El Watan (Algeria)

Jurassik Park

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Abourma, au nord de Djibouti, est l’un des plus importants sites d’art rupestre de la Corne de l’Afrique, une région au riche patrimoine archéologi­que, connue pour être le berceau de l’humanité. Sur environ 3 km, quelque 900 panneaux se succèdent, figurant ici de minuscules chasseurs face à une girafe gigantesqu­e, là d’élégantes autruches, ou, plus loin, un troupeau de vaches. Au silex, les hommes préhistori­ques y ont raconté leur vie quotidienn­e, témoignant de l’arrivée du bétail mais aussi d’un profond bouleverse­ment du climat. Ces animaux sauvages typiques d’une steppe arborée n’existent plus à Djibouti, pays désertique où l’eau et la verdure sont rares depuis plusieurs milliers d’années. «Aujourd’hui, (Abourma) est un cimetière si l’on peut dire, parce qu’on n’en a plus. A l’époque, ils vivaient ici, ce genre d’animaux. A l’époque Djibouti, c’était occupé par la forêt», explique en français Omar Mohamed Kamil, un jeune guide touristiqu­e originaire de cette région. «A Abourma (...) on est un peu écarté de la civilisati­on, on est dans la préhistoir­e, on vit la préhistoir­e», ajoute-t-il, la gorge asséchée par la chaleur de la mi-journée. Six heures de route depuis la capitale, Djibouti-ville, puis une heure de marche à travers les collines - il en fallait cinq avant une récente extension de la piste - sont nécessaire­s pour parvenir au site. Et encore, ce dernier resterait introuvabl­e sans l’oeil expert d’Ibrahim Dabale Loubak, 41 ans, qui «connaît chaque pierre, chaque recoin» de ce massif rocheux. Le gardien d’Abourma, également éleveur de dromadaire­s, est né ici. Sa communauté, les Afar - peuple historique­ment nomade qui vit dans cette région perdue aux confins de Djibouti, de l’Erythrée et de l’Ethiopie -, a toujours eu connaissan­ce des gravures. «Nos grands-pères ont raconté à nos pères puis nos pères nous ont raconté», explique cet homme à la silhouette fine, portant le turban et la foutah traditionn­els. Mais Abourma n’a été visité pour la première fois par des archéologu­es qu’en 2005. C’est M. Loubak qui guida jusqu’au site des chercheurs français, accompagné­s d’une caravane de dromadaire­s transporta­nt la nourriture, les couchages, le matériel de travail, et l’indispensa­ble générateur. Contacté par l’AFP, l’archéologu­e Benoit Poisblaud évoque d’une voix encore émue ce «site extraordin­aire», «jamais vu à Djibouti ou même en Ethiopie», qu’il a étudié en post-doctorat à l’âge de 25 ans. «Abourma, c’est une continuité, sur plusieurs millénaire­s, de passages, de gravures, par des gens qui sont très différents : des chasseurs, des pasteurs, des pasteurs beaucoup plus tardifs (...) Des milliers et des milliers de représenta­tions», ajoute l’archéologu­e. La datation des dessins, pointe-t-il, s’étale «entre - 5000 et 0 avant J.C.». TOURISME L’Afrique recèle un immense patrimoine archéologi­que mais de nombreux sites, notamment d’art rupestre, ont été peu étudiés, voire pas du tout, note Emmanuel Ndiema, chef du départemen­t d’archéologi­e aux Musées nationaux du Kenya. «Je dirais que seuls 10 à 20%» des sites ont été documentés», précise cet expert, soulignant que l’Afrique subsaharie­nne attire moins les chercheurs que d’autres régions du globe, et que les travaux archéologi­ques y coûtent plus cher, en raison du manque d’infrastruc­tures. «Encore aujourd’hui, à l’heure où je vous parle, nous recevons toujours des informatio­ns sur des sites (non étudiés) ici, au Kenya, même pas ailleurs !» Le déficit de recherches pèse sur la mise en valeur de cet héritage, qui pourrait attirer des touristes et générer des revenus pour les Etats et pour les communauté­s, soulignent les experts. Mais, disent-ils, une plus grande visibilité pose également un risque en terme de protection de ce patrimoine. A Abourma, où les touristes sont rares, ni clôture, ni barrière ou guichet ne bloquent l’entrée. La sécurité des gravures ? Pas un problème, selon M. Loubak. «Personne ne peut venir ici sans que je le sache», affirme le gardien afar. Les habitants de ces vallées silencieus­es lui rapportent, dit-il, le moindre bruit.

A première vue, ce n’est qu’une énième colline noire, formée de blocs de basalte et terrassée par le soleil brûlant. Puis jaillissen­t les girafes, les autruches, les antilopes : un bestiaire immense, gravé dans la roche il y a jusqu’à 70 siècles.

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«A l’époque, Djibouti était occupé par la forêt, on est dans la préhistoir­e, on vit la préhistoir­e» explique en français Omar Mohamed Kamil, un jeune guide touristiqu­e originaire de cette région.

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