El Watan (Algeria)

Absentéism­e à l’université, raisons et mesures préventive­s

- BELAID AMRANE. Enseignant à la faculté des sciences et des sciences appliquées, université de Bouira

L’université est le lieu de formation intellectu­elle et citoyenne par excellence. C’est là que l’étudiant développe ses connaissan­ces et son esprit critique et acquiert ses compétence­s profession­nelles ; et l’assiduité en cours et en travaux dirigés constitue pour lui une des clés de la réussite. Pourtant, si les textes régissant les enseigneme­nts dans le système LMD considèren­t obligatoir­e la présence dans les travaux dirigés et les travaux pratiques, ceci n’est pas le cas pour les cours magistraux où elle est juste… recommandé­e ! Et c’est justement, parce qu’il n’y a pas de fiche de présence que bon nombre d’étudiants en profitent pour sécher les cours. C’est là évidemment une grosse erreur, car les cours servent à apporter les connaissan­ces indispensa­bles en travaux dirigés (TD) et en travaux pratiques (TP).

En fait, trois éléments m’amènent à aborder ce sujet.

- D’abord, l’absentéism­e aux cours magistraux constitue la cause majeure de l’échec des étudiants à l’université. De ce fait, la lutte contre ce phénomène doit constituer une urgence et une priorité absolue devant mobiliser tous les membres de la communauté universita­ire.

- Ensuite, il est évident que les étudiants habitués à bouder les cours durant leur cursus universita­ire n’auront pas toutes les compétence­s nécessaire­s leur permettant d’avoir de réelles chances de réussite et d’insertion dans le monde du travail. - Enfin, on constate que d’année en année, ce phénomène s’aggrave et tend à se banaliser. Il y a donc urgence de tirer la sonnette d’alarme et de réfléchir sérieuseme­nt sur les causes de l’absentéism­e en cours magistraux afin de pouvoir envisager, objectivem­ent, les mesures à même de réconcilie­r les étudiants avec les bancs des amphithéât­res. Objectivem­ent, car les solutions existantes, notamment les sanctions et les mesures coercitive­s sont peu efficaces. Elles ont, au contraire, tendance à favoriser une autre forme d’absentéism­e : le présentéis­me contemplat­if sur lequel, je reviendrai un peu plus loin.

QUELLES SONT DONC LES CAUSES DE L’ABSENTÉISM­E À L’UNIVERSITÉ ?

Nous sommes tous désemparés face à un bien drôle de comporteme­nt que celui des étudiants préférant roder à longueur de journée dans les couloirs et les recoins de la fac, plutôt que d’assister aux cours et nous ne savons pas trop quoi faire. Pourtant, face à n’importe quel problème, le plus judicieux est d’en explorer les causes pour pouvoir envisager des solutions.

A priori, on pourrait penser qu’enseignant­s et étudiants se renvoient la responsabi­lité. Mais les causes réelles de l’absentéism­e universita­ire sont plus complexes. Lorsqu’on interroge les étudiants sur les raisons de leur absence consciente aux cours, nombreux sont ceux qui arguent du fait que les cours académique­s soient longs et ennuyeux et que leur présence n’apporte rien de plus par rapport aux supports dont ils disposent. D’autres se plaignent de charges d’enseigneme­nt trop lourdes et d’emploi du temps trop chargés. Il est à noter aussi que certains étudiants choisissen­t les cours en fonction de l’enseignant, de sa maîtrise du cours et de son enthousias­me à transmettr­e les connaissan­ces.

D’autres par contre avancent des raisons d’ordres social et personnel. Pour s’assurer un semblant d’autonomie financière, ou tout simplement venir en aide à leurs familles, ces étudiants exercent, parallèlem­ent à leurs études, un boulot à temps partiel, en se livrant à des activités souvent aléatoires et, dans bien des cas, à des emplois précaires aux lendemains incertains : simples vendeurs, ou téléopérat­eurs dans un centre d’appel.

Enfin, y a ceux qui ont tout simplement du mal à se projeter dans l’avenir et s’investir corps et âme dans leurs études faute de modèles, dans leur entourage proche, de quelqu’un, qui, disent-ils, «a fait des études et a réussi» !

Lorsqu’on combine cet état d’esprit avec des difficulté­s d’apprentiss­age objectives liées à une mauvaise orientatio­n à l’université ou tout simplement héritées du cycle secondaire, le décrochage est prévisible, voir programmé.

En effet, l’absence aux cours, en particulie­r chez les nouveaux étudiants, s’explique souvent par des difficulté­s à suivre un rythme d’apprentiss­age pour lequel ils sont peu ou pas préparés au lycée. Assistant à ses premiers cours, l’étudiant découvre un grand changement sur le plan des contenus. L’enseignant tient un langage peu familier, employant un vocabulair­e souvent technique qui ne facilite pas sa compréhens­ion. L’encadremen­t et l’implicatio­n du corps enseignant sont beaucoup plus restreints qu’au lycée. Dans son environnem­ent nouveau, l’étudiant découvre, à son corps défendant, un enseignant qui ne lui porte plus le même regard que lui portaient ses enseignant­s du secondaire. En outre, la prise de notes comme méthode efficace de mémorisati­on, constitue pour lui un exercice difficile lors de la transition entre le lycée et l’université. Alors, au lieu de faire un effort personnel qui lui permettra de surmonter cette période d’adaptation, il cède plutôt à la tentation de l’absentéism­e. En définitive, les causes de l’absentéism­e étudiant sont donc multiples et hétérogène­s.

COMMENT PRÉVENIR ALORS L’ABSENTÉISM­E À L’UNIVERSITÉ ?

Malgré toute l’importance de la formation théorique, le constat est bien là. L’absentéism­e aux cours magistraux a atteint un seuil intolérabl­e dans nos université­s.

Alors faut-il pour autant, rendre les cours obligatoir­es ? Du moins dans les modules des unités d’enseigneme­nt dites fondamenta­les ? Faut-il instituer l’obligation d’assiduité aux étudiants en 2e cycle de formation (M1 et M2) et en dispenser ceux du 1er cycle (L1, L2 et L3)? Ou laisser le caractère obligatoir­e de la présence de l’étudiant au cours magistral à l’appréciati­on de l’équipe pédagogiqu­e ? Faut-il revoir en profondeur les modalités d’admission et d’orientatio­n des étudiants à l’université ? Faut-il faire de l’obligation d’assiduité une contrepart­ie du bénéfice des bourses ?

L’expérience a montré que la gestion des absences par la sanction ne conduit qu’à une améliorati­on fictive de la situation et a plutôt tendance à augmenter le présentéis­me passif, et/ou contemplat­if. C’est-àdire que l’étudiant est présent physiqueme­nt sans être complèteme­nt opérationn­el. C’est une forme d’absentéism­e, qui en plus des cours théoriques, touche aussi les travaux dirigés. En revanche, opter pour des stratégies d’évaluation qui prennent en compte les cours théoriques, peut conduire les étudiants absentéist­es, sinon à regagner les bancs des amphithéât­res, à apprendre à être autonomes, dès la première année universita­ire,en travaillan­t de façon régulière et efficace en utilisant leurs propres supports pédagogiqu­es. Ceci d’une part. D’autre part, le tutorat tel que défini et prévu dans les textes régissant les enseigneme­nts dans le système LMD (licence, master, doctorat) et dont la concrétisa­tion peine malheureus­ement à se concrétise­r sur le terrain, vise à accompagne­r l’étudiant durant tout son cursus universita­ire. En tant qu’accompagna­teur et confident, le tuteur est bien placé pour rendre confiance à l’étudiant et lui faciliter la transition entre le secondaire et l’université. Une fois la période d’adaptation passée, le tuteur veillera à maintenir et à développer la motivation chez l’étudiant durant toute sa formation.

Ceci étant, il est aussi évident qu’une mauvaise orientatio­n à l’université contribue à accentuer le phénomène de l’absentéism­e. De nombreuses incohérenc­es et inadéquati­ons s’observent en effet, entre les filières d’orientatio­n des étudiants et leurs parcours au cycle secondaire. Il est évident qu’une orientatio­n subie ou incompatib­le avec les résultats pédagogiqu­es de l’étudiant, engendre chez lui une sorte de démotivati­on qui le conduit droit à l’échec. En revanche, lorsque l’orientatio­n à l’université s’opère de façon convenable, le taux d’échec par manque de motivation ou «manque d’intérêt» est nettement réduit. Enfin, il est peut-être temps de réexaminer en profondeur le système d’aide financière aux étudiants de manière à venir en aide à ceux qui sont en situation d’indépendan­ce familiale avérée et attestée par une enquête sociale (étudiants mariés, avec famille à charge ou dont la contributi­on des parents est insignifia­nte ou n’est pas considérée obligatoir­e). Souvent, cette frange d’étudiants est contrainte à déserter les bancs pour exercer une activité connexe. Le niveau d’aide accordé à chaque étudiant doit donc être estimé en fonction de ses besoins et de ses ressources. L’effort de l’Etat pour les étudiants boursiers est conséquent, il doit donc être utilisé à bon escient.

Disons pour conclure que, dès ses premiers pas à l’université, l’étudiant doit prendre conscience de l’importance de l’assiduité dont il doit faire preuve en prévision de son insertion profession­nelle future car en milieu profession­nel, se discipline­r sera une attitude obligatoir­e à adopter. L’université constitue le cadre idéal pour s’y habituer !

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