Acadie Nouvelle

Les héritiers de Sir Wilfrid Laurier

- RÉJEAN PAULIN Francopres­se

Le service au public offert par le gouverneme­nt fédéral changera son visage linguistiq­ue en 2021. La ministre du Patrimoine, Mélanie Joly, et le président du Conseil du Trésor, Scott Brison, en ont fait l’annonce récemment. Il s’agira de mieux adapter l’offre à la demande.

En clair, cela signifie que l’on va ajouter des bureaux bilingues là où ce sera justifié. Ça fait du bien au moral de l’entendre. Mais s’il ne s’agissait que de cela… Et bien non, il se peut que certains points de service soient jugés superflus.

On peut toujours rêver d’une fonction publique intégralem­ent bilingue, en tout point conforme à l’idéal d’égalité de la Charte et de la Loi sur les langues officielle­s (LLO), mais la réalité prendra toujours le dessus sur la chimère. Impossible de faire autrement. L’idéal restera un idéal.

C’est pour cette raison que des francophon­es habitués à se faire servir dans leur langue dans les plus anglaises des régions du pays risquent un jour de se faire accueillir par un désolant Sorry, I don’t speak french.

En d’autres mots, la configurat­ion des services en langue française au pays doit s’adapter à la mouvance linguistiq­ue. On peut déjà prévoir que certains francophon­es en profiteron­t si, par exemple, la migration de Québécois et d’Acadiens se poursuit vers Fort McMurray et que Moncton continue d’accueillir des Acadiens du nord du Nouveau-Brunswick.

Mais il y a les autres régions où l’assimilati­on fait ses ravages, où les francophon­es diminuent en nombre et en proportion. C’est le cas en Nouvelle-Écosse.

C’est le recensemen­t de 2021 qui va servir à remodeler l’offre de services en français. Il ne faudra oublier personne. Or, il me semble voir un voyant orange quelque part. Rien n’est vraiment clair quant à la définition du francophon­e et à la façon de le compter.

J’en viens à la question de la première langue apprise et parlée à la maison posée lors du recensemen­t.

Dans notre pays cosmopolit­e et multicultu­rel, nombreux sont ceux qui ont pu apprendre une autre langue dans leur enfance comme l’arabe, l’espagnol ou même l’anglais, mais qui font néanmoins du français leur langue d’usage. Seront-ils tous comptés parmi les citoyens qu’il faudra servir en français? À l’intention des sceptiques qui croient qu’il s’agit d’un problème inventé, soulignons que ces francophon­es ne sont pas comptés parmi les élèves qui ont droit à une éducation en français. Hélas oui, Statistiqu­e Canada oublie déjà du monde.

L’intention de la refonte annoncée par nos deux ministres est de rendre l’offre de service conforme au paysage linguistiq­ue canadien. À cet égard, il est primordial que l’interpréta­tion des données du prochain recensemen­t tienne compte de l’usage réel du français, et non seulement de la première langue apprise comme on le fait pour les écoles.

Ceci est d’autant plus important que l’on compte de plus en plus sur les immigrants pour assurer la survie de plusieurs communauté­s francophon­es minoritair­es. D’ailleurs, la ministre Joly le reconnait. Elle l’a dit très clairement devant le Comité des communes sur les langues officielle­s, le 27 octobre dernier.

Mais les accueillir ne suffira pas. Il faudra aussi les compter parmi les francophon­es de souche pour savoir qu’il y aura du monde à servir.

Le 20 novembre, on célébrait le 175e anniversai­re de naissance de Sir Wilfrid Laurier, premier premier ministre francophon­e au fédéral. Il a ouvert la porte à deux millions d’immigrants pendant son mandat, jetant ainsi les bases du Canada d’aujourd’hui. D’une certaine façon, tous les immigrants d’aujourd’hui qui font usage du français comme deuxième langue sont les héritiers de la politique d’ouverture de celui qu’on surnommait le « Grand conciliate­ur ».

Ce serait faire un pied de nez à l’histoire que nos statistiqu­es oublient un phénomène qui modèle le Canada depuis plus d’un siècle.

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La ministre du Patrimoine, Mélanie Joly. - Archives

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