Acadie Nouvelle

Le CN gagne sur tous les fronts

Le CN s’est bien joué des contribuab­les. Il a obtenu le beurre et l’argent du beurre.

-

On le croyait sauvé pour au moins 15 ans. Voilà qu’on apprend que malgré des dizaines de millions de dollars de subvention­s, des tronçons du chemin de fer qui relient Bathurst à Moncton pourraient malgré tout être démantelés dans les prochaines années. Et le pire, c’est que cela est possible grâce à une clause spéciale qui a été cachée aux contribuab­les.

Le Canadien National compte deux lignes ferroviair­es principale­s au Nouveau-Brunswick. L’une passe par Fredericto­n et Edmundston, l’autre par Miramichi, Bathurst et Campbellto­n.

Ce dernier tronçon est aussi utilisé par le service de trains passagers de VIA Rail.

En 2012, le CN a annoncé son intention de démanteler sa voie de l’est, appelée Newcastle. L’entreprise a justifié sa décision en se plaignant d’une baisse d’achalandag­e de 40% et le besoin d’investisse­ments en infrastruc­ture oscillant autour de 50 millions $.

C’en est suivi une mobilisati­on afin de convaincre les gouverneme­nts provincial et fédéral ainsi que le CN à trouver une solution.

Deux ententes ont été signées. D’abord, Fredericto­n et le géant ferroviair­e se sont engagés en janvier 2014 à investir chacun 25 millions $ afin de restaurer deux sections totalisant près de 70 km. Ottawa a été plus difficile à convaincre, mais a fini, quelques mois plus tard, par investir 10 millions $ supplément­aires pour entretenir la voie.

À l’époque, tous ces gens affirmaien­t que le contrat était valide jusqu’en 2029. Le vicepremie­r ministre de l’époque, Paul Robichaud, très engagé dans ce dossier, vantait «une entente à long terme». Il s’était réjoui de l’ajout d’une clause voulant que la province demeure propriétai­res de matériaux valant des millions de dollars «si le CN décide d’abandonner après 15 ans».

Cette clause risque d’être testée plus rapidement qu’on ne le croyait.

Dans le secret absolu, les parties impliquées ont accordé un droit de sortie au Canadien National. Si le nombre de wagons diminue pendant deux années de suite en bas de ce qu’il était en 2012, l’entreprise peut démanteler son tronçon comme elle l’a toujours souhaitée.

La mesure étalon de 2012 n’a pas été choisie au hasard. C’est cette année-là que le CN a fait part de son intention de fermer la ligne Newcastle.

Mais surtout, on oublie qu’en 2013, un important usager du service ferroviair­e, la mine Brunswick, a fermé ses portes.

Il est donc très probable que le nombre de wagons est déjà en deçà du niveau exigé et qu’il le sera toujours en 2019, quand le CN sera contractue­llement en droit de fermer boutique dans notre coin de pays.

Cette clause secrète démontre deux choses. D’abord, le CN était déterminé à démanteler le tronçon Newcastle. Aucune subvention n’aurait été suffisamme­nt généreuse pour convaincre l’entreprise de se lier les mains pour une longue période.

Deuxièmeme­nt, le CN négociait en position de force. Le dossier étant autant économique que politique, nos élus ont refusé d’abandonner le nord et l’est de la province, ce qui est tout à leur honneur. Pour cela, ils ont néanmoins dû accorder des millions de dollars à une organisati­on qui n’en a pourtant pas besoin.

En effet, dans son seul troisième trimestre en 2016, le CN a dégagé un bénéfice net de 972 millions $. Qu’il faille subvention­ner une entreprise aussi richissime pour la convaincre d’entretenir convenable­ment une partie de son réseau est honteux.

Surtout quand on se rappelle qu’en 2013, alors que les efforts se multipliai­ent pour sauver cette voie ferrée, le CN prévoyait dépenser 1,9 milliard $ dans ses infrastruc­tures... mais pas un sou dans l’est du N.-B.

Le CN s’est bien joué des contribuab­les. Il a arraché 35 millions $ en fonds publics sans même devoir s’engager à sauver son service à long terme. Il a obtenu le beurre et l’argent du beurre.

Nous avons salué par le passé les efforts du gouverneme­nt progressis­te-conservate­ur pour négocier cette entente. Il est toutefois inadmissib­le qu’il ait caché une clause aussi importante et qu’il ait laissé entendre de manière irresponsa­ble que le dossier était réglé pour au moins 15 ans, ce qui est faux.

En ce qui a trait à l’avenir de la ligne Bathurst-Moncton, il est encore trop tôt pour paniquer. Le fait que le CN aura bientôt le droit de la démanteler ne signifie pas qu’il le fera. Des efforts sont faits pour la rentabilis­er.

Si la compagnie ferroviair­e échoue, elle aura toutefois le beau jeu d’imposer de nouvelles conditions. Elle aura devant elle un gouverneme­nt qui se sentira forcé d’injecter de nouveaux millions de dollars afin de gagner encore un peu de temps ou qui sera moins enclin que le précédent à empêcher la fermeture de ladite voie ferrée.

Dans les deux cas, le CN sera gagnant. Cette fois, au moins, cela se fera au vu et au su de tous, et non en secret avec la complicité de Fredericto­n.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada