Les Acadiens du Nouveau-Brunswick et la Confédération
Me Michel Doucet c.r. professeur titulaire et Directeur, Observatoire international des droits linguistiques
L’année 2017 marque le 150e anniversaire de la Confédération canadienne. À cette occasion, nous avons cru qu’il pourrait être intéressant de revenir sur la position prise par la communauté acadienne du Nouveau-Brunswick par rapport au projet de confédération qui a mené à la création du Canada.
La Confédération canadienne a été l’oeuvre surtout des gouvernements du Haut-Canada et du Bas-Canada, mais, comme les Provinces maritimes avaient prévu une réunion à Charlottetown en 1864 pour discuter d’une fusion possible des provinces du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et de l’Île-du-PrinceÉdouard, le gouvernement canadien a alors décidé d’aller y proposer son projet confédératif. Les provinces du NouveauBrunswick et de la Nouvelle-Écosse décidèrent d’adhérer au projet conjointement avec les provinces d’Ontario et du Québec. Or, la discussion entourant ce projet soulèvera les passions au Nouveau-Brunswick et donnera lieu à deux élections référendaires i. À l’occasion de ces deux référendums, les Acadiens manifesteront leur désaccord concernant le projet.
L’adhésion du Québec, province majoritairement francophone, au projet confédératif aurait dû inciter les Acadiens, puton croire, à le voir d’un oeil favorable. Or, s’il est vrai que la Confédération accordait au Québec à titre de province une certaine autonomie sur les plans linguistique et culturel, tel n’était pas le cas pour les Acadiens du Nouveau-Brunswick. Minoritaires dans leur province, ils ne pouvaient envisager l’attribution de quelque statut politique particulier que ce soit à leur égard.
En 1865, le premier ministre néobrunswickois de l’époque, Leonard Tilley, décide de demander à la population de la province de donner à son gouvernement le mandat de négocier l’entrée de la province dans la nouvelle union. Il subira un échec lors de cette consultation populaire. Au Nouveau-Brunswick, l’idée divise la province en deux. Les gens en faveur de la Confédération sont dirigés par Tilley, tandis que les opposants ont deux principaux porte-parole, soit Timothy W. Anglin, propriétaire du journal le Freeman de Saint-Jean qui représentait l’opinion des Irlandais catholiques, et Albert J. Smith, député de Westmorland ii.
La défaite du projet d’union, en 1865, fut surtout cuisante dans les régions acadiennes de la province iii. Il est difficile, du fait de la pénurie d’information sur le sujet d’expliquer cette opposition des Acadiens au projet de confédération iv. Jean-Guy Finn explique que les Acadiens, vu l’absence de moyens de communication, s’étaient fort probablement tenus à l’écart du débat; il spécule également qu’ils ont pu subir l’influence de Timothy Anglin, «un leader extrêmement influent» v. M. S. Spigelman, quant à lui, pense plutôt que «l’opposition initiale des Acadiens à la Confédération était probablement basée... sur une forte confiance dans les conseils d’Albert Smith» [notre traduction] vi. D. G. Creighton opine, enfin: «ils tremblaient à l’idée d’être submergé dans une communauté politique plus large» [notre traduction] vii.
En 1866, on demandera à nouveau à la population du Nouveau-Brunswick de se prononcer sur la question de la Confédération et, cette fois, elle souscrit au projet même qu’elle avait rejeté une année plus tôt. J.-C. Bonenfant explique dans les termes qui suivent pareil changement de cap:
- le gouverneur, qui jouait encore un rôle politique assez important, se montre en 1866 plus favorable à la Confédération qu’en 1865. Tilley poursuivit une campagne vraiment convaincante profitant même, dans ce but, de son influence dans les sociétés de tempérance; la mauvaise administration de 1865 à 1866 du gouvernement opposé à la Confédération lui fit perdre la confiance du peuple; les Féniens qui entre deux élections avaient envahi le territoire de la province rappelèrent la nécessité militaire de la Confédération; le loyalisme naturel des habitants qui comprirent que Londres favorisait le projet, se réveilla; enfin des fonds électoraux vinrent du Canada-Uni pour aider Tilley viii.
Il semble également que le facteur religieux ait exercé une influence sur ce résultat. En effet, les catholiques avaient joué un rôle non négligeable dans la défaite du projet confédératif à l’élection de 1865. Or, cette opposition au projet disparaît l’année suivante et les catholiques irlandais se montrent plus disposés à l’appuyer ix. Les Acadiens demeurent toutefois opposés fermement à la Confédération, mais ils sont seuls à marquer leur opposition x. J.G. Finn qualifie cette opposition acadienne au projet confédératif de premier comportement collectif de la communauté acadienne xi. R. Baudry renchérit: «cette espèce d’unanimité dans l’opposition au reste de la province constituait leur premier acte politique comme groupe» xii. Un journal anglophone de l’époque ne sera cependant pas aussi indulgent envers les Acadiens: «N’eût été la population francophone ignorante et illettrée, pas un seul candidat opposé au projet confédératif n’aurait été réélu» [notre traduction] xiii.
Or, comme l’explique J.-G. Finn, «[on] se perd en conjectures sur les raisons qui auraient pu motiver les Acadiens à faire bloc à part sur cette question» xiv. En revanche, nous rangeant du côté de l’opinion de P. Doucet, nous estimons qu’il ne faut pas sur cette question sous-estimer l’influence du clergé acadien.
En dépit des directives des évêques Connolly et Rogers, les prêtres des régions acadiennes auraient apparemment manifesté beaucoup de réserves à l’égard de la Confédération. Par exemple, le curé de Barachois, l’abbé François-Xavier LaFrance s’adressant à l’archevêque de Québec écrivait: «Je souscris à ce conseil (qu’il faut être contre la Confédération) et je l’ai donné au peuple acadien quand l’occasion s’est présentée…» xv.
Ce front commun des Acadiens contre le projet de Confédération a été perçu avec une certaine appréhension par la communauté anglophone de la province: «Il y avait cette réflexion dérangeante que les francophones du Nouveau-Brunswick étaient en train d’améliorer leur sort au point d’être capables de convaincre qu’ils représentaient une force politique nouvelle» [notre traduction] xvi.
Puisque le Québec avait donné son appui au projet de Confédération, on aurait pu s’attendre à ce que les Acadiens fassent de même. Mais, pour les Acadiens, le Québec était un pays différent «pas tout à fait étranger, mais autre que l’Acadie qui était leurs pays» xvii. Le comportement des Acadiens du Nouveau-Brunswick au moment de la Confédération représenterait-il la manifestation d’une volonté d’affirmer leurs particularités vis-à-vis aussi bien de la communauté anglophone de la province que du Québec? Il est difficile de répondre à cette question sans se laisser emporter par des conjectures dénuées de fondement factuel. En effet, faute de documents, il est presque impossible de déterminer quelle était la véritable attitude des Acadiens face à la Confédération. Ce que nous avons cependant comme source fiable sont les résultats des élections provinciales de 1865 et de 1867 où les Acadiens ont manifesté sans équivoque leur opposition au projet. Ils ont récidivé lors de la première élection fédérale en 1867 où les deux principaux adversaires de la Confédération, Albert Smith et Timothy Anglin, sont élus dans les circonscriptions à forte proportion acadienne de Westmorland et Gloucester et deux députés antifédéralistes sont aussi élus dans les comtés de Kent, soit Auguste Renaud, et Victoria, soit John Costigan xviii.
Il est difficile de tirer quelques conclusions que ce soient sur les motifs qui ont mené les Acadiens à s’opposer au projet confédératif. Toutefois, il paraît facile d’établir certains parallèles entre la situation de cette époque et la situation actuelle. Encore aujourd’hui, l’identité acadienne ne se définit pas par rapport au Québec. De plus, il existe toujours une différence significative dans les perceptions qu’ont les Acadiens et la communauté anglophone de la province à l’égard de leur situation. Ces différences de perception sont tellement profondes qu’il nous arrive parfois de nous demander s’ils vivent dans la même province et s’ils ne forment pas plutôt deux immenses solitudes. Finalement, il est difficile de ne pas imaginer certaines comparaisons entre le vote en bloc des Acadiens en 1865 et 1866 et leur appui également, en bloc, au référendum de Charlottetown de 1992 xix. Si dans les deux premiers cas le vote en bloc des Acadiens semble avoir conduit au rejet du projet confédératif, c’est également leur vote en bloc qui amènera le NouveauBrunswick à donner son appui à l’Accord de Charlottetown et, par le fait même, à l’inscription dans la Constitution canadienne du principe de l’égalité des deux communautés linguistiques de langue officielle de la province.
La Confédération de 1867 n’apportera aucune reconnaissance aux Acadiens du Nouveau-Brunswick. En effet, ils apprendront rapidement que la Confédération ne leur a assuré aucune protection tant sur le plan religieux que sur le plan linguistique. Sur le plan religieux, ils croyaient pouvoir compter sur l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867. En plus de donner aux provinces pleine compétence en matière d’éducation, cet article protégeait également l’enseignement religieux. Cette particularité s’avère significative, car, au moment de la Confédération, les minorités linguistiques pensaient que leur droit à l’éducation dans leur langue, qu’ils associaient étroitement à la pratique de la religion catholique, serait protégé par cette disposition. L’inscription de l’article 93 dans la Loi constitutionnelle de 1867 a, en outre, fait croire à la communauté francophone du Nouveau-Brunswick que ses droits scolaires seraient protégés. Or, cette opinion était mal fondée. En effet, en 1871, l’Assemblé législative de la province adopte le Common School Act dont l’un
des objectifs vise à abolir l’enseignement religieux dans les nouvelles écoles publiques.
Une tentative de contester judiciairement cette loi en invoquant son incompatibilité avec le droit que reconnaît l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 échoue; les tribunaux jugent que cet article ne protège que les droits scolaires confessionnels prévus dans des dispositions législatives expresses adoptées antérieurement à la Confédération et que, puisque tel n’est pas le cas au NouveauBrunswick, la disposition constitutionnelle s’avérait d’aucun recours dans la contestation de la validité de cette loi
La seule disposition de la Loi constitutionnelle de 1867 concernant la langue est l’article 133, lequel prévoit l’existence d’un bilinguisme embryonnaire judiciaire, parlementaire et législatif au palier fédéral et au Québec.
Cette disposition ne tenait aucunement compte des Acadiens du NouveauBrunswick. Or, le 12 juin 1867, une pétition signée par 173 Acadiens est déposée à l’Assemblée législative par Robert Young, le député de Gloucester.
Elle demande à l’Assemblée législative du Nouveau-Brunswick de publier ses débats en français et en anglais.
Une autre pétition est également déposée: elle réclame que les avis publics du gouvernement soient eux aussi publiés dans les deux langues. Il n’est donné suite à aucune d’elles
Une résolution visant le même objectif que la pétition de 1867 est présentée en 1874 par Théotime Blanchard, le député de Gloucester. Elle est battue
Il ressort toutefois de ces tentatives que les Acadiens étaient familiers à l’époque de la Confédération avec la notion de droits linguistiques
Bien que l’Acadie connaisse dans les années qui suivent la Confédération une certaine renaissance sociale et politique, il faudra attendre les années 1960 pour assister enfin à une reconnaissance juridique de la présence acadienne dans la province.
La Confédération canadienne ne lui accordera pour sa part aucune reconnaissance; elle prendra naissance dans l’indifférence totale envers les communautés francophones hors Québec et notamment envers la communauté acadienne du Nouveau-Brunswick.
Les Acadiens avaient donc peut-être raison de se méfier à l’époque de ce pacte confédératif.
Ce n’est qu’à la suite de ses revendications qu’elle obtiendra, presque 100 ans après la Confédération, la reconnaissance qu’elle demandait déjà à l’époque.