Notre tasse de thé
C’est aujourd’hui que sera assermenté le nouveau conseil des ministres du Canada. Un chapitre inédit de l’histoire canadienne s’ouvre, avec tambours et trompettes, sous une pluie de paillettes médiatiques. Les défis de ce nouveau gouvernement seront à l’i
Voilà qui mettra fin à l’expérience Harper. On s’en souviendra surtout comme d’un gouvernement méfiant envers ses commettants, méfiant envers les groupes sociaux et culturels de toutes natures, méfiant envers les provinces, méfiant envers le monde entier.
En fait, il se méfiait de cette même démocratie qui lui donnait pourtant sa légitimité, jusqu’à ce qu’il ne se mette à glisser vers une dérive autoritaire, une attitude un tantinet trop parano au goût des Canadiens peu habitués à un gouvernement aussi secret, aussi renfermé sur lui-même. Coupé de la réalité, en somme.
Et c’est ça qui l’a perdu. Comme cela est souvent le cas lorsqu’un gouvernement perd de vue la raison pour laquelle on l’a élu.
Cela dit, non, Stephen Harper n’est pas une version nord-américaine de Saddam Hussein, ou Mouammar Kadhafi, ou Bachar el-Assad. Et, non, il n’était pas un tyran et son gouvernement n’était pas une dictature. Son gouvernement était un gouvernement de droite, la vraie droite, la droite dure, la droite idéologique sans état d’âme. Une droite qui fait peur, mais qui ne tue pas.
À nous d’apprendre et de nous en souvenir, surtout.
Alors, j’ose suggérer à ceux et celles qui n’ont de cesse de crier à la dictature ou à la tyrannie harperienne d’exercer un peu de retenue, car en fait, leurs assertions sont une injure envers les peuples, tels que les Syriens, qui vivent et périssent réellement, eux, sous les bombes d’un vrai régime tyrannique prêt à tuer son propre peuple pour sauver sa peau.
Quand on a le privilège de vivre dans une société aussi libre que la nôtre, malgré toutes ses imperfections, ce n’est pas en se travestissant avec les oripeaux des authentiques déshérités du monde qu’on donne plus de légitimité à nos revendications de bien nantis au ventre plein.
On peut néanmoins souhaiter au Parti conservateur d’avoir la capacité et le courage de remettre en question son approche rébarbative de la politique, surtout en cette époque où l’humanité a plus besoin de se retrouver dans une convivialité féconde que d’être fractionnée par une polarisation stérile.
Soyons positifs: tournons maintenant nos espérances vers le nouveau gouvernement.
Justin Trudeau arrive à la tête du gouvernement les bras chargés de promesses. Il ne pourra certes pas toutes les remplir tout de suite, mais cela n’empêche nullement les groupes d’intérêt de dicter leurs priorités.
Ainsi, à Montréal on répète que le nouveau (ou la nouvelle) ministre de l’Environnement devra impérativement régler, dès demain, le dossier des eaux usées de Montréal dans le fleuve, avant que… ça déborde…
D’aucuns croient dur comme fer que le programme des infrastructures sera en place d’ici le week-end…, tandis que certains sont convaincus que Trudeau fera libérer Raïf Badawi, le blogueur emprisonné en Arabie saoudite, au plus tard vendredi…
D’autres encore ont l’air de penser que la parité hommes-femmes promise au conseil des ministres signifiera qu’on a enfin atteint l’égalité, l’équité et l’équilibre parfaits dans les rapports hommes-femmes au Canada. Il sera intéressant d’entendre les revendications des femmes à cet égard, le 8 mars prochain…
Dans certains milieux, on est tout aussi convaincu que l’enquête promise sur la disparition de centaines de femmes autochtones au pays depuis 30 ans sera déjà enclenchée lundi prochain...
Bref, les attentes presque démesurées des Canadiens, et surtout leur impatience devant les lourdeurs bureaucratiques pourtant bien normales à prévoir dans tous ces cas, ne pourront que créer des frustrations. Aussi bien en prendre conscience tout de suite.
La plupart des engagements pris par Justin Trudeau nécessitent d’être entérinés par des lois, sans que l’on sache quand s’ouvrira la nouvelle session du Parlement et sans savoir comment se comporteront les sénateurs conservateurs qui détiennent toujours, jusqu’à nouvel ordre, la majorité au Sénat et peuvent jouer les empêcheurs de danser en rond.
Le premier ministre Trudeau a aussi indiqué qu’il comptait entreprendre une réforme du mode de scrutin, si j’ai bien compris. Je reviens donc avec ma proposition de commencer par un Sénat élu à la proportionnelle, une initiative plus facile à réaliser, dans un premier temps, qu’une réforme électorale tous azimuts, et qui, tout en réglant le problème de la représentativité du Sénat, nous donnerait un aperçu du fonctionnement d’un nouveau scrutin à la proportionnelle.
Toutefois, s’il y a un domaine où Justin Trudeau pourra faire sa marque très rapidement, c’est sur l’image amochée du Canada sur la scène internationale.
À cet égard, il peut s’estimer très chanceux: les astres sont vraiment très bien alignés puisque ce mois-ci, déjà, il pourra frayer avec des chefs d’État et de gouvernement du monde entier, à l’occasion de quatre sommets internationaux!
En effet, il participera au sommet du G20 en Turquie; à celui de l’APEC aux Philippines (21 pays); à celui du Commonwealth à Malte (53 pays); et enfin, à la 21e Conférence sur le Climat (COP21) qui débutera le 30 novembre à Paris et qui réunira des pays du monde entier.
C’est une chance inouïe pour le nouveau premier ministre de pouvoir rencontrer, en un seul mois, des centaines de chefs d’État et de gouvernement, issus de tous les continents. Il ne manque que le bon pape François!
Notre relativement jeune premier ministre a suffisamment de prestance pour briller dans ces forums où il est attendu avec anticipation et, probablement, quelques soupirs de soulagement.
Il a certainement tout le panache qu’il faut pour représenter le Canada avec intelligence et diplomatie. L’ego international magané des Canadiens ne pourra que s’en porter mieux.
À nous aujourd’hui de reprendre confiance dans l’avenir, maintenant que nous avons appris, à nos propres dépens, que la droite pure et dure, ce n’est vraiment pas notre tasse de thé!
Han, Madame?