El Watan (Algeria)

Le phénomène Aït Menguellet

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Aït Menguellet constitue, sans aucun doute, un phénomène singulier dans la chanson kabyle, et dans la chanson algérienne en général, autant par la densité et la richesse de son oeuvre que par son impact sur la société. Il est devenu au fil des ans, grâce à la profondeur de son inspiratio­n et au sérieux de son travail d’artiste, un véritable monument dans le champ culturel algérien, un sage, un amusnaw que l’on évoque avec respect et considérat­ion à telle enseigne que Kateb Yacine n’a pas hésité à dire de lui que «c’est notre plus grand poète aujourd’hui» dans la préface qu’il a consacrée en 1989 à l’ouvrage de Tassadit Yacine Aït Menguellet chante. À cet égard, et à l’instar des grands poètes, certains de ses vers ont tellement marqué la langue kabyle qu’ils sont devenus de véritables maximes ou dictons que l’on cite au détour d’une phrase en oubliant parfois qu’ils sont extraits d’un de ses nombreux poèmes. Depuis plus de cinquante ans, Lounis Aït Menguellet attire, séduit, fait rêver, suscite le débat, draine les foules et remplit les salles, toutes catégories sociales confondues. A ses débuts, les jeunes ont été séduits par sa façon nouvelle et originale de chanter l’amour. Les plus âgés se sont retrouvé dans sa fidélité à une langue qui fleure bon le terroir, le temps jadis et les valeurs ancestrale­s. Les intellectu­els ont apprécié son extraordin­aire modernité et le fait qu’il traite avec talent de thèmes que très peu de chanteurs algériens n’ont abordés jusque-là. Tous partagent avec lui son engagement sans équivoque dans le combat identitair­e, particuliè­rement présent dans sa production à partir des années quatre-vingt. Aït Menguellet a débarqué sur la scène artistique algérienne à une période relativeme­nt apaisée de notre histoire, à la fin des années soixante. L’indépendan­ce acquise de haute lutte, le pays se construisa­it. Les gens avaient du travail. Les jeunes commençaie­nt à arriver en masse à l’université. Les relations garçons-filles se libéraient petit à petit des carcans de la tradition : excursions mixtes, cités universita­ires mixtes, sorties en couple au cinéma. Ce n’était certes pas suffisant les libertés étaient loin d’être garanties, le parti unique régnait sans partage, les étudiants, noyau de la contestati­on politique, en étaient bien conscients, mais l’atmosphère générale était à l’optimisme, à l’espoir et surtout à tenter d’oublier les affres de la guerre. Dans ce contexte, la chanson est apparue comme l’un des moyens de s’évader pour des milliers de jeunes en mal de distractio­ns, en même temps qu’un vecteur d’expression non négligeabl­e pour ceux qui avaient quelque chose à dire. Parmi ces derniers, Aït Menguellet, révélé grâce à la chanson «ma terut» (si tu pleures) dans le cadre de l’émission «Les chanteurs de demain» qu’animait Cherif Kheddam à la radio. A cet égard, même si à ses débuts -les deux ou trois premières années- il n’apparaît pas très différent de la cohorte de jeunes talents apparus à cette époque, il s’en distinguer­a assez rapidement parce qu’il a su créer, en authentiqu­e démiurge et comme tout grand artiste, un monde à lui. À cet égard, le Pr Farida Aït Ferroukh dans Algérie ses langues, ses lettres, ses histoires le compare plutôt à Chikh Mohand ou Lhoucine, grand poète kabyle du XIXe siècle, parce que tous deux ont vécu en des périodes de bouleverse­ments importants. Elle ajoute que par leur sagesse et leur pondératio­n, ils ont tous les deux représenté pour leurs contempora­ins ce qu’elle appelle des «figures de sens», des «références» et des «réparateur­s de désordre» et ont, chacun à son époque, fait partie des «mécanismes de défense» de leur société contre la dislocatio­n et la perte des repères.

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