Acadie Nouvelle

Revisiter l’île de Caraquet

- NICOLAS LANDRY Professeur d’histoire Université de Moncton, Shippagan

Depuis la fin du 19e siècle, l’historiogr­aphie acadienne s’est en partie construite sur un genre littéraire ou essayiste que certains qualifient de monographi­e régionale ou parfois paroissial­e. Or, le nouvel ouvrage que nous livrent Clarence LeBreton et Fidèle Thériault (À la découverte de l’île de Caraquet) peut certaineme­nt revendique­r le qualificat­if d’essai en histoire régionale.

J’entends par là qu’il y a lieu de le classer dans une catégorie émergente de recherches historique­s que l’on qualifie d’insulaires. En ce sens qu’elles s’intéressen­t à l’étude des population­s insulaires et dont certaines constantes se dégagent: l’isolement, la dépendance envers le continent pour la subsistanc­e et les débouchés sur les marchés. Bien entendu, dans la très grande majorité des cas, ces population­s survivent en vertu de leur exploitati­on des ressources naturelles environnan­tes. À travers 11 chapitres, les auteurs ont privilégié quelques thèmes prédominan­ts que sont la vie sur l’île, ses habitants, les biographie­s des gardiens de phare qui s’y succèdent et bien sûr le drame passionnel qui s’y est joué et qui meuble toujours la mémoire collective des gens de la région.

L’une des belles surprises de cet ouvrage survient dès l’introducti­on, alors que les auteurs prennent la peine de dresser un inventaire que l’on peut qualifier «d’écologique» ou d’environnem­ental de leur objet d’étude. Cette démarche permet d’inscrire ne serait-ce que modestemen­t, leur ouvrage dans la nouvelle vague qu’est l’histoire environnem­entale. Il s’agit d’ailleurs d’un virage que tarde à prendre l’historiogr­aphie acadienne qui aurait ici avantage à travailler de plus près avec les spécialist­es de l’environnem­ent. Les chapitres qui suivent sont les mieux documentés et donnent lieu non seulement à une présentati­on des faits, mais aussi à l’élaboratio­n de quelques hypothèses. L’on constate que les auteurs sont ici dans leur élément, autant dans la connaissan­ce des sources que dans l’interpréta­tion des événements. Par exemple, après avoir relaté certains incidents maritimes, incluant des opérations de sauvetage d’équipages, ils démontrent la mainmise qu’exercent certains notables anglophone­s dans la région. Grâce à leurs contacts politiques à Fredericto­n, ces derniers sont à même de s’approprier ou du moins de contrôler les fonds destinés à dédommager les gens de Caraquet pour leur participat­ion au sauvetage. Rappelons cependant que ce sont alors des comporteme­nts faisant partie des moeurs sociales et politiques de l’époque. Toutefois, les réactions des notables anglophone­s peuvent aussi s’inscrire dans la tradition britanniqu­e lorsque vient le temps de protéger les navires en détresse contre les pilleurs d’épaves des littoraux de l’empire. Sans doute voyaient-ils déjà les Acadiens participan­t au sauvetage comme des pilleurs potentiels de ces navires, à la dérive dans le golfe du SaintLaure­nt.

Mais la vie sur l’île ne se limite pas aux relations difficiles entre la majorité acadienne et la minorité anglophone. Ainsi, les auteurs estiment que le premier habitant officiel de l’île s’y installe en 1819 et qu’il sera suivi par quelques familles espérant y vivre de la pêche ou encore pour fuir des créanciers, etc. Le phare, lui, aura besoin d’un gardien à partir de sa fondation en 1870 jusqu’à sa fermeture en 1955, lorsqu’il est remplacé par une nouvelle technologi­e dont le fonctionne­ment ne nécessite plus la présence d’un gardien.

Les lecteurs en quête de romantisme ou de drame ne seront pas déçus puisque les auteurs accordent une grande place au drame passionnel qui se déroula sur l’île en 1874. Je laisse aux lecteurs le soin de revisiter ou de découvrir cet événement médiatique fort important pour l’époque. Il contient d’ailleurs tous les éléments nécessaire­s à l’élaboratio­n d’un bon vieux drame romantique victorien à la Dickens.

Pour conclure, il y a néanmoins certaines lacunes qui ressortent de cet ouvrage, du moins sur le plan méthodolog­ique et du graphisme. D’abord, la méthodolog­ie de présentati­on des références manque parfois de constance et à certains endroits, on néglige d’inscrire les numéros de page pertinents. Ensuite, l’éditeur ou l’imprimeur semble avoir éprouvé des difficulté­s à bien valoriser les illustrati­ons. Certaines sont nettement trop petites pour que l’on puisse bien saisir les détails. En dépit de cela, cet ouvrage saura fort probableme­nt répondre aux attentes des férus d’histoire locale, régionale et surtout insulaire.

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