Acadie Nouvelle

Les vraies raisons de la lutte contre le terrorisme

Qu’on le dise d’emblée, la rhétorique utilisée dans le cadre de la lutte contre le terrorisme qui tend à opposer la civilisati­on occidental­e au «barbarisme islamique» pose problème.

- Jean-François Caron Politologu­e et auteur du livre La guerre juste: les enjeux éthiques de la guerre au 21e siècle (Presses de l’Université Laval).

Ce discours, qui semble avoir donné raison à Samuel Huntington, qui soutenait en 1996 que l’avenir des conflits mondiaux serait déterminé par des guerres entre civilisati­ons, est entretenu à grands traits par de nombreux occidentau­x. Ce fut notamment le cas de Nicolas Sarkozy qui a déclaré dans le sillage des attentats contre l’hebdomadai­re Charlie Hebdo que cet acte constituai­t une «déclaratio­n de guerre à la civilisati­on», de Tony Blair, George W. Bush et de Donald Rumsfeld. Les conséquenc­es de cette rhétorique ne peuvent être ignorées: ce type de discours nous entraîne sur le chemin de la «guerre morale» où l’usage de la force armée trouve sa justificat­ion sur la base de l’identité de notre ennemi.

Le fait de penser le recours à la force autour de cette idée pave la voie à de tristes amalgames pour les individus qui appartienn­ent par défaut au groupe que l’on combat. Dans le cas qui nous occupe, il en vient à se créer un raccourci entre «les musulmans» et «le terrorisme». Cette confusion implicite a été perceptibl­e dans le cadre des récents événements entourant la possibilit­é qu’ont les femmes portant un voile intégral de prêter le serment de citoyennet­é ou encore du traitement réservé à Rania ElAlloul qui s’est vue refuser le droit de plaider un litige par une juge de la Cour du Québec en raison du fait qu’elle portait un hijab. À force de répéter tel un mantra que les barbares sont à nos portes, le risque est grand qu’il ne se crée en retour une réaction anti-musulmane au sein de la société canadienne. La simple lecture des blogues sur le web permet de constater que ce phénomène est déjà bien présent. Il s’agit d’une dérive contre laquelle il faut lutter.

Dans cette perspectiv­e, il est nécessaire de repenser les fondements de notre lutte contre le terrorisme à la lumière d’une idée beaucoup moins générale que la simple identité de notre adversaire. La clé se trouve à mon avis dans le droit à la légitime défense. En vertu des fondements de nos sociétés, les États ont la responsabi­lité de garantir le droit à la vie et à la sécurité de leurs citoyens. Les dirigeants doivent en conséquenc­e utiliser les moyens nécessaire­s à l’atteinte de cette fin, notamment de lutter contre les ennemis intérieurs et extérieurs qui menacent la vie de leurs citoyens.

La légitime défense est ce qui permet de valider la thèse du recours à des mesures violentes contre les terroriste­s d’aujourd’hui. En effet, l’analyse des mouvements terroriste­s contempora­ins tend à montrer que ces groupes ciblent indistinct­ement tant les combattant­s que les non-combattant­s. Pour le dire autrement, les terrorisme­s contempora­ins font de la guerre totale l’essence de leur stratégie politique. C’est précisémen­t cette façon de faire que nous devons combattre et qui doit être au coeur de notre logique de la résistance.

Or, il faut le noter, ce non-respect de la distinctio­n entre combattant­s et noncombatt­ants par les groupes terroriste­s contempora­ins marque une rupture fondamenta­le avec la situation qui prévalaien­t jusqu’au milieu des années 1990. Comme l’a noté l’historien Walter Laqueur deux ans avant les événements du 11 septembre 2001, les mouvements terroriste­s d’aujourd’hui ont opéré une rupture paradigmat­ique à cet égard. Selon lui, cette révolution tourne essentiell­ement autour de la volonté qu’ont ces groupes d’étendre la violence et la terreur à toute la société et non plus seulement à l’égard des forces combattant­es. Ainsi, les anciens groupes terroriste­s s’efforçaien­t de prendre pour cible que les individus associés à la force combattant­e des États, tels les chefs d’État, les soldats ou membres des forces policières. Il est possible de penser notamment au groupe russe Narodnaïa Volia qui militait pour le renverseme­nt de la volonté despotique des tsars au profit de la volonté du peuple qui avait décrété la chasse au « gibier impérial » qui mena à l’assassinat du tsar Alexandre II en 1881. On peut également faire référence à la Main noire qui, dans sa lutte pour l’indépendan­ce et l’union politique de tous les Serbes, s’en prit à l’archiduc François-Ferdinand en juin 1914 : assassinat qui déclencha la Première Guerre mondiale. Cette distinctio­n entre civils et combattant­s fut également respectée par l’IRA qui concentra ses actions de guérilla uniquement à l’en- contre seconds, à savoir les policiers, les soldats et représenta­nts de l’État britanniqu­e – l’assassinat de Lord Louis Mountbatte­n en 1979 étant le meilleur exemple à cet égard. Cette distinctio­n est aujourd’hui révolue. Dorénavant, les groupes terroriste­s s’en prennent indistinct­ement à tous les membres d’une société ennemie.

Pareille conceptual­isation de notre combat contre le terrorisme a l’avantage de cibler directemen­t les raisons pour lesquelles nous devons nous mobiliser contre la menace terroriste. Cette logique permet notamment d’éviter les amalgames pouvant affecter des couches de la population qui se retrouvent des victimes collatéral­es des actions posées par des in- dividus qui s’adonnent à partager la même religion.

La guerre contre le terrorisme contempora­in ne se fait donc pas contre une religion. Elle se fait plutôt contre une manière immorale qu’a notre ennemi de faire la guerre et contre laquelle nos États ont la responsabi­lité de nous protéger au nom de la légitime défense. Or, cette façon de combattre n’est pas le seul apanage des musulmans. En effet, il ne faudrait pas oublier que cette manière de combattre a été inventée en 1995 par la secte japonaise Aum Shinriky qui avait mené une opération terroriste dans le métro de Tokyo à l’aide de gaz sarin qui causa 12 morts et plus de 5500 blessés.

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La Presse Canadienne: Graham Hughes La confusion implicite entre islam et terrorisme a été perceptibl­e dans le cadre des récents événements entourant la possibilit­é qu’ont les femmes portant un voile intégral de prêter le serment de citoyennet­é ou encore du traitement réservé à Rania El-Alloul qui s’est vue refuser le droit de plaider un litige par une juge de la Cour du Québec en raison du fait qu’elle portait un hijab. -

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