Le SMIG judiciaire
L'étau se resserre de plus en plus autour des Bouteflika. Réclamés avec force par la défense des Premiers ministres, ministres et hommes d'affaires incarcérés pour des faits de «corruption» et d'«octroi d'indus avantages», pour être entendus par la justice, l'ancien Président déchu et son frère cadet, exconseiller à la présidence de la République, n'ont pas répondu jusque-là aux convocations de la justice émises dans le cadre des procès en cours ou des affaires jugées. Pas même en qualité de témoins. L’unique fois où il avait été extrait de sa cellule de la prison de Blida où il est incarcéré pour une affaire de «complot contre la sûreté de l’Etat», Saïd Bouteflika, convoqué en tant que témoin par la justice, avait fait une apparition furtive au tribunal, refusant de répondre aux questions du juge avant de rejoindre précipitamment sa cellule. Quant à Abdelaziz Bouteflika, tant que la stratégie de la défense des prévenus était mue par le souci de ne pas l'impliquer dans leurs démêlés judiciaires, il s’était presque fait oublier. Les derniers aveux devant le juge des anciens Premiers ministres, Abdelmalek Sellal et Ahmed Ouyahia, ainsi que d’anciens ministres, jurant qu’ils n’avaient fait qu’exécuter des ordres hiérarchiques en tant que simples commis de l’Etat, pour tenter de se dédouaner de toute responsabilité des lourdes charges retenues contre eux par la justice, pourraient donner une nouvelle tournure au procès. Si, bien évidemment, cette porte entrebâillée n’est pas refermée. Cela permettra d’ouvrir le vrai procès qu’attend l’opinion : celui de la gouvernance de Bouteflika. Même plus, celui plus globalement du système, s’il y a une réelle volonté politique d’aller plus loin dans le diagnostic du mal qui ronge le pays. Le pouvoir ne peut pas ignorer cette requête légitime, au risque d’être accusé de duplicité avec l’ancien Président déchu, voire plus, de chercher à reproduire le système sous un nouvel apparat de démocratie formelle. Des raisons humanitaires – la maladie de Bouteflika – mais, sans doute, bien plus que cela : des motivations d'ordre politique liées à la crainte d'ouvrir un procès qui pourrait échapper à tout contrôle, ont empêché la machine judiciaire de s'emballer. Soulever le couvercle de la gouvernance du règne de Bouteflika, même en s’entourant d’infinies précautions pour éviter des retours de flammes, en limitant l’audit au dernier mandat de trop de son règne, pourrait réserver bien des surprises avec le risque de raviver la lutte des clans au sein du sérail. Le débat avait déjà fait polémique lorsque les procès des hauts responsables de l'Etat et des hommes d'affaires proches de Bouteflika avaient été ouverts par la justice. On avait parlé de règlements de comptes entre clans du pouvoir, considérant que seule une justice indépendante et des institutions crédibles ont la légitimité de faire ce travail d'évaluation qui part dans tous les sens avec des accusations et des chiffres sur l’ampleur de la dilapidation des deniers publics à donner le tournis, sans que l'origine du mal ne soit diagnostiquée et sériée. La réponse timorée du président Tebboune au journaliste de France 24 qui l’interrogeait sur l'éventualité de l'audition de l'ancien Président par la justice, affirmant sur un ton diplomatique ne pas voir l’utilité d’une telle procédure, tout en renvoyant la patate chaude à la justice, renseigne sur la difficulté qu’éprouve le pouvoir à engager cette bataille judiciaire dont il mesure les risques sur les équilibres des forces déjà précaires et fragiles qui le composent. La presse a annoncé en début de semaine la convocation prochaine par la justice civile de Saïd Bouteflika pour être entendu sur ce qui se dit sur le pouvoir de l'ombre qu'il aurait exercé en lieu et place de son frère Président depuis la maladie de ce dernier. Si l’information se confirme, ce sera un pas important pour donner des noms et des visages aux forces extra-constitutionnelles, sans exclusive, qui ont opéré, à un niveau ou à un autre, le coup de force institutionnel et constitutionnel du détournement du mandat présidentiel qui a accéléré le délitement du pays. L'étape actuelle exige un SMIG judiciaire que le pouvoir se doit d’assurer pour crédibiliser les procès en cours, éviter les règlements de comptes,