La faute au chef
Deux autres députés du Parti progressiste-conservateur n’ont pu retenir leur langue dans le dossier linguistique. Ça ne devrait plus surprendre personne.
Jake Stewart, qui est député dans la région de Miramichi, croit que le poste de commissaire aux langues officielles doit être aboli parce qu’il «divise la population».
Son collègue Jeff Carr, qui siège dans New Maryland-Sunbury (non loin de Fredericton) en a ajouté une couche, en soumettant que la commissaire Katherine d’Entremont semble avoir un préjugé défavorable envers les anglophones, du moins dans l’esprit de ses concitoyens, et en suggérant lui aussi son renvoi.
Les deux députés en mal de visibilité ont jeté de l’huile sur le feu à la suite du plus récent rapport d’enquête de la commissaire aux langues officielles sur le manque d’employés bilingues à l’accueil des édifices gouvernementaux dans la capitale.
La sortie des députés Carr et Stewart ne peut être considérée comme une erreur de parcours. Ils ont fait des déclarations explosives parce qu’ils ont la liberté de le faire.
Lors des élections de 2014, les progressistes-conservateurs n’ont fait élire qu’une seule députée acadienne. Le parti est plus anglophone et moins ouvert aux francophones qu’il ne l’a été depuis les années qui ont précédé l’arrivée au pouvoir de Richard Hatfield, en 1970. Il existe une grande frustration dans ce caucus par rapport à tout ce qui touche les dossiers linguistiques.
Dans la dernière année, le député PC Gary Crossman a soutenu qu’«on ferme des écoles, mais on offre des autobus en extra» aux petits francophones. Brian Macdonald a ajouté que les ressources limitées en éducation «ne devraient pas servir à un deuxième système d’autobus».
De son côté, Blaine Higgs a demandé l’abolition des régies Vitalité et Horizon pour créer un seul réseau bilingue, alors que Pam Lynch a déposé un projet de loi pour protéger les emplois des unilingues anglophones dans la fonction publique.
Ça commence à faire beaucoup de conservateurs (six députés sur 22, soit 27% du caucus) qui se sentent libres de casser du sucre sur le dos des francophones, de leurs institutions et de leurs acquis. Il n’y a toutefois qu’une seule personne à blâmer: le chef par intérim Bruce Fitch.
Les partis politiques sont très centralisés. On exige des membres une discipline de fer, qu’ils respectent la ligne de parti, qu’ils marchent sur leurs principes pour appuyer leurs collègues, etc.
Il y a une raison pour laquelle la personne à la tête de la formation est appelée «chef». Le patron a le dernier mot. Il a des pouvoirs énormes, y compris celui d’expulser un député récalcitrant du caucus.
Par le passé, d’autres chefs n’ont pas hésité à remettre des députés au pas. En 2004, le ministre progressiste-conservateur Tony Huntjens avait déclaré s’opposer à la dualité en éducation. Son chef Bernard Lord l’avait réprimandé et confirmé que le gouvernement n’endossait pas cette position.
En 2011, deux autres députés anglophones du PC, Glen Tait et Sherry Wilson, s’étaient plaints publiquement à leur tour. M. Tait, de Saint-Jean, avait affirmé que d’avoir deux systèmes d’éducation et deux réseaux de santé coûte trop cher et s’apparente à la ségrégation. Mme Wilson, de Petitcodiac, avait dénoncé le fait que les anglophones unilingues de sa circonscription peinent à trouver des emplois.
Le chef David Alward avait rencontré les deux députés récalcitrants et les avait forcés à s’excuser. En 2012, il avait aussi expulsé du caucus le député Jim Parrott, qui avait affirmé à la une d’un quotidien Irving que «dans le sillage de la dualité, vous trouverez la médiocrité». Il avait été réintégré un an et demi plus tard après avoir reconnu son erreur auprès de ses confrères.
Comme on peut le constater, ce n’est pas d’hier que des députés d’arrière-ban du PC montrent qu’ils ont des affinités avec l’ancien parti antibilinguisme CoR. Mais chaque fois, le chef n’a pas laissé traîné les choses et a envoyé un message clair à la population et à son caucus.
Le chef actuel, Bruce Fitch, n’a pas suivi l’exemple de Lord et d’Alward. Les députés se sentent libres de dire ce qu’ils veulent, du moins quand il s’agit des langues officielles.
M. Fitch a bien pris la parole à quelques reprises pour défendre le bilinguisme, mais toujours avec des nuances et sans critiquer la tranche plus intolérante de sa formation.
En tant que chef, il est responsable de son caucus. C’est de sa faute si son parti a dérivé à ce point.
Une bonne rencontre avec ses députés afin de mettre cartes sur table suivie de déclarations publiques fortes et sans ambiguïté du chef auraient pu mettre fin aux controverses il y a longtemps.
En laissant le champ libre à ses députés, Bruce Fitch abandonne ses responsabilités et choisit son camp.
Un camp dont sont exclus les Acadiens.