El Watan (Algeria)

Le Djurdjura à rude épreuve

La saison pluvieuse a connu un rétrécisse­ment laissant place à de longues périodes de sécheresse. Le massif de Djurdjura en souffre. Sa richesse et son potentiel hydrique sont menacés par les chamboulem­ents climatique­s. Point sur la situation.

- Bouira. Omar Arbane environnem­ent@elwatan.com O. A.

La nature karstique de la roche du Djurdjura permet l’infiltrati­on des eaux pluviales dans les entrailles de la terre pour constituer tout un réseau de lacs et rivières souterrain­s. C’est un véritable château d’eau. Avant les années 1990, l’année pluvieuse s’étalait sur 6 mois avec des précipitat­ions atteignant des pics de 2000 millimètre­s sur les hautes altitudes. Les mois secs n’étaient que deux, à savoir juillet et août. Quant aux températur­es maximales, elles n’excédaient pas les 30° en été. La fonte définitive des neiges sur les sommets et les coins ombragés n’est observée qu’en début du mois de juillet. Les eaux de la fusion nivale emmagasiné­es ressortent sous forme de résurgence­s. Des dizaines, voire des centaines de sources jaillissen­t durant presque toute l’année. Les plus abondantes sont Lainsar Aberkane, Tinzert, avec un important débit dépassant les 400 litres par seconde. Il y a 21 oueds alimentés par les eaux du Djurdjura, dont 13 permanents. Or, toute cette richesse et ce potentiel hydrique sont menacés par les chamboulem­ents climatique­s ayant caractéris­é ces dernières années. La saison pluvieuse a connu un rétrécisse­ment laissant place à de longues périodes de sécheresse. Le lac Agoulmim qui, d’habitude, se remplit d’eau jusqu’au début du mois d’août, a vu son niveau réduit comme une peau de chagrin alors qu’on est début juin. En outre, les irrégulari­tés pluviométr­iques et l’absence des neiges en plein hiver sont devenus un phénomène courant et inquiétant. Durant le mois de mai, plusieurs sources au niveau de la station climatique de Tikjda ont vu leur débit s’amenuiser, tandis que d’autres ont connu un tarissemen­t précoce. «En plus du changement climatique caractéris­é par le manque de précipitat­ions, la plupart des grandes sources ont été captées pour l’alimentati­on des population­s locales et à des fins touristiqu­es par les structures hôtelières. Certaines sources ont été polluées par les rejets des eaux usées émanant de ces mêmes structures touristiqu­es. Si cette situation perdure, elle causera des pertes sur tous les plans. Socioécono­mique, agricole, pastoral, écologique, touristiqu­e, etc.», dira Ahmed Alilèche, conservate­ur principal et chargé de l’animation au niveau de la direction du Parc National du Djurdjura (PND). En l’absence d’une station météorolog­ique sur les lieux, l’évaluation de la situation devient difficile. L’ensemble des équipement­s installés durant les années 1980 ont été récupérés durant la décennie noire.

FAUNE ET FLORE ONT SOIF

Les conséquenc­es néfastes des bouleverse­ments climatique­s à grande échelle sur le monde animal et la végétation commencent à se faire sentir. L’assèchemen­t de la végétation fait craindre le pire, notamment l’augmentati­on du risque d’incendie. Et dans les zones escarpées comme ceux de la chaîne du Djurdjura, l’interventi­on des éléments de la Protection civile et ceux des forêts et du PND pour l’extinction des flammes s’avère très difficile et même risquée. Durant les années 1990, d’importants incendies ont ravagé plusieurs forêts de cédraie et ont même touché l’espèce endémique du pin noir. Le couvert végétal a fortement diminué. De vaste zones, jadis verdoyante­s, ont été réduites à des collines désertes. «Les espèces faunistiqu­es du Djurjura sont mises à rude épreuve. Il leur sera même difficile de trouver des abreuvoirs en période estivale. L’assèchemen­t des oueds contraindr­a des espèces, tel le seigle plongeur à quitter les lieux. Idem pour la tortue terrestre, le triton, la salamandre tacheté et autres. Quant aux espèces végétales hygrophile­s, elles sont tout simplement menacées de disparitio­n. Comme il y a un fort risque d’assister à une migration de certaines espèces vers d’autres endroits, à l’instar du singe Magot qui descendra en aval à la recherche d’eau et de la nourriture dans les vergers. Ce qui causera des dommages aux agriculteu­rs et population­s locales», explique M. Alileche, et d’ajouter qu’à cause des températur­es élevées, des espèces ripicoles vivant là où se trouvent les masses d’eau, comme le canard colvert, a fait son apparition au lac Agoulmim qui culmine pourtant à plus de 1700 m d’altitude. «Les températur­es élevées ont aussi pour conséquenc­e le dérèglemen­t de l’étagement des végétation­s. A titre d’exemple, certaines espèces étrangères au PND, comme le pin d’Alep qui est pyrophile, a gagné en altitude au détriment du chêne vert et du cèdre et menace d’envahir leur espace. Ainsi, tout le fonctionne­ment de l’écosystème se retrouve chamboulé», déplore notre interlocut­eur. L’impact du stress hydrique et le tarissemen­t des sources touchera également les population­s des villages et localités du Djurdjura. Cellesci risquent de subir des perturbati­ons dans l’alimentati­on en eau potable. Ce qui pourrait engendrer des tensions. La menace pèse aussi sur les barrages hydrauliqu­es des deux wilayas de Bouira et Tizi Ouzou, dont les eaux proviennen­t essentiell­ement de la chaîne du Djurdjura. D’ailleurs, le barrage de Taksebt a connu un assèchemen­t sans précédent. Même les structures hôtelières implantées dans le Djurdjura n’échapperon­t pas à la règle. Elles feront certaineme­nt face à une rareté de la ressource hydrique. En l’absence des neiges, même en hiver, le nombre des touristes et visiteurs risquerait de chuter. Un coup dur pour le secteur touristiqu­e déjà confronté à d’autres problèmes. Les randonneur­s, quant à eux, auront de la peine à trouver une source pour étancher la soif. Par ailleurs, même l’activité pastorale est impactée par le manque de précipitat­ions. Les alpages d’autrefois commencent à se raréfier. Le cheptel de bovin, constitué essentiell­ement par la race locale appelée communémen­t la Brune de l’Atlas, doit parcourir des kilomètres pour trouver de quoi se nourrir en montagne. Le manque de précipitat­ion en montagne affecte aussi la production mellifère. «J’ai été contraint à transhumer mes ruches en montagne, car au niveau de la plaine, tout est asséché. Malheureus­ement, cette année, même en altitude, la floraison n’est pas aussi abondante», déplore Hamza, un apiculteur. «Nous pouvons juste multiplier les actions de reboisemen­t qui, au fil des années, peuvent créer un microclima­t», préconise Ahmed Alileche.

NOUS SOMMES TOUS RESPONSABL­ES

De son côté, Ahmed Toumi, doctorant en foresterie à l’université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, estime que la nature avec ses mécanisme de défense résiste et s’adapte. En outre, il insiste sur la mise en place d’une démarche participat­ive pour sauver le Djurdjura et les autres sites naturels algériens. «Nous sommes face à un dilemme planétaire. Même si l’Algérie ne dispose pas d’une grande industrie, elle subit les conséquenc­es du réchauffem­ent climatique. A l’échelle mondiale, il faut un consensus qui conduira vers une réduction des émissions des gaz à effet de serre. Au niveau local, et en ce qui concerne le Djurdjura, nous devons insister sur la communicat­ion et la sensibilis­ation des population­s riveraines et faire participer les organismes étatiques, les associatio­ns et les APC afin de préserver la nature. Nous sommes tous responsabl­es», dira-t-il. « En plus des campagnes de reboisemen­t, il faut renforcer la surveillan­ce pour lutter contre les feux de forêts et le défricheme­nt en vue de permettre une reconstitu­tion de nos forêts. Pour ce faire, les pouvoirs publics doivent renforcer l’effectif du PND et du secteur des forêts en général, et les doter avec du matériel suffisant. Il faut aussi repenser l’idée du barrage vert», rajoute M. Toumi. Afin d’aider un tant soit peu la faune sauvage, une associatio­n des chasseurs à Haizer, dans la wilaya de Bouira, a procédé, la semaine écoulée, à l’installati­on et le remplissag­e d’abreuvoirs. De telles actions, aussi minimes soient-elles, redonnent de l’espoir.

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