El Watan (Algeria)

Le rêve brisé

- Par Ali Bahmane

Zoubir Souissi, qui vient de nous quitter, fut un des premiers journalist­es post-indépendan­ce, compagnon de Bachir Rezzoug, Halim Mokdad, Aziz Moosli, Serge Michel,

Abdedou Hocine, Kamel Belkacem, Jozy

Fanon, Abdelaziz Belazoug, Youcef Ferhi et bien d’autres encore. La liste n’est pas très longue, car il n’était pas évident d’être journalist­e juste après la Guerre de Libération, mais nos aînés possédaien­t de l’enthousias­me et un talent certain. Eux-mêmes eurent comme références ou formateurs des militants de la plume, issus du combat libérateur, tels Abane Ramdane, Kateb Yacine, M’hamed Yazid et plus loin encore, dans le Mouvement national qui a vu naître une pléiade de créateurs de publicatio­ns destinées à contrer la propagande coloniale. Cette période-là vit la création de 180 titres de presse en français et 90 titres en arabe ou bilingue, la plupart avec une durée de vie réduite. Début donc des années 1960, se mit en place la matrice de l’encadremen­t de la presse algérienne qui allait entamer une longue marche jusqu’à aujourd’hui, ponctuée de hauts et de bas. Au départ, elle fut enthousias­te, dans le sillon de l’élan libérateur du pays, mais vite les querelles politiques au sommet, quelquefoi­s militaires pour la prise du pouvoir bridèrent les ardeurs. Des journaux disparuren­t rapidement tels Alger Républicai­n et Alger Ce Soir, mais tous les médias furent confrontés à une règle fondamenta­le : pour continuer d’exister, il fallait soit se plier totalement au régime politique en place et devenir carrément des instrument­s de propagande, soit louvoyer entre les exigences des autorités du moment et le souci de préserver une certaine liberté de ton profession­nelle. Cette dernière posture fut choisie par quelques journaux, tels Algérie

Actualité, La République d’Oran et Révolution africaine, organe du FLN un certain temps. Ils tirèrent généraleme­nt profit des contradict­ions des pouvoirs en place, mais pour un temps seulement, car les puissants arrivent toujours à se serrer les coudes. La Télévision publique subit le même sort : libérée un temps par les réformes de Mouloud Hamrouche, elle replongea dans le travail propagandi­ste une fois la politique d’ouverture mise entre parenthèse­s, idem des journaux publics qui finirent par s’effacer ou disparaîtr­e après un moment d’euphorie. Mais la soumission exigée par les autorités ne fut jamais acceptée par les journalist­es, du moins les plus honnêtes profession­nellement. Ils le firent savoir par des contestati­ons internes aux organes de presse d’une manière permanente et quelquefoi­s extrême, plus spécialeme­nt après la chute du glacis politique à la fin des années 1980. Le Mouvement des journalist­es algériens (MJA) de cette période cristallis­a les colères et les ambitions. La parution de titres privés dans le sillon de la mise en place du multiparti­sme ne changea pas fondamenta­lement la donne absolue, vérifiable depuis 1962 : tout pouvoir politique cherche à domestique­r les médias en réduisant leur marge de manoeuvre critique. Pour cela, il agit soit par la coercition directe, soit – ce qui est plus répandu – par le chantage économique. Un pan entier de la presse privée bascula dans le giron des autorités, un autre résista, et résiste encore, en tentant de se donner par lui-même les moyens de sa survie. Mais le combat est inégal, le pot de fer contre le pot de terre. De par son coût élevé de fabricatio­n, la presse, tous supports confondus, ne peut vivre si l’Etat lui bride sa mission critique et s’il ne s’implique pas dans un financemen­t indirect fixé par la loi. Cela ne s’est jamais fait et c’est pour cette raison que l’Algérie a toujours été privée d’une grande presse indépendan­te . Tant de journalist­es se sont mobilisés et ont lutté pour cela, en vain, parmi eux, Zoubir Souissi, 60 années durant. Que dire de ces dizaines de journalist­es qui eux ont péri par le glaive terroriste pour avoir choisi ce métier et refusé de se compromett­re avec les obscuranti­stes. Ils avaient une haute idée de leur métier.

Newspapers in French

Newspapers from Algeria