Bravo, Alain!
Il fait parfois froid à pierre fendre en janvier. Et c’était justement une de ces journées où on aurait nettement préféré demeurer bien au chaud près du poële à bois que dehors, les pieds et les mains gelés, à tenter d’encourager du mieux qu’on le pouvait
Alors que notre cerveau avait la seule idée d’aller se réchauffer afin de ne pas perdre le peu de neurones encore saines qui fonctionnaient, il était là, micro et enregistreuse à la main, en train de glaner ici et là les commentaires souvent inaudibles des vainqueurs et des entraîneurs, la bouche figée en raison de ce froid intense.
Alain Ménard aurait pu prendre un samedi de congé et probablement personne ne s’en serait offusqué. Ni même ses patrons, qui auraient assurément compris les conditions pour le moins difficiles auxquelles il avait à faire face en cette journée de janvier.
Mais non. Les mains et le visage aussi frigorifiés que les athlètes, il allait à leur rencontre, tentait d’obtenir d’eux et d’elles les meilleurs propos possibles alors qu’ils tentaient de reprendre leur souffre. Des propos qui allaient ensuite alimenter le contenu du bulletin sportif du lundi matin à l’émission
Le Réveil en compagnie de l’animateur Michel Doucet.
De ma position particulière, je pouvais apprécier, d’un ton non moins admiratif, ce que le travail de journaliste sportif dans un milieu comme l’Acadie pouvait nous inviter à faire, des fois dans des conditions frisant l’insensé. Car, vous l’avais-je dit qu’il faisait un froid de canard, cette journée-là?
Sports Nouveau-Brunswick va honorer, samedi à Fredericton, le travail d’un journaliste qui a su livrer sa passion du métier à travers son travail et ses multiples entrevues pendant plus de 30 ans à Radio-Canada Acadie.
Parce que Alain Ménard est probablement un monument en soi. Il a couvert presque tous les Jeux de l’Acadie. Il a été de ces compétitions sportives provinciales, atlantiques et nationales qui se déroulaient en sol acadien. Souvent, il a été celui qui a fait connaître de jeunes athlètes au potentiel certain mais encore au début de leur carrière. Il a donné une belle vitrine à des sports trop souvent relégués à quelques mots en fin de bulletin par l’omniprésence du hockey. Sa vaste expérience du sport, autant en tant qu’acteur - il a été un gardien élite et encore aujourd’hui, il pratique de nombreuses disciplines - qu’analyste, a bien su le servir pendant toutes ces années. Nous lui levons notre chapeau aujourd’hui. Car c’est amplement mérité.
Ce prix honore non seulement un grand journaliste sportif, mais il rejaillit également sur tous ceux et celles qui pratiquent un métier difficile et différent.
Un métier qui demande constamment à faire preuve d’originalité afin de ne pas ressasser tout le temps les mêmes histoires selon les mêmes formules toutes faites. Un métier qui requiert de bien connaître le sport, de préférence en le pratiquant, sinon en l’étudiant à fond. De comprendre qu’une journée ne fait pas une carrière. Que le succès de l’un a des conséquences sur l’autre. Qu’un chrono, qu’un score ou qu’une distance est bien plus qu’un résultat. Mais avant tout, il faut l’aimer.
J’ai toujours cru que le journalisme en région est aussi difficile que celui de correspondant de guerre. Notamment le journalisme sportif. Pour différentes raisons, évidemment.
La première étant la proximité: ceux et celles à qui nous tendons un micro et à qui nous posons nos questions parfois corsées sont les mêmes que l’on croise à l’épicerie, à la banque, au restaurant ou dans un aréna. Dans peut-être 95 % des cas, notre travail est positif. Des fois, surtout lorsque nous traitons d’un sujet délicat, on ne peut se fondre ensuite dans l’anonymat d’une grande ville. Nos visages sont davantage connus, avec les contraintes que ça apporte.
La deuxième est l’originalité. Dans des régions comme l’Acadie, notre étendue de sujets à traiter est assez limitée. Nous n’avons pas toujours la chance de nous entretenir quotidiennement avec des champions mondiaux ou à suivre le beat d’une formation professionnelle qui nous donne presque tout rôti dans le bec. Non. Ce sont plus souvent qu’autrement de jeunes athlètes en progression, des athlètes qui apprennent à gagner et à perdre et qui, bien malgré eux, apprennent sur le tas à saisir les responsabilités inhérentes à leurs performances. En clair, ils n’ont que très peu de notions médiatiques. Un micro leur fait peur. Un crayon et un calepin aussi. Combien de fois devons-nous leur tirer les vers du nez? Nous devons alors user de tous les petits trucs du métier pour arriver à nos fins.
Les gens ont également la perception que le journaliste sportif sait tout. Qu’il voit tout. Qu’il entend tout. Spécialement en région. Ce qui est impossible, évidemment. Nous devons souvent répéter à nos auditeurs et à nos lecteurs qu’ils sont également nos yeux et nos oreilles. Nous fonctionnons avec les moyens du bord et tentons d’établir des contacts, mais il nous est impossible d’être partout à la fois. Nous sommes encadrés, voire limités selon l’espace disponible dans un journal ou un temps d’antenne précis à la radio ou à la télévision. Nous devons donc maximiser cette tribune avec des sujets qui, nous pensons, seront les plus intéressants. Souvent, on y arrive. Parfois, on échoue. Notre métier n’a pas la science infuse. Loin de là.
Quand une organisation comme Sports Nouveau-Brunswick prend la peine d’honorer l’un des nôtres, elle honore toute notre profession. Elle n’est pas parfaite, j’en conviens, et nous ne sommes pas parfaits non plus. Ça exige des horaires variables et souvent ardus, à coup de soirées et de fins de semaine. Ça impose de nombreux sacrifices chez ceux et celles qui nous accompagnent dans nos vies privées. Mais chaque mot que nous inscrivons sur ce papier, chaque syllabes que nous prononçons dans ce micro, chaque image que nous captons dans cette caméra en vaut la peine. Nous le faisons pour tous ces athlètes qui trouvent, en nos reportages, une tribune et une forme de récompense. Nous le faisons par passion.
Bravo, Alain Ménard.