«Les mesures ont été très limitées en volume et dans le temps»
Consultant en stratégies de développement durable et directeur du cabinet AHC Consulting, Ali Harbi dissèque dans cet entretien les impacts de la crise sanitaires sur les entreprises algériennes. Membre du think-tank du Cercle d’action et de réflexion pour l’entreprise (CARE), M. Harbi estime que les mesures prises ont été très limitées en volume et dans le temps.
La crise sanitaire a eu un impact des plus négatifs sur la vie des entreprises algériennes. Quel est le point de la situation aujourd’hui ? L’économie algérienne hors hydrocarbures est très dépendante du secteur BTPH dont la croissance a toujours été portée par la commande publique. Trois facteurs se sont combinés en 2020 pour conduire à une quasi-récession économique. Il s’agit de la baisse des prix du pétrole conjuguée à la baisse de la production nationale en hydrocarbures, d’un côté, l’année blanche en matière de commande publique et de réalisations en 2019 dans le contexte de gel de la décision étatique à la suite de l’instabilité politique induite par le Hirak populaire, d’un autre côté, et enfin la crise du Coronavirus en 2020. La crise sanitaire n’est pas le seul facteur de marasme économique mais peut être le facteur le plus direct à cour terme. A côté du secteur BTPH où l’impact est très visible par tout citoyen, il faut citer la catastrophe économique au niveau du secteur des loisirs, du voyage, du transport et du tourisme qui ont été fortement impactés par de longues fermetures. Je n’ai pas de données sectorielles concernant l’impact sur d’autres secteurs car notre système d’information économique national n’est actuellement pas outillé pour produire de l’information sectorielle ou de filières. On ne dispose pas non plus d’enquêtes sur la consommation des ménages, donc on ne sait pas sérieusement comment les ménages passent le cap. Il y a lieu de supposer que des solidarités familiales ont joué, et que beaucoup d’investissements domestiques ont été reportés, comme l’achat de voitures ou d’appartements. Une preuve en est la baisse des prix du logement dans les villes. A la date d’aujourd’hui, il y a des signes de reprise, notamment des chantiers privés du BTPH, mais cela reste lié au rythme des années passées. Un élément clé de reprise dépendra de la décision ou pas des pouvoirs publics à réduire le recours à la main-d’oeuvre étrangère sur les marchés publics en tout genre, ce qui permettrait de redistribuer plus de valeur ajoutée en local. Enfin, sur le plan industriel et des services à l’industrie, ainsi que pour l’agriculture, la crise de l’investissement actuelle n’est pas due au Covid, mais à l’absence totale de politique industrielle et de cadre réglementaire et institutionnel qui doit aller avec. On attend du nouveau avec ce gouvernement. L’agriculture algérienne est en besoin aujourd’hui d’un relais agro-industriel et de services de marketing et de qualité sinon les efforts d’augmentation quantitative des productions vont toujours conduire aux crises récurrentes de gestion des excédents saisonniers. Près de la moitié des entreprises privées risquent la faillite alors que des milliers ont déjà fermé, notamment dans le secteur du BTPH. Quel regard portez-vous sur la réponse de l’Etat aux préoccupations des entreprises durant cette période de crise ? Sauf données dont nous ne disposons pas par manque de communication des institutions concernées, la réponse de l’Etat a été extrêmement sous-dimensionnée par rapport à l’ampleur de la crise. Combien de personnes ont-elles bénéficié d’aides directes de l’Etat au travers du dispositif des 10 000 DA et pendant combien de mois ? Combien de micro-entreprises et petits métiers ont-il bénéficié de l’aide des 30 000 DA et pendant combien de mois ? Combien d’entreprises ont réellement bénéficié d’échéancier fiscal et CNAS/CASNOS avec annulation de pénalités comme promis par les plus hautes autorités ? Combien d’entreprises et de ménages ont réellement bénéficié de rééchelonnement de crédits sans surcoût ? Combien d’entreprises ont-elles bénéficié de crédits relais pour continuer à exister à minima au moment où leur chiffre d’affaires s’est effondré ? Nous n’avons pas de bilan sur ces dispositifs et selon certains sondages privés, les mesures ont été très limitées en volume et dans le temps. La Banque d’Algérie vient de reconduire les mesures de rééchelonnement des créances pour les entreprises. Un commentaire ? La mesure de rééchelonnement touche combien de monde ? Qui sont les bénéficiaires ? On n’en sait rien. De mon point de vue, il ne s’agit pas de jeter la balle aux banques de base qui sont tenues par des règles prudentielles et un cadre réglementaire, même s’il y a eu assouplissement. La question qui n’a pas été traitée est celle de la création d’un fonds de garantie souverain auquel auraient pu s’adosser les banques pour rééchelonner des dettes, étendre des crédits et prendre d’autres risques, y compris sur de nouveaux crédits pour les entreprises en difficulté. Sans ce fonds de garantie de l’Etat, qui aurait pu prendre forme juridique au travers des organismes de garantie de crédits existants, les banques ne peuvent accorder de rallonges de crédit qu’aux entreprises déjà riches et aux entreprises étatiques. C’est pour cela qu’on demande un bilan très détaillé des opérations. Dans le plan de relance 20202024, les autorités publiques misent, entre autres solutions, sur l’apport du privé dans le financement de l’investissement, notamment pour la construction des infrastructures à caractère social. Pensez-vous que le secteur privé algérien, et avec la situation de crise actuelle, soit en mesure de faire ce pari du Partenariat publicprivé (PPP) ? Je ne pense pas que le PPP ait pour vocation de financer des investissements sociaux de l’Etat, sauf dans un cas de gestion déléguée du service public, donc après investissement. Le PPP, dans sa dimension investissement, a pour vocation de financer des infrastructures socio-économiques et qui permettent un retour sur investissement à long terme. De ce point de vue, il y a beaucoup à faire dans ce domaine comme le développement du foncier industriel, touristique et agricole, les infrastructures routières et de rail, les barrages, la production d’énergie, le barrage vert, entre autres exemples. Cependant la mise en oeuvre du PPP nécessite de lever deux contraintes majeures. La première est dans l’amélioration à apporter dans la relation de confiance entre l’Etat et le secteur privé, ce qui nécessite un cadre de gouvernance très clair des contrats de PPP, et que tous les risques encourus par les parties ainsi que les tiers soient bien maîtrisés. Il faudra aussi assurer un cadre de transparence et de redevabilité des acteurs du PPP pour ne pas retomber dans des mécanismes de transfert de rente et de monopoles de fait comme on a pu le constater au cours des dernières années avant 2020. La seconde contrainte est liée à la formation du capital en Algérie, et nous n’avons pas assez d’acteurs privés formels de grande taille pour faire appel à des projets de PPP de l’envergure des besoins du pays. Qui pourrait par exemple financer les 200 à 300 kilomètres de rail de différents modes (train rapide, métro tramway) dont a besoin tout de suite l’agglomération du grand Alger ? Ils se comptent à peine sur les doigts d’une seule main. Dans ce contexte, l’approche du PPP pour le financement des projets doit impérativement inclure les grands acteurs internationaux et les institutions financières internationales. Il faut aussi que les projets PPP soient mis en bourse pour attirer l’épargne des ménages, des PME et les disponibilités de l’informel. Pour cela, il faudrait d’abord relancer la bourse et lui créer un minimum de dynamique. La relance de la bourse, un élément clé de l’amélioration du climat des affaires, car cela permet à tout acteur une sortie rapide de tout projet. Un des facteurs les plus impactant en matière de relance de la bourse consistera à permettre à la diaspora d’investir en bourse. Enfin, un autre facteur de confiance est de mettre les montages et la gestion de PPP entre les mains de gestionnaires professionnels et expérimentés même étrangers, car monter et gérer un PPP est un métier en soi. Que pensez-vous du choix d’un premier ministre venant du secteur financier ? Je n’en pense rien et je n’ai pas de jugements a priori sur le gouvernement. La communauté nationale jugera sur les faits, la qualité du programme et des réalisations. Le Premier ministre a droit à une période de grâce de 100 jours pour rentrer dans sa fonction ainsi que son équipe, donc accordons cela. Cela étant dit, on peut être un technocrate de métier mais quand on devient ministre, on occupe un poste politique, les questions techniques restant du ressort de l’administration et des agences d’exécution ainsi que des entreprises de service public. La composante du gouvernement sera donc attendue sur l’orientation des politiques publiques et le sérieux des programmes et plans d’action qui doivent décliner cette orientation politique. Un nouveau recours à la planche à billet, une bonne ou une mauvaise nouvelle pour l’économie ? Ni bonne ni mauvaise, tout dépend de ce qu’on fait avec l’argent créé. C’est une pratique universelle et tous les Etats y recourent. Mais dans certains cas, cette création monétaire est orientée vers la création de valeur par des soutiens à l’investissement et la consommation interne des produits locaux. Dans d’autres cas, cette création sert à couvrir des surcoûts, des inefficiences, ou à rembourser des subventions de produits importés, donc à transférer de la richesse vers l’extérieur. Tant qu’on n’a pas réorienté les politiques de subventions vers les gens qui en ont vraiment besoin et vers le produit local, tant qu’on n’a pas d’audit indépendant des dépenses de l’Etat que ce soit en équipement ou en fonctionnement, tant qu’on n’a pas fait le point sur les assainissements répétitifs des entreprises étatiques, je doute que la planche à billet ait un impact favorable. Encore une fois, nous revenons sur deux concepts clés : la gouvernance économique, incluant l’obligation de redevabilité des acteurs, de transparence des actes et des résultats, d’audit indépendant, d’évaluation des politiques publiques, d’un côté et de l’autre, la nécessité d’un cadre homogène et cohérent de transformation et de réformes de rupture dans lequel pourraient s’inscrire les politiques monétaires. C’est le vrai chantier qui attend l’Algérie depuis trois décennies.