Le mythe de La Chaussée et du Loudunais
«Nous n’avons part à la gloire de nos ancêtres, qu’autant que nous nous efforçons de leur ressembler.» – Molière
Àla suite de mes premières chroniques, j’ai reçu des communications de plusieurs lecteurs qui me parlent de leurs ancêtres. Certains d’entre eux me racontent fièrement que leur ancêtre venait de La Chaussée (Landry, Robichaud, etc.) ou de Martaizé (Bourg, Savoie, etc.).
Voilà un mythe qui perdure depuis plus de 50 ans.
Dans mes chroniques, je mets en garde les généalogistes en herbe contre les ouvrages qui perpétuent certaines faussetés ou certains mythes. Voici l’exemple le plus flagrant, car il touche les origines de nombreuses familles acadiennes.
Le mythe dont je parle est né après la publication de Les parlers français d’Acadie, où la linguiste Geneviève Massignon affirmait que plusieurs des familles acadiennes arrivées dans les années 1630 et 1640 provenaient du Loudunais, soit la région autour de la ville de Loudun.
Mais elle précisait pourtant que ce n’était qu’une hypothèse de travail. On ne peut critiquer le travail de la linguiste, mais elle ouvrait une boîte de pandore.
Depuis, La Chaussée ou Martaizé sont souvent cités comme lieu d’origine de plusieurs familles acadiennes.
En plus des rapprochements linguistiques qui la mena à s’intéresser à cette région, elle basait sa thèse sur le fait que plusieurs noms de famille à consonance acadienne habitaient dans ces villages et du fait que Charles Menou d’Aulnay était un seigneur dans la région.
Si La Chaussé et Martaisé comptent de nombreux noms à consonance acadienne, on peut dire la même chose de nombreux villages entre Poitiers et La Rochelle. Ce n’est pas une preuve en soit.
Le problème n’est pas tellement l’hypothèse, car elle est valide. Le problème est que de nombreux auteurs (historiens comme généalogistes) l’ont repris comme un fait établi, sans sources crédibles pour l’appuyer. Bona Arsenault, par exemple, dans son
Histoire et généalogie des Acadiens (1965), a grandement contribué à répandre ce mythe.
«Si Geneviève Massignon en est la mère, Bona Arsenault en est le père», souligne Stephen White, du Centre d’études acadiennes de l’Université de Moncton, appelé à commenter la question.
LES BRUN SONT DE LA CHAUSSÉE
Il n’y a que deux familles documentées que l’on peut rattacher à La Chaussée.
Et pour l’une d’entre elles au moins, le doute persiste.
Nous connaissons la naissance de deux filles des pionniers Vincent Brun (Brin/Blin) et Renée (ou Vincende) Braud, soit Madeleine en 1645 et Andrée en 1646, baptisées à La Chaussée.
On connaît aussi le baptême d’une Jeanne Chebrat en 1627 à La Chaussée, fille née dans le hameau voisin de Guesne. Est-ce l’Acadienne qui épousera Jean Poirier puis Antoine Gougeon? C’est possible.
Stephen White fait la nuance dans son dictionnaire. «Nous n’avons aucune preuve que la même Jeanne Chebrat baptisée à La Chaussée en 1627 était en effet l’épouse de Jean Poirier et d’Antoine Gougeon. Il est quand même fort possible qu’il s’agisse de la même personne, vu que la famille Brun de l’Acadie était originaire de la même paroisse. De plus, les Chebrat et les Brun seraient peutêtre alliés, parce que l’épouse de Vincent Brun était une Breau et Philippe Chebrat, soeur de Jeanne, a épousé le veuf d’une Breau.»
D’AUTRES FAMILLES LOUDUNAISES?
Il y a sans doute d’autres familles qui sont originaires de la région. Mais aucune d’elle n’est documentée. En généalogie comme en histoire, c’est la documentation qui prime.
UNE THÈSE CONTESTÉE
Cette thèse a mené à de nombreux débats, le plus souvent divisés entre les défenseur de La Tour et ceux de Menou d’Aulnay.
Mais au-delà de ces guerres de tranchées, l’année suivant la publication de l’ouvrage de Mme Massignon, l’historien français Gabriel Debien publiait en 1963, dans le Bulletin de la société des antiquaires de l’Ouest, une critique de son ouvrage, en soulignant les limites et la portée de sa thèse.
Plusieurs chercheurs ont aussi tenté de trouver des documents relatifs à celle-ci.
Roland-J. Auger, par exemple, a épluché en 1977 de nombreuses études notariales à la recherche de contrats d’engagement des familles prétendues originaire du coin, mais il est reparti bredouille. On trouve pourtant des contrats pour des pionniers québécois dans le même secteur.
Plus récemment, les Archives départementales de la Vienne notaient ceci sur leur site, en parlant des documents de leur collection: «On ne trouvera parmi eux aucun document ayant directement trait aux départs d’habitants du Poitou vers l’Acadie, dès les années 1630 pour les plus précoces. Ces départs étant liés à des initiatives individuelles, les traces qu’ils ont pu laisser dans les documents sont souvent ténues et indirectes».
S’il n’y a pas de preuves documentaires que ces familles sont de la région, il n’y a pas plus de preuves qu’elles ne le sont pas. Dans plusieurs cas, les registres paroissiaux des villages concernés ne débutent qu’après le départ, ou du moins la naissance, des ancêtres qui nous intéressent.
On peut simplement dire que ces familles sont «peut-être» du Loudunais.