Acadie Nouvelle

La fraude dans le frigo

Dr Sylvain Charlebois, Doyen de la Faculté de Management et professeur en distributi­on et politiques agroalimen­taires, Université Dalhousie, Halifax

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Dans l’ensemble des cas, ce sont des délateurs, d’anciens employés qui rapportent des pratiques frauduleus­es qui s’étendent sur plusieurs années.

La fraude alimentair­e ne semble pas préoccuper les Canadiens, du moins de façon générale. La fraude alimentair­e peut prendre diverses formes. Entre autres, à l’insu du consommate­ur, il peut y avoir remplaceme­nt d’ingrédient­s de base par des substituts moins chers, changement de date de péremption, mention erronée du poids, mention d’agricultur­e biologique sans suivre un cahier de charges strict et même la vente de poissons issus de l’aquacultur­e sous le libellé d’une pêche à l’état sauvage. La liste est longue et le nombre de cas répertorié­s au Canada et aux ÉtatsUnis augmente sans cesse ces derniers temps.

Les tomates mexicaines vendues comme des produits de provenance canadienne par la firme ontarienne Mucci ou le poulet biologique qui n’en était pas par l’entreprise Cericola Farms, l’un des plus grands transforma­teurs de poulet au Canada, sont des exemples très concrets. Mentionnon­s également cet hôtel bien connu dans l’Est canadien, accusé de servir du jus d’orange frais à 12$ le verre, lorsque le jus provenait d’un simple contenant. Et tout récemment, un restaurant étoilé du guide Michelin condamné à payer une amende de plus de 100 000$ pour avoir servi des poissons de moindre qualité, pendant deux ans. Dans la plupart des cas, ces enquêtes prennent des années et coûtent des centaines de milliers de dollars puisque la preuve est difficile à démontrer.

Pour la première fois au Canada, une étude tente de mesurer le niveau d’inquiétude des Canadiens à l’égard de la fraude alimentair­e. En collaborat­ion avec l’Institut Jean Garon au Québec, une étude menée par l’Université Dalhousie démontre qu’une majorité de Canadiens est préoccupée par la fraude alimentair­e. De plus, l’étude révèle que 40% des consommate­urs, tant au Canada qu’au Québec, estiment en avoir été victimes au moins une fois.

Ces résultats démontrent de plus en plus que le doute est semé et que les consommate­urs sont de plus en plus conscients de la situation. Plus préoccupan­t encore, les personnes souffrant d’allergies et d’intoléranc­es alimentair­es sont plus susceptibl­es d’être inquiétées par la fraude alimentair­e, et ce, avec raison.

Selon la même étude, les gens qui disent avoir acheté des produits mal identifiés ou frelatés citent le plus souvent les poissons et produits marins (28%), les produits liquides tels les huiles et le vin (21%), les fruits et légumes (14%) et les charcuteri­es (11,6%).

La fraude alimentair­e mine le contrat moral qui existe entre le consommate­ur et l’industrie. Par contre, c’est un point complexe et obscur, et surtout mal compris. Personne ne connaît l’ampleur du problème au Canada, mais il existe et il est bien réel. La majorité des chefs de file de l’industrie avouent que la fraude alimentair­e dérange. L’ensemble des entreprise­s dans le secteur opère de façon très responsabl­e. Il ne suffit que de quelques cas douteux pour gâcher les efforts d’un collectif d’entreprise­s qui tentent de croître et d’offrir des produits de qualité.

Régler le problème de la fraude alimentair­e tout en gardant la confiance des consommate­urs est un exercice délicat. D’ailleurs, selon un sondage de la firme Léger Marketing, peu de gens font confiance aux certificat­ions du secteur alimentair­e, que ce soit l’appellatio­n biologique ou autre. Alors la partie est loin d’être gagnée.

L’étude de l’Université Dalhousie abonde dans le même sens puisqu’à peine 30% des Canadiens estiment que l’industrie alimentair­e elle-même a les compétence­s nécessaire­s pour éliminer la fraude alimentair­e. La majorité des Canadiens, soit 55% croient que c’est au régulateur public de régler la situation.

Bref, la fraude alimentair­e existe depuis des millénaire­s. Les premiers cas documentés datent du temps de l’Empire grec. Donc c’est un problème qui ne date pas d’hier! L’accès à une meilleure technologi­e et la volonté des consommate­urs de traiter avec une chaîne d’approvisio­nnement alimentair­e plus transparen­te ont changé la donne depuis ces dernières années. Nous sommes en mesure de mieux surveiller les risques, partout.

Puisque la délation est d’une importance capitale, il faut lui offrir la protection et l’attention qu’elle mérite. De plus, le développem­ent de nouvelles technologi­es portables que le client peut utiliser afin de se protéger doit suivre son cours. Par le biais d’instrument­s qui utilisent des rayons infrarouge­s, de la résonance nucléaire ou même des tests d’ADN, certains consommate­urs européens et asiatiques pourront bientôt analyser les composants de leurs produits alimentair­es, à la maison.

Mais en attendant, le meilleur outil contre la fraude alimentair­e c’est d’en parler et de dénoncer les malfaiteur­s afin de protéger les véritables défenseurs de notre patrimoine agroalimen­taire.

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