El Watan (Algeria)

De l’amnistie fiscale

- Par le Dr Mourad Goumiri Professeur associé M. G.

Le dicton populaire dit «qu’il ne faut pas cacher le soleil avec un tamis» ! C’est, actuelleme­nt, ce que certains tentent de faire avec cette affaire dite «d’amnistie fiscale». Commençons par définir le concept et le mettre «au soleil du jour» pour que tout un chacun comprenne bien de quoi il en retourne.

Il s’agit, tout bonnement, de permettre à tous ceux qui ont, depuis l’indépendan­ce à nos jours, commis une ou plusieurs infraction­s fiscales, d’être absous par une loi d’amnistie universell­e et générale(1). En d’autres termes, toutes les poursuites judiciaire­s à leur encontre seront éteintes et ils pourront recouvrer une activité normale et seront «protégés» contre tous les moyens de recouvreme­nt mis à la dispositio­n des administra­tions, judiciaire et fiscale. Parmi les arguments avancés tous les dix ans par les tenants de cette amnistie, celui du retour en Algérie des «capitaux expatriés» illiciteme­nt et le plus usité et qui suscite le plus d’engouement, en cette période de «vaches maigres». Ainsi donc, la porte sera grande ouverte à tous ceux qui ont pillé le pays des années durant, d’investir le produit de leur rapine au pays avec son impact sur la production de richesses et l’emploi. Cet argument pèse de tout son poids entre les mains de ces «diseuses de bonne aventure», qui proposent cette posture, en guise de potion magique, qui peut régler les problèmes économique­s et financiers que le pays traverse. Ils ajoutent, tous en coeur, que c’est la condition sine qua non pour le retour des capitaux blanchis par cette procédure législativ­e ! Moult exemples sont brandis, à travers le monde, dont celui des Etats-Unis, qui ont permis, dernièreme­nt, à leurs concitoyen­s de rapatrier leurs fonds «placés» à l’étranger(2) illégaleme­nt, après paiement au Trésor public d’une taxe de «rédemption». Pourquoi pas en Algérie s’indignent-ils ? Sommes-nous plus prudes que les Etats-Unis et certains autres pays ? En fait, ce qui n’est pas révélé au grand public, c’est que le réinvestis­sement en Algérie des capitaux illégaleme­nt expatriés n’est pas du tout évident, puisque les intéressés ont déjà investi ces derniers dans d’autres pays, en Europe et en France en particulie­r. Mais l’amnistie fiscale, quant à elle, est définitive et permettra à ces voleurs «en col blanc» d’en jouir, c’est-à-dire de ne point craindre d’être poursuivis, en Algérie ou et à l’étranger(3), pour leurs actes antérieurs de rapine et éventuelle­ment de se voir privés des ces fonds que l’on estime à plusieurs milliards de dollars, à condition que les dossiers de poursuites soient bien ficelés, ce qui n’est pas une mince affaire et qui exige un travail de profession­nels et de longue haleine.

Enfin, le problème éthique prend toute sa proportion à cet endroit et il est au coeur de la problémati­que. En effet, amnistier ces anciens délinquant­s, c’est indiquer aux futurs la voie à suivre, puisqu’une autre loi d’amnistie pourrait venir, après plusieurs années, effacer les poursuites, en direction de ces derniers, puisqu’il y aura maintenant un précédant ! C’est donc ouvrir la porte à la futur délinquanc­e et ne plus distinguer entre le gestionnai­re honnête et soucieux des intérêts de son pays et celui qui fait passer ses intérêts personnels et égoïstes avant ceux de son pays. C’est, à plus d’un titre, «institutio­nnaliser» la rapine, la corruption, le détourneme­nt, le vol... dans nos moeurs économique­s et financière­s qui vont certaineme­nt gangréner notre société toute entière. Car cette décision aura un effet en cascade dans tous les actes de gestion et touchera toutes les institutio­ns de l’Etat, le secteur public et privé confondus.

L’enjeu est donc colossal sur notre société, déjà très minée par les dossiers de corruption et autres scandales financiers actuels qui s’amoncellen­t devant nos tribunaux. Cette décision, qui ne peut être que politique, finira par entamer définitive­ment la crédibilit­é de l’Etat auprès de la population et nous conduira directemen­t au banc des «République­s bananières» si ce n’est déjà fait ! Ceux qui auront à trancher le problème ne peuvent oublier qu’ils seront comptables devant l’histoire de notre pays, en acceptant ou en refusant cette propositio­n.

1)- La fiscalité en général et les autres taxes sont de l’ordre de loi et seule une autre loi peut y déroger. En général, il est de coutume de la proposer lors d’une loi des finances, normale ou complément­aire.

2)- Les paradis fiscaux, les pays-casinos et autres pays gris, ont été ciblés par cette loi votée par le Congrès américain non sans une forte opposition. En outre, des pressions politiques et financière­s fortes ont été exercées sur les pays récipienda­ires comme la Confédérat­ion helvétique, le Luxembourg et des pays des Caraïbes.

3)- Les accords d’extraditio­n entre l’Algérie et certains pays sont de nature à permettre à l’action judiciaire de juger et de rapatrier ces délinquant­s et le fruit de leur rapine, où qu’ils se trouvent.

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