DE NOUVELLES QUESTIONS SANS RÉPONSES
Les forces de l’ordre n’ont pas l’habitude d’intervenir uniquement sur la base d’un tuyau refilé à Échec au crime
Est-ce sur la foi d’une seule information anonyme à Échec au crime que les policiers ont décidé d’intercepter Michel Vienneau à la gare de Bathurst, le 12 janvier?
Selon une criminologue, ce n’est pas l’habitude des forces de l’ordre d’agir ainsi. Sauf que tous les éléments ne sont pas encore disponibles afin de conclure si les policiers se sont fiés à cette unique source ou si d’autres renseignements avaient déjà été compilés sur l’homme d’affaires de Tracadie.
Dans le cadre de la poursuite civile d’Annick Basque, le sergent Desilva de la GRC souligne qu’il a lu à 9 h 52 le matin du drame, le 12 janvier, un tuyau d’Échec au crime.
L’informateur anonyme alléguait, la veille par courriel, que Michel Vienneau et sa compagne Annick Basque auraient en leur possession un chargement de drogues à leur retour en train, dont l’arrivée était prévue le lendemain à 8 h.
Lorsqu’un préposé d’Échec au crime a posé d’autres questions à l’informateur, celuici a précisé que ce serait des pilules et a décrit la voiture des membres du couple VienneauBasque, leur âge et leur lieu de résidence.
L’information a été refilée au service antidrogue de la police de Bathurst. La narration du sergent révèle qu’un de ses collègues a confirmé, en consultant une base de données, que M. Vienneau était bien le propriétaire du véhicule décrit (une Chevrolet Cruze).
Parce que le train avait du retard, cinq agents de l’Unité d’intelligence du Nord-Est sont donc partis pour la gare VIA Rail. À 11 h 25, le sergent, qui était resté au bureau, a entendu par radio « Shots fired » et l’appel pour des soins médicaux.
Michel Vienneau, âgé de 51 ans, a été mortellement touché par balles par un gendarme de Bathurst, à bord de son véhicule. Lui et sa compagne revenaient d’un court séjour à Montréal où ils étaient allés voir un match de hockey.
Échec au crime est un programme géré par des bénévoles. Sa mission est de prévenir et de résoudre des crimes. L’identité des dénonciateurs est protégée par une décision de la Cour Suprême de 1997 et n’est même pas connue par le personnel de l’organisme.
«Le personnel d’Échec au crime ne confirme jamais s’il a collaboré à une enquête et n’encourage aucune organisation à publier de l’information laissant entendre qu’il a transmis des renseignements à la police dans le cadre d’une enquête», peut-on lire dans une déclaration transmise à l’Acadie Nouvelle, mardi.
«Dans le cas présent, même si le rapport de police mentionne, comme il le devait, qu’un renseignement a été fourni, aucun détail permettant d’identifier la source n’a été dévoilé. Échec au crime continue de faire tout ce qui est en son pouvoir afin de protéger, en tout temps, l’anonymat des gens lui fournissant des renseignements.»
Cependant, il est énoncé sur le site internet de la branche néo-brunswickoise, que ceux qui sont chargés de l’application de la loi, tels que les policiers, ne peuvent pas obtenir un mandat de perquisition ou faire une arrestation uniquement à cause d’un renseignement anonyme.
«Ils doivent les examiner soigneusement et en obtenir d’autres sources afin de pouvoir garantir qu’ils sont corrects et n’ont pas été fournis de manière malintentionnée afin de monter un coup contre quelqu’un», est-il écrit.
Marie-Andrée Pelland, criminologue à l’Université de Moncton, affirme qu’en général, les policiers accumulent des renseignements sur quelqu’un et n’interviennent pas sur un coup de tête, en se fiant uniquement à un ouï-dire. Était-ce le cas le matin du 12 janvier?
«Habituellement, les policiers n’agiront pas sur une seule info d’Échec au crime. Ils vont se servir de ça pour guider leurs recherches de preuve. Il se peut que l’info anonyme ait déclenchée une opération policière parce qu’il y avait des renseignements ou des preuves précédemment contre M. Vienneau. Est-ce que ce fut la goutte d’eau qui a favorisé l’intervention?», soulève l’experte en criminologie.
«Est-ce que l’information d’Échec au crime venait confirmer une enquête préalable ou elle a précipité une intervention mal planifiée par les policiers? Il faut se garder une petite réserve avant de porter un jugement parce que nous ne savons pas ce que la police savait sur la victime avant d’obtenir l’info d’Échec au crime», insiste Mme Pelland.
Le rapport d’enquête de la fusillade, conduite par la GRC de la Nouvelle-Écosse, devrait contenir cet élément de réponse. Il est prêt depuis la mi-juillet, mais aucun détail de ce dossier n’a filtré. Les procureurs du service de poursuites publiques du NouveauBrunswick l’examinent afin de décider si des accusations criminelles doivent être déposées.
Annick Basque, la compagne de la victime, réclame en justice les courriels d’Échec au crime se rapportant à l’intervention qui a coûté la vie à son conjoint, le rapport de la GRC et les dossiers d’autopsie et de toxicologie que lui refusent les autorités en question.