Revisiter l’île de Caraquet
Depuis la fin du 19e siècle, l’historiographie acadienne s’est en partie construite sur un genre littéraire ou essayiste que certains qualifient de monographie régionale ou parfois paroissiale. Or, le nouvel ouvrage que nous livrent Clarence LeBreton et Fidèle Thériault (À la découverte de l’île de Caraquet) peut certainement revendiquer le qualificatif d’essai en histoire régionale.
J’entends par là qu’il y a lieu de le classer dans une catégorie émergente de recherches historiques que l’on qualifie d’insulaires. En ce sens qu’elles s’intéressent à l’étude des populations insulaires et dont certaines constantes se dégagent: l’isolement, la dépendance envers le continent pour la subsistance et les débouchés sur les marchés. Bien entendu, dans la très grande majorité des cas, ces populations survivent en vertu de leur exploitation des ressources naturelles environnantes. À travers 11 chapitres, les auteurs ont privilégié quelques thèmes prédominants que sont la vie sur l’île, ses habitants, les biographies des gardiens de phare qui s’y succèdent et bien sûr le drame passionnel qui s’y est joué et qui meuble toujours la mémoire collective des gens de la région.
L’une des belles surprises de cet ouvrage survient dès l’introduction, alors que les auteurs prennent la peine de dresser un inventaire que l’on peut qualifier «d’écologique» ou d’environnemental de leur objet d’étude. Cette démarche permet d’inscrire ne serait-ce que modestement, leur ouvrage dans la nouvelle vague qu’est l’histoire environnementale. Il s’agit d’ailleurs d’un virage que tarde à prendre l’historiographie acadienne qui aurait ici avantage à travailler de plus près avec les spécialistes de l’environnement. Les chapitres qui suivent sont les mieux documentés et donnent lieu non seulement à une présentation des faits, mais aussi à l’élaboration de quelques hypothèses. L’on constate que les auteurs sont ici dans leur élément, autant dans la connaissance des sources que dans l’interprétation des événements. Par exemple, après avoir relaté certains incidents maritimes, incluant des opérations de sauvetage d’équipages, ils démontrent la mainmise qu’exercent certains notables anglophones dans la région. Grâce à leurs contacts politiques à Fredericton, ces derniers sont à même de s’approprier ou du moins de contrôler les fonds destinés à dédommager les gens de Caraquet pour leur participation au sauvetage. Rappelons cependant que ce sont alors des comportements faisant partie des moeurs sociales et politiques de l’époque. Toutefois, les réactions des notables anglophones peuvent aussi s’inscrire dans la tradition britannique lorsque vient le temps de protéger les navires en détresse contre les pilleurs d’épaves des littoraux de l’empire. Sans doute voyaient-ils déjà les Acadiens participant au sauvetage comme des pilleurs potentiels de ces navires, à la dérive dans le golfe du SaintLaurent.
Mais la vie sur l’île ne se limite pas aux relations difficiles entre la majorité acadienne et la minorité anglophone. Ainsi, les auteurs estiment que le premier habitant officiel de l’île s’y installe en 1819 et qu’il sera suivi par quelques familles espérant y vivre de la pêche ou encore pour fuir des créanciers, etc. Le phare, lui, aura besoin d’un gardien à partir de sa fondation en 1870 jusqu’à sa fermeture en 1955, lorsqu’il est remplacé par une nouvelle technologie dont le fonctionnement ne nécessite plus la présence d’un gardien.
Les lecteurs en quête de romantisme ou de drame ne seront pas déçus puisque les auteurs accordent une grande place au drame passionnel qui se déroula sur l’île en 1874. Je laisse aux lecteurs le soin de revisiter ou de découvrir cet événement médiatique fort important pour l’époque. Il contient d’ailleurs tous les éléments nécessaires à l’élaboration d’un bon vieux drame romantique victorien à la Dickens.
Pour conclure, il y a néanmoins certaines lacunes qui ressortent de cet ouvrage, du moins sur le plan méthodologique et du graphisme. D’abord, la méthodologie de présentation des références manque parfois de constance et à certains endroits, on néglige d’inscrire les numéros de page pertinents. Ensuite, l’éditeur ou l’imprimeur semble avoir éprouvé des difficultés à bien valoriser les illustrations. Certaines sont nettement trop petites pour que l’on puisse bien saisir les détails. En dépit de cela, cet ouvrage saura fort probablement répondre aux attentes des férus d’histoire locale, régionale et surtout insulaire.