El Watan (Algeria)

L’Organisati­on des Nations unies provoque l’ire de l’armée birmane

Pour l’armée birmane, le rapport de la MEF relève d’une ingérence des Nations unies dans les affaires intérieure­s du pays.

- Amnay Idir

L’Organisati­on des Nations unies (ONU) «n’a pas le droit d’interférer» dans les affaires birmanes. Ainsi a réagi hier le chef de l’armée Min Aung Hlaing, l’homme le plus puissant de Birmanie, à un rapport d’une mission d’enquête onusienne, relayé par des médias. Rapport publié la semaine dernière, qui accuse les militaires birmans de «crimes contre l’humanité» et de «crimes de guerre» en référence à la répression menée contre les musulmans rohingyas. La déclaratio­n de Min Aung Hlaing intervient alors que les enquêteurs de l’ONU ont demandé que six hauts responsabl­es de l’armée, dont il fait partie, soient poursuivis devant la justice internatio­nale pour «génocide». «Aucun pays, aucune organisati­on et aucun groupe n’a le droit d’interférer» dans la politique de notre pays, a-t-il affirmé dans le journal officiel de l’armée. Il a exclu l’hypothèse d’un éventuel retrait des militaires de la vie politique, demandé par la mission onusienne. «Les pays à travers le monde choisissen­t le système démocratiq­ue qui leur convient (...). La Birmanie est sur la voie du multiparti­sme démocratiq­ue», a-t-il indiqué. Il a précisé que l’armée restera très impliquée, tant que les conflits avec les multiples rébellions ethniques du pays, dont certaines durent depuis près de 70 ans, ne seront pas réglés.

La Birmanie a déjà réfuté, fin août, le rapport en question. En effet, le porte-parole du gouverneme­nt, Zaw Htay, a indiqué ne «pas avoir autorisé» la Mission d’établissem­ent des faits (MEF) de l’ONU «à entrer en Birmanie». «C’est pourquoi nous n’acceptons aucune résolution du Conseil des droits de l’homme», a-t-il poursuivi. Il a appelé à la création d’une «commission d’enquête indépendan­te» par la Birmanie pour répondre aux «fausses allégation­s des agences de l’ONU». Aussi, le porte-parole du gouverneme­nt birman a fustigé la décision de Facebook de fermer la page du général Min Aung Hlaing, pour «violations des droits de l’homme», estimant que cette mesure nuit aux efforts du gouverneme­nt birman pour promouvoir la «réconcilia­tion nationale».

De son côté, l’ambassadeu­r birman auprès de l’ONU, Hau Do Suan, a rejeté les conclusion­s du rapport onusien et mis en cause la partialité des enquêteurs. «Le moment choisi pour rendre public de manière hâtive ce rapport, à la veille de la réunion du Conseil de sécurité, soulève de sérieuses questions», alors que le document était attendu le 18 septembre, a-t-il soutenu.

L’ÉCRASANT ORDRE KAKI

Malgré l’arrivée au pouvoir en 2016 du gouverneme­nt civil d’Aung San Suu Kyi, les militaires conservent une place importante dans l’échiquier politique birman. Ils contrôlent trois ministères régaliens (Défense, Intérieur, Frontières) et se réservent un quart des sièges au Parlement, ce qui leur permet de bloquer tout amendement constituti­onnel susceptibl­e de limiter leurs pouvoirs. Plus de 700 000 Rohingyas, minorité ethnique musulmane, ont fui en 2017 les violences des militaires birmans et de milices bouddhiste­s et se sont réfugiés au Bangladesh voisin, où ils vivent depuis dans d’immenses campements de fortune. Le rapport dresse une longue liste d’exactions à leur encontre qui constituen­t «les crimes les plus graves au regard du droit internatio­nal». Entre autres, «assassinat­s», «disparitio­ns», «tortures», «violences sexuelles» et «travail forcé».

L’armée birmane rejette ces accusation­s, assurant que sa campagne vise des rebelles rohingyas après des attaques meurtrière­s contre des postes de police en août 2017. Outre le rapport de l’ONU, la procureure de la Cour pénale internatio­nale (CPI), Fatou Bensouda, a annoncé la semaine dernière l’ouverture d’un examen préliminai­re dans ce dossier, première étape d’un processus pouvant aboutir à une enquête formelle du tribunal basé à La Haye et, éventuelle­ment, à des accusation­s. Les experts estiment toutefois que cette procédure sera longue et semée d’embûches.

Aung San Suu Kyi n’a à ce jour pas réagi au dernier rapport de l’ONU. Très critiquée pour ses silences sur la crise des Rohingyas, la prix Nobel de la Paix n’a pas été épargnée par l’ONU qui déplore qu’elle n’ait «pas utilisé sa position de facto de chef du gouverneme­nt, ni son autorité morale, pour contrer ou empêcher» les violences. Quelques jours avant le rapport final de l’ONU, Aung San Suu Kyi s’était contentée de dire que l’armée aurait pu «mieux gérer» la crise.

La Constituti­on birmane de 1947 reconnaît aux Rohingyas un statut légal et le droit de vote. Mais l’instaurati­on en 1962 de la dictature militaire complique la situation pour les nombreuses minorités ethniques du pays, dont les droits sont niés par le pouvoir central. En 1978 puis en 1991-1992, une campagne de répression de l’armée pousse quelque 250 000 Rohingyas à se réfugier au Bangladesh. Certains parmi eux sont revenus, sous la contrainte de Dacca. La loi birmane sur la nationalit­é de 1982 a laissé les Rohingyas apatrides. Estimant qu’ils ne pouvaient fournir la preuve de leur présence sur le territoire avant 1823 (soit avant la première guerre anglobirma­ne), la nationalit­é birmane leur a été retirée. L’autodissol­ution de la junte en 2011 marque une nouvelle phase avec une montée du bouddhisme extrémiste, porté notamment par un groupe de moines. Ces tensions aboutissen­t en 2012 à de violents affronteme­nts intercommu­nautaires dans le pays. Le 5 septembre 2017, Aung San Suu Kyi a déclaré que la situation en Arakan est noyée sous un «iceberg de désinforma­tions». Propos qui ne cadrent pas avec son statut des années 1990 et 2000, qui fait d’elle le symbole de la lutte contre le régime militaire. Ce qui lui a valu d’être retenue en résidence surveillée durant près de 15 ans. Elle a nommé en août 2016 une commission d’enquête sur les Rohingyas présidée par Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’ONU. Celle-ci a recommandé dans son rapport la révision de la législatio­n de 1982 sur la citoyennet­é.

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Les réfugiés rohingyas dans un camp au Bangladesh

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