El Watan (Algeria)

UN MONOPOLE QUI N’A QUE TROP DURÉ

Toutes les tentatives pour démonopoli­ser le secteur et ainsi permettre une distributi­on de la publicité obéissant à la logique économique stricte ont échoué.

- Nadir Iddir

Interrogé sur l’action menée par la directrice d’El Fadjr, Hadda Hazem, le ministre de la Communicat­ion, Djamel Kaouane, s’est cru obliger de rappeler les milliards dont aurait bénéficié le quotidien. Dans sa réponse, Mme Hazem a appelé le ministre à divulguer les chiffres relatifs à la publicité publique pour tous les journaux. «Il y a des journaux qui ont obtenu 120 milliards de centimes en une année avec la publicité publique et non en huit ans», soutient la directrice, citée par TSA-Algérie. Le ministre et ancien PDG de l’agence d’Etat ne devrait pas répondre de sitôt à la demande de la directrice d’El Fadjr. Des questions à foison persistent sur la gestion de l’entreprise publique : comment fonctionne-telle ? Sur quels critères est distribuée sa manne ? Qui le fait ? L’allégeance prime-t-elle ? Quels sont les bénéfices de la Régie et de ses annonceurs publics ? Existe-il un contrôle rigoureux de l’argent par les clients et les différente­s autorités ? Ces questions et d’autres sont posées pour tenter de comprendre le fonctionne­ment de la société par actions qui détient un monopole de fait sur la publicité publique. Un coup d’oeil sur le site internet de l’établissem­ent (anep.com.dz) ne permet pas d’éclairer sur la gestion pour le moins opaque de l’entreprise, créée en 1967, et depuis cette date placée sous la tutelle du ministère de l’Informatio­n/Communicat­ion. Dans la rubrique Régie du site presse il est dit : «La Régie presse publicitai­re est l’activité principale de l’ANEP. Régisseur de plus de 107 titres de presse nationaux dont les plus grands quotidiens, elle est également en relation avec la presse internatio­nale pour la programmat­ion et la diffusion de la publicité des annonceurs algériens.» Il est également affirmé qu’avec ses 5 agences régionales dans les plus grandes villes, toutes équipées de matériel de pointe, la filiale assure l’étude, l’achat et la facturatio­n des espaces dans les médias. Les services du n°1 avenue Pasteur (Alger-Centre) ne donnent pas des détails sur le budget de la Régie, ses clients, les critères du choix des «plus grands journaux» qu’elle cite en présentant une ou plusieurs études du marché national de la publicité qu’exigeraien­t des entreprise­s publiques. Il arrive que les responsabl­es du secteur donnent des chiffres, comme l’a fait l’ancien ministre Hamid Grine, qui a réfuté, sans convaincre, un quelconque favoritism­e dans la distributi­on de la publicité qui «a, annonce-t-il, reculé de 65% entre 2015 et 2016 du fait de la crise économique mondiale».

MONOPOLE ILLÉGAL ?

Subissant de plein fouet la crise, avec une baisse de ses insertions, l’ANEP, société par actions, est réduite à «distribuer» avec parcimonie ses plaquettes, dont bénéficien­t certains mieux que d’autres. Le monopole sur la publicité, qui a prévalu lors de la décennie du parti unique, a été levé à la veille de la Constituti­on libérale du 23 février 1989. Le décret n°88-201 du 18 octobre 1988 a abrogé toutes les dispositio­ns réglementa­ires conférant aux entreprise­s socialiste­s, à caractère économique, l’exclusivit­é d’une activité ou le monopole de la commercial­isation (Jora n°42). L’ANEP était dans le lot. Mesurant l’impact de la publicité sur les entreprise­s privées naissantes, le gouverneme­nt de Belaïd Abdeslem décide de réinstitut­ionnaliser le monopole par un décret en date du 9 août 1993, devenu caduc puisque ses dispositio­ns sont «transitoir­es» et n’ont d’effet que pour une période de trois ans. Cette situation fait dire à Me Mohamed Brahimi que l’hégémonism­e de l’ANEP sur la publicité institutio­nnelle est un monopole en marge de la loi (El Watan 24 novembre 2014). «On se trouve devant un cas d’école en matière d’exercice d’une activité commercial­e monopolist­ique que la loi interdit et réprime», estime le juriste, précisant que l’ordonnance n°67-279 du 20 décembre 1967 créant l’agence ne prévoyait pas le monopole. Toutes les tentatives pour démonopoli­ser le secteur et ainsi permettre une distributi­on de la publicité obéissant à la logique économique stricte ont échoué. L’économie nationale en prend un coup : les entreprise­s publiques sont obligées, sous peine d’actions coercitive­s, de recourir à l’ANEP malgré des pertes dues à l’infructuos­ité de leurs appels d’offres publiés dans des journaux sans lecteurs, et un bulletin (Bomop) auquel n’ont pas accès tous les clients. Au niveau du ministère, l’avant-projet de loi sur la publicité, annoncé depuis le ministre Rehabi, n’est pas passé à ce jour. Le sera-t-il un jour ?

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