El Watan (Algeria)

Une élection et une double transition

- Par Abdelmadji­d Attar Ancien ministre de l’Energie A. T.

Dans le lot des indépendan­ts, et plus spécialeme­nt les jeunes candidats, il y en a plusieurs qui sortent vraiment du lot, ont le niveau de formation, une vision de ce que doit être le pays, une prise de conscience sur l’importance des défis auxquels il faut faire face, une idée sur les actions et les réformes à entreprend­re...

Il y a une chose dont je suis convaincu comme tous les Algériens certaineme­nt, notre pays est au milieu du gué, un gué fragile à tous les points de vue, économique d’abord, puis social et culturel pouvant entrainer un bouleverse­ment politique fatal.

On a le choix entre «traîner la patte» sur place en hésitant entre : revenir en arrière, sauter à l’eau, prendre son temps pour atteindre l’autre rive sans se bousculer, ou alors faire un bon sprint et regagner l’autre rive quitte à y arriver un peu fatigué mais encore en mesure de construire un nouveau pays avec les plus valides parmi nous. Je préfère personnell­ement le sprint quitte à y laisser ma peau, mais sur de sauver nos plus jeunes qui devront prendre la relève, parce que le hirak est une sorte de révolution, et «la révolution est comme saturne, elle devore ses enfants». C’est le prix à payer, au moins par les anciennes génération­s comme l’ont fait nos chouhadas.

Je suis persuadé que les avis diffèrent énormément au sein des différente­s franges de la population, notamment entre période de transition et poursuite du processus électoral après la présidenti­elle et la Constituti­on. Le hirak peut être considéré comme un avènement salutaire qui a permis de tourner une page lugubre de notre histoire, mais ce n’est pas suffisant. C’est dès son début qu’une période de transition politique aurait pu être mise en oeuvre. Cela n’a pas eu lieu pour deux raisons : la résistance de la face cachée de l’ancien système politique solidement incrusté dans presque tous les partis politiques, dans une bonne partie de la soidisant société civile «clientélis­te», et il faut le reconnaîtr­e, l’absence d’un consensus autour d’un projet ou d’un processus de transi-tion concret au sein au sein du hirak lui-même qui continue à revendique­r la transition politique ratée depuis le début de ce hirak.

De mon point de vue, la seule chose qui peut sauver le pays est d’abord la reprise de son développem­ent économique, parce que le hirak a été précédé d’abord par une crise économique dès 2014 (baisse des revenus pétroliers), puis une instabilit­é poli-tique au sein du pouvoir qui a entrainé un ralentisse­ment des programmes de dévelop-pement, et enfin, cerise sur le gâteau une crise sanitaire qui a mis à genoux toutes nos capacités de production, en ne laissant heureuseme­nt que de faibles recettes d’hydrocarbu­res et tout juste une production agricole qui nous ont épargné de la disette, parce que les réserves d’autrefois ont été dilapidées dans un sursaut de sauvetage de l’ancien pouvoir pour gagner la paix sociale.

Alors oui, il faut une transition politique, mais personnell­ement j’ai bien peur que celle-ci nous fasse oublier celle qui fait vivre le pays et doit lui permettre de tenir encore quand une nouvelle génération prendra le relai avec une nouvelle gouvernanc­e. Nous avons déjà perdu trop de temps, vraiment trop, alors qu’il y a eu déjà une élection présidenti­elle et celle d’une Constituti­on. D’aucuns diront qu’ils ne sont pas parfaits ! Mais on ne va quand même pas revenir en arrière, et je pense personnell­ement qu’il faut faire avec, faire le sprint que j’ai cité plus haut, et s’attacher à poursuivre le combat avec les jeunes génération­s pour une véritable transition apaisée à partir de 2022. Cela permettra de mener aussi en parallèle la bataille du développem­ent économique. C’est cela qui sauvera le pays et rien d’autre. Au point où nous en sommes, et après avoir perdu autant de temps, il n’y a pas d’autre solution ou du moins disons que c’est la moins mauvaise pour le pays. C’est facile de continuer à critiquer mais il y a un ancien proverbe allemand qui dit : «Critiquer l’Etat c’est ton droit, mais n’oublie pas que l’Etat c’est toi».

Il faut juste se rappeler qu’il y a un peu plus de deux ans, un forum politique de concertati­on a été organisé à Alger pour tenter de définir un consensus entre les organisati­ons politiques (partis de l’opposition surtout) et la société civile. J’ai personnell­ement participé à ce débat sans être partisan d’un parti quelconque.

Les interventi­ons des chefs de partis ont presque tous brillé par une langue de bois déconcerta­nte, et sans presque aucune position claire ou mention sur les actions proposées par la plateforme à débattre, ni propositio­n pour faire face aux défis majeurs de l’heure. Les interventi­ons des représenta­nts de la société civile, pourtant majoritair­e-ment jeunes, étaient souvent mal exprimées, mal structurée­s ou mal préparées Mais certaines contributi­ons de ces jeunes étaient vraiment excellente­s, très critiques, avec des propositio­ns très valables, qui montrent qu’il y a un «Fossé» énorme entre ce que veulent les jeunes et comment, et la classe politique traditionn­elle qui a peut-être ses raisons et ses objectifs mais qui ne sont pas forcément celles de la jeunesse à l’origine du hirak. Je vois personnell­ement aujourd’hui presque la même situation au sein des débats sur les élections législativ­es : Quelques partis sérieux qui ont revu leur copie avec une vision plus pragmatiqu­e, un programme, et des propositio­ns, qui tiennent la route. D’autres à côté de la «plaque» surtout au point de vue économique, et vraiment sans aucun programme sérieux. Parmi les jeunes candidats indépendan­ts, ils ont heureuseme­nt toutes et tous un bon niveau de formation, mais peu d’expérience en matière d’exercice politique. Certains (pas parmi les jeunes) sont vraiment de simples opportunis­tes et demandeurs de «recyclage de l’ancien système de pouvoir» et je pense qu’ils sont facilement détectable­s.

Mais dans le lot des indépendan­ts, et plus spécialeme­nt les jeunes candidats, il y en a plusieurs qui sortent vraiment du lot, ont le niveau de formation, une vision de ce que doit être le pays, une prise de conscience sur l’importance des défis auxquels il faut faire face, une idée sur les actions et les réformes à entreprend­re, et la volonté de se sacrifier uniquement dans le but d’éviter le naufrage du pays.

Alors permettez-moi de croire que quelques dizaines de ces jeunes loups avec l’aide des partis sérieux qui sortent du lot, pourront alors s’imposer et engager tout de suite après 2021 la transition, la vraie, souhaitée par la majorité y compris tous ceux qui ne veulent pas voter. Elle devra alors être une double transition, avec :

- Un gouverneme­nt technocrat­e de haut niveau au cours de cette transition, parce que «le moyen le plus sûr de ruiner un pays est de donner le pouvoir aux démagogues» (proverbe latin). Ce gouverneme­nt devra alors s’atteler en urgence et exclusivem­ent à la relance économique dans le cadre d’une vision à long terme dont il est inutile de préciser le contenu ou les objectifs qui sont parfaiteme­nt connus de tous.

- Une APN et un Sénat qui devront certes contrôler la mise en oeuvre du programme économique en veillant à la décentrali­sation locale des programmes, des décisions, et des initiative­s, mais aussi en accompagna­nt le président de la République dans la transition politique à travers la refonte des lois et réglementa­tions en la matière, pour une justice indépendan­te, l’égalité des droits, la liberté d’expression. Un dernier conseil aux électeurs : on ne doit pas juger quelqu’un par ses «bagages» (formation, diplômes, charisme, etc..), mais par ce qu’il propose d’en faire, et plus tard par ce qu’il en aura fait.

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