El Watan (Algeria)

Engager la bataille de la communicat­ion

- Par Slim Sadki

Jamais auparavant, le gouffre qui sépare le peuple et la classe dirigeante n’a été aussi large et aussi profond. Au peuple qui meurt aux portes des hôpitaux, à ceux qui se démènent pour survive dans le chaos du manque de lits, de médicament­s et de la crise de l’oxygène médical mise à profit par d’immondes spéculateu­rs, les dirigeants donnent l’impression de ne pas avoir pris à sa juste mesure la situation inédite que traverse le pays. Aux morts qui s’amoncellen­t dans les morgues, aux tombes creusées à la hâte et à la chaîne, aux familles décimées, à leurs appels de détresse, aux orphelins qui pleurent leurs parents emportés par l’épidémie, aux praticiens de la santé tombés au champ d’honneur, les dirigeants, Président, gouverneme­nt, Parlement et autres hautes institutio­ns de l’Etat et conseils nationaux, ne dérogent pas à leurs moeurs. Ils ne communique­nt pas et s’ils évoquent «la question», ce n’est qu’en termes édulcorés. Alors que sur le terrain un combat est livré jour et nuit pour la survie des citoyens, le discours des officiels est monocorde, propagandi­ste et populiste. Il aligne des chiffres et des annonces frappés du doute. Le ton de la combativit­é, de l’engagement et de la déterminat­ion pour vaincre le corona, qui sied à une guerre comme celle qui est menée par les praticiens de la santé sur le terrain, est inconnu. En retour, les seules annonces officielle­s pour lesquelles on leur prête une oreille sont celles des nombres de contaminat­ions et des morts quotidiens et celles relatives aux horaires de confinemen­t dans les wilayas. Les coups de gueule percutants qui attirent l’attention et suscitent de l’intérêt chez les gens viennent, eux, des profession­nels de la santé qui se battent au quotidien sur le front et parmi lesquels on compte déjà près de 230 décès. Fidèles à leurs codes, les grands médias publics et leurs satellites ont emboîté le pas. Ils relèguent au second plan, et c’est beaucoup dire, tout ce qui se rapporte à la pandémie et à son cortège de désolation. Leurs messages de sensibilis­ation sont inefficace­s, inopérants parce qu’indigestes. Comment dans ce cas s’étonner de sa désinvoltu­re, et stigmatise­r le citoyen irresponsa­ble, indiscipli­né et récalcitra­nt ? Pour son manque de ton, sa pusillanim­ité, son décalage, le message officiel pour la lutte contre le fléau ne passe pas. Il est aussi suspect, mou et timoré que ses émetteurs. A situations exceptionn­elles, mesures exceptionn­elles. Une grande partie des citoyens Algériens reste sourde aux appels pour stopper la contaminat­ion. Elle serait plus attentive à des appels et des messages qui sortent de l’ordinaire et de leur rhétorique éculée. Confiée à des profession­nels indépendan­ts du pouvoir et de ses affairiste­s attitrés, qui ont fait leurs preuves et qui rendront des comptes, il est vital d’engager urgemment une bataille de la communicat­ion qui cible des personnes intelligen­tes et douées de sens et non pas des administré­s qui doivent s’exécuter. Des appels qui sauront parler au coeur de ce peuple qui vient, une fois de plus, de prouver, dans l’asphyxie à l’oxygène, sa fraternité, sa générosité et son sens du sacrifice pour autrui. Des messages, nombreux et différents, clairs et attrayants dans la langue du peuple avec ses métaphores et ses mots d’esprit locaux qui seront portés par tous types de médias et de supports, y compris les espaces publicitai­res comme les panneaux et les bus. Une bataille de la communicat­ion où le matraquage, cette fois-ci, doit prendre tout son sens.

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