Une somptueuse oeuvre qui fait croiser la guerre et l’amour
Bouziane Ben Achour, journaliste, romancier, dramaturge et essayiste prolifique, signe son douzième roman qui vient d’être publié par les éditions L’Harmattan.
Plus qu’un simple roman, c’est l’histoire bouleversante d’une femme perdue dans un monde dur et violent où l’amour est le fil conducteur. Dans cette oeuvre inspirée d’un fait réel, le récit déchirant d’une passion, au coeur des grands espaces algériens en proie à une atroce guerre pour la décolonisation, met en filigrane de somptueuses solitudes de Mira, le personnage central. Bouziane Ben Achour fait croiser le drame de trois femmes avec la cruauté de la guerre jusqu’au bout du désespoir. Le sang ne change pas de couleur: ce titre grave et lumineux annonce une quête d’amour grinçante, composée par cet écrivain qui nous a habitués à étaler ses talents romanesques au style toujours cru et bouleversant. C’est une fresque historique sur la société algérienne en pleine tragédie de la guerre. C’est une histoire à la fois pathétique et poignante, malheureuse, tragique et déchirante. Bouziane Ben Achour invite ses lecteurs à s’aventurer loin le long des veines de ce roman, à descendre profondément dans les couches de ses récits, à s’enfoncer dans les souterrains meublés par des personnages dont les âmes sont en quête du sens perdu. Or cette quête est, chez Mira, vouée à l’échec. Mais le but poursuivi compte évidemment moins que le voyage improbable pour et vers l’amour. L’échec importe peu. Il est même plein de vertus pour Mira. Pour cette femme-courage, seule une chose demeure éternelle et triomphante : l’espoir ineffable de retrouver l’amour absolu: son unique projet est de regagner le coeur de Tej Nehal. Pour Mira, tout paraît «à la fois très laid sans son amoureux Tej et très insignifiant, comme sa vie, comme l’échec». L’échec est aussi est la marque de nombreux autres personnages de cette oeuvre foisonnante. Un roman lumineux et grave qui démonte avec calme dès l’entame du récit un abus sexuel de l’enfance. «Mira a fait le choix de fuir le domicile familial pour ne plus cohabiter avec le mari de sa mère, un déviant sexuel qui a abusé d’elle plus d’une fois quand elle était enfant.» Nul acharnement sous la plume de l’auteur, mais la voix tranquille et sûre d’une femme qui reprend sa vie et sa liberté pour se reconstruire. Si cette oeuvre est bouleversante, c’est surtout parce qu’elle n’est pas seulement une remise en cause d’un abuseur et du système mondain qui l’a cautionné, mais qu’il indique, en littérature, une voie de résistance et de force. Le voyage de Amira est intense, décousu, éclairé de fulgurances poétiques : «Sur le chemin de sa quête amoureuse, Mira se retrouve comme par pure hasard, au maquis, où elle rejoint l’ALN (Armée de Libération Nationale) et devient Moudjahida. Au maquis, elle croise Aïcha et Sophia.» «C’est le début d’une longue épopée, mais également d’une amitié parfaite tressée de solidarité agissante et d’affection partagée.» Un trio de femmes «aux itinéraires cahoteux» et «unies par des cicatrices communes». C’est surtout un roman d’amour où des vies basculent et divergent, pour se recroiser dans le chaos de la guerre, entre la déroute et les prémices. Sous la plume de l’auteur, les trois jeunes femmes racontent les atrocités de la guerre : «Lorsque la France coloniale ratisse, sa soldatesque ne trie pas, elle élimine. Pour service-fait, les militaires mutants, inutilement cruels, reçoivent une prime spéciale pour chaque carnage réédité.» Histoire de mieux insuffler l’esprit pionnier de Bugeaud «le modèle». C’est l’unique métier que sait faire l’armée d’occupation : tirer sur tout ce qui bouge (…) Dans les agglomérations «musulmanes» mises à sac et à feu, les janissaires du vingtième siècle ont besoin de voir le sang en flaques molles. «La cohorte éradicatrice a soif de bouillon rouge, de bouillon chaud figé sur les murs, en petites gouttelettes. Le sang de cette proie qui court pour ne pas voir son sang partir en faufilages vers des champs prêts à être retournés pour servir de fosses communes.» La guerre n’excluant pas l’amour, tout devrait converger vers un objectif : Par-dessus tout, Mira désire regagner sa place auprès de Tej, le reconquérir. «Il n’y a que Tej pour réhabiliter un destin froissé.» Ni le temps, ni l’espace, ni les non-dits, ni la société n’auront raison de cet amour - que seule brisera la mort. «Mira apprend que les deux hommes qui ont compté dans sa vie, Tej Nehal et Houari Tarzan, sont tombés au champ d’honneur, à quelques dizaines de mètres du lieu où elle a été capturée. Elle n’a pas eu le temps de les rencontrer.» Le fil rouge thématique que déroule l’auteur dénote que ce nouveau roman est, à bien des égards, emblématique de la philosophie romanesque de l’ensemble de l’oeuvre littéraire de l’auteur. Dans sa tradition romanesque, l’auteur, tout en s’interrogeant sur les pouvoirs et les limites de la fiction, restitue, avec une égale maîtrise, les frémissements d’une conscience et les rapports humains, la splendeur indifférente de la tragédie et les tourments d’une histoire aveugle. Enfin, il est à noter que Bouziane Benachour dédie ce roman Hadj Meliani, un grand homme de culture décédé récemment. «Ce nouveau roman est dédié à mon ami, frère et complice culturel de toujours Hadj Miliani.» Il a été le premier à lire le tapuscrit. Le premier à me «l’exiger» lorsqu’il a appris que l’ouvrage a été retenu par la maison d’édition. «Je le lui offre aujourd’hui parce qu’il est toujours parmi nous et lui demande humblement de me donner son avis lui qui n’a jamais hésité à me prodiguer conseils et critiques. Et combien il était généreux dans ses conseils et intraitable sur ses critiques», écrit Bouziane Ben Achour sur son compte facebook.