Protection des terres agricoles: les producteurs sont inquiets pour l’avenir
Ressource rare, non renouvelable et convoitée, la terre fertile et de qualité est menacée par un manque de législation au NouveauBrunswick. Alors que plusieurs producteurs jugent la situation critique, le gouvernement promet qu’une politique sera mise en place.
Plusieurs agriculteurs sont préoccupés par la santé des sols et par la disponibilité des terres agricoles dans la province. Ils s’opposent notamment aux pratiques de certains entrepreneurs qui achètent des terres arables, fertiles et propices à la culture, pour des développements commerciaux et domiciliaires.
«Beaucoup de bonnes terres agricoles sont gaspillées, lance Paul-Émile Soucy, agriculteur à Edmundston. C’est plus facile de construire une route ou une maison sur une terre déjà défrichée.»
Robert Thériault, fondateur de Grains de l’Est à Drummond, demande une règlementation plus stricte qui préserverait les terres ayant un potentiel agricole. «On achète des terres agricoles à proximité des villes et on enlève la couche arable pour en faire des maisons et du gazon. On dilapide le territoire, c’est inacceptable!»
Le prélèvement de la couche arable est également la principale préoccupation de Jean-Eudes Chiasson, agriculteur de Rogersville. Il craint la disparition des terres cultivables. «On retire la partie productive, avec l’humus, la matière organique, les vers et toute la vie microbienne qui permettent au sol de nourrir les plantes, dit-il. On doit arrêter cette calamité-là, le sol est mort!»
Les experts estiment qu’il faut jusqu’à mille ans pour former un centimètre de sol. Le défrichement de nouvelles terres coûte cher et la remise en état de terres utilisées à des fins non agricoles est soit impossible, soit longue et très coûteuse.
Pour le moment, il n’existe aucune loi ni politique au Nouveau-Brunswick qui préserve les terres agricoles. Le gouvernement prépare donc une loi qui réglementera davantage leur utilisation et protégera les agriculteurs contre l’empiétement.
«Seulement 5 % des terres de la province sont utilisées à des fins agricoles, explique Rick Doucet, ministre de l’Agriculture, de l’Aquaculture et des Pêches. Il est donc essentiel de protéger les terres qui conviennent le mieux à ce secteur. Nous voulons un juste équilibre entre la conservation des terres agricoles et le développement non agricole.»
Son ministère a multiplié les consultations publiques cette semaine: Saint-André lundi, Bathurst mardi, Moncton jeudi. Un sommet sur l’agriculture a également eu lieu le 21 octobre à Grand-Sault. Le public a jusqu’au 31 décembre pour envoyer ses commentaires.
Une Loi sur la protection de la couche arable existe déjà et interdit à quiconque d’enlever cette couche d’une parcelle sans être titulaire d’un permis. Mais le texte manque de dents, selon l’Alliance agricole du Nouveau-Brunswick.
«Cette loi n’accorde aucune capacité d’exécution aux inspecteurs de l’environnement», indique son président Mike Bouma, qui propose aussi une définition plus inclusive de la couche arable. «Les générations futures subiront de lourdes conséquences si rien n’est fait rapidement. Sans terre, sans eau, pas de civilisation.»
D’autres provinces ont adopté depuis longtemps une règlementation bien plus contraignante pour faire cesser l’étalement urbain sur les terres agricoles de bonne qualité. La Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles du Québec a établi un territoire protégé de 63 500 km carrés en interdisant l’utilisation du sol à d’autres fins que l’agriculture et l’enlèvement de sol arable.
Déjà formulées lors du sommet de 2008, les recommandations des agriculteurs n’ont toujours pas abouti au Nouveau-Brunswick. «Il y a 45 ans, la disparition des terres était déjà d’actualité», déplore Paul-Émile Soucy.
L’alliance agricole demande que cette future politique tienne compte des particularités de chaque région et souhaite la création d’une commission chargée de collaborer avec les différents gouvernements pour préserver les terres.
«Il faut cibler la diversité du sol: ne pas planter à tous les ans la même culture, ajoute Jean-Eudes Chiasson. Après trois ans avec la même sorte de céréales, on a des problèmes et il faut augmenter l’utilisation de produits phytosanitaires.»
M. Soucy aimerait que le gouvernement prenne la responsabilité de lutter contre la surexploitation des sols. «La protection des terres est laissée aux agriculteurs, il n’y a pas d’incitatif, pas de loi. Tous ne le comprennent pas, mais la terre, elle ne t’appartient pas. Elle appartient aux générations suivantes!»
Le secteur agricole est le second producteur de biens au Nouveau-Brunswick et crée 11 000 emplois équivalents à temps plein. Il génère plus de 570 millions $ en ventes à la ferme et plus de 1 milliard $ en produits agroalimentaires transformés.