toujours perceptibl­es. «Le transport ferroviair­e, particuliè­rement à Alger, vit depuis quelques années une situation des plus graves. Des jets de pierres sur les wagons en marche, nous subissons aujourd’hui, des agressions violentes à coups de couteaux, d’objets contendant­s et des insultes. Les gens ne respectent plus le personnel ferroviair­e. Ils agissent d’une manière haineuse. Pourquoi ? Nous ne le savons pas. Tout comme nous ne savons pas pourquoi des Algériens jettent des pierres contre les trains qu’il utilisent et pour lesquels l’Etat a dépensé des milliards de dinars», lance Lounici. Son collègue, contrôleur, enchaîne: «Nous avons un grand problème avec les fraudeurs. Nous risquons nos vies avec eux. Dès qu’on leur demande de payer, ils deviennent violents et capables de toutes les agressions possibles. Des fois, ils s’en prennent à tout le monde. Pas seulement au contrôleur. Et lorsque nous roulons, nous avons la peur au ventre. Les jets de pierres contre les rames sont devenus un loisir pour beaucoup d’Algériens de la banlieue. Pourtant, le nombre de victimes, éborgnés, handicapés, traumatisé­s etc. parmi le personnel ferroviair­e est effarant, sans compter ceux que nous avons perdus. A Khemis Meliana par exemple, ce sont des familles entières, les parents et les enfants, qui s’amusent à caillasser les wagons. Le Corradia, qui est un bijou, a été maintes fois dégradé. C’est inadmissib­le !». Pour nos interlocut­eurs, le problème de la sécurité relève des autorités. Lorsque les rames Stadler ont été installées, il y a quelques années, les autorités avaient mis en place des brigades de la gendarmeri­e pour assurer la sécurité.

«70% DES PROBLÈMES VIENNENT DES FRAUDEURS»

«Les actes de vandalisme, les agressions et la fraude étaient quasiment inexistant­s. Ce ne sont pas les deux agents ferroviair­es affectés sur les trains qui vont dissuader les fraudeurs et les délinquant­s, qui, souvent, sont solidaires entre eux. Ils font ce qu’ils veulent sans le moindre souci, en sachant même que les caméras de surveillan­ce sont en marche. Ils tirent la sonnette d’alarme pour stopper brutalemen­t le train, pour qu’ils descendent, importunen­t les voyageurs, dégradent les sièges etc. Aujourd’hui, le voyage à bord de nos trains est devenu un danger…», souligne Lounici.

Selon lui, 70% de problèmes auxquels sont confrontés les cheminots sont liés aux fraudeurs, mais aussi les voyageurs qui bénéficien­t de la gratuité du transport ferroviair­e. «Lorsqu’un fraudeur est intercepté, il refuse de payer le forfait, qui varie de 100 à 200 DA seulement. Nous avons aussi les personnes, ayant bénéficié, avec leurs ayants-droit, de la gratuité, qui nous posent problème. Elles ne respectent pas les clauses de la convention qui exige un ticket et une carte d’abonné valide», relève notre interlocut­eur. Lui emboîtant le pas, le contrôleur Lamine Ali Moussa, précise : «Pour vous donner une idée, à la gare d’Agha, en début de matinée, dans un contrôle, nous avons débusqué 346 fraudeurs. C’est quand même important comme chiffre ! Le phénomène existe partout dans le monde mais pas dans cette proportion». Lounici affirme que les statistiqu­es sont « révéla-trices » d’une situation des plus inquiétant­es. «En plus des conséquenc­es sur la sécurité des biens et des personnes, la fraude impacte négativeme­nt le chiffre d’affaires de l’entreprise. Pourquoi la police des chemins de fer, assumée par la Gendarmeri­e nationale, en vertu d’une décision interminis­térielle, entre le ministère de la Défense et le ministère des Transports, depuis mars 1988, n’est pas effective sur le terrain ? Pourquoi dans les stations de métro et même à l’intérieur des rames, il y a des patrouille­s de la police, et pas dans les trains et les gares ? Lorsque les gendarmes patrouilla­ient dans les autorails Stadler, après leur mise en service, les voyageurs étaient très discipliné­s. Personne n’osait apporter un gobelet de café à l’intérieur. C’était propre et sécurisé. Depuis quelques années, les gendarmes ont été retirés et la situation s’est gravement détériorée. Alger compte la plus longue ligne reliant Thenia à El Affroun, et une importante concentrat­ion de population dans la banlieue», note Lounici. Lamine Ali Moussa, comme pour mettre en lumière la gravité de la situation, déclare: «Il y a quelques jours, dans le train de 2400 voyageurs, j’ai trouvé 306 passagers sans tickets et au moment où je faisais les formalités, au moins une centaine d’autres ont pris la fuite et quitté hâtivement le train. C’est un vrai problème. J’ai l’impression que beaucoup d’Algériens estiment que c’est leur droit de ne pas payer le ticket de transport, alors que son prix n’est vraiment pas cher. Ces comporteme­nts doivent être bannis. Nous devons faire comprendre à nos compatriot­es que les travailleu­rs ferroviair­es sont aussi des Algériens, qui travaillen­t pour nourrir leurs familles». Lounici reprend la parole en appelant les autorités à «prendre au sérieux la sécurité du personnel et des voyageurs des transports ferroviair­es. Ce n’est pas la première fois que (nous) alertons sur ces actes inadmissib­les qui menacent la vie des travailleu­rs et des passagers. La situation a atteint un seuil intolérabl­e. Les autorités sont appelées à prendre les mesures nécessaire­s. (Nous) ne voulons plus continuer à compter nos blessés et à faire le constat des dégradatio­ns commises sur des trains payés à coût de milliards de dinars et dont les réparation­s vont impacter la santé financière de l’entreprise». Aussi bien les travailleu­rs que leurs représenta­nts syndicaux sont unanimes à plaider pour la nécessité du retour de la police des chemins de fer, pour assurer la sécurité des cheminots, à bord des trains, dans les gares et aux alentours de celles-ci. L’appel est lancé, reste à savoir s’il va être entendu.

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Les agressions dans les trains se suivent et se ressemblen­t

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