LES HUMORISTES SUR LE FRONT LINGUISTIQUE
Est-ce que c’est possible qu’on se prenne trop au sérieux? Ou fautil plutôt sérieusement rire de nous-mêmes?
Un des obstacles auxquels j’ai souvent fait face lorsque je travaillais avec des jeunes vivant en francophonie minoritaire, c’est qu’ils associaient l’humour et le rire aux portions anglophones de leurs existence. Si j’ai été marquée par bien des conversations que j’ai eues avec eux, peu de choses m’ont paru aussi tristes que de les entendre dire qu’ils «sont juste drôles en anglais». Ils n’avaient pas appris à rire en français.
Je ne m’attendais pas à revoir cette bête-là sur la scène du Capitol lors du premier spectacle à thématique «bilingue» du festival Hubcap, mais voilà que Julien Dionne, humoriste de Scoudouc ayant eu du succès avec des spectacles en anglais, nous dit que c’était la première fois qu’il faisait son «set» en français.
J’ai alors aperçu durant une seconde le fantôme de cette vieille peur, qu’il a bien sûr réussi à apprivoiser en blaguant sur cette angoisse linguistique, afin qu’on puisse tous rire ensemble de ce sentiment qui nous hante.
C’est ça que je préfère de l’humour comme discipline artistique: il constitue une arme très puissante pour s’attaquer aux problèmes de notre société. Des problèmes qui semblent souvent trop inconfortables ou douloureux pour être confrontés directement.
Et rien de tel pour réduire la taille de l’ennemi que de s’en moquer collectivement. Il est donc temps d’investir dans cette arme de destruction massive qu’est l’humour.
Les subventions artistiques excluent souvent l’humour qui, dans sa forme première, me semble pourtant être très près d’un monologue théâtral interactif. Puisque c’est plutôt dans des bars que notre humour se développe, il s’adapte à son environnement pour devenir plus vulgaire et souvent trop phallocentrique. «Faut en vendre pareil, de la bière.»
En investissant dans cette discipline, on permet à ses artistes de la pousser beaucoup plus loin. C’est une forme d’art facilement accessible au public et qui, en étant un art oratoire, surmonte la barrière de l’alphabétisation. Rien ne rapproche les gens comme de rire de quelque chose ensemble.
Plaçons les humoristes au premier rang de nos batailles linguistiques. Au minimum, elles seront plus l’fun à vivre.