Acadie Nouvelle

S’opposer à la corruption et aux violations des droits de la personne en Russie

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Sergei Magnitsky croyait à la primauté du droit. Malheureus­ement, dans la Russie d’aujourd’hui, ses conviction­s ont entraîné son emprisonne­ment et sa mort. Sénateur Percy E. Downe

Le Sénat étudie présenteme­nt un projet de loi qui tiendrait personnell­ement responsabl­es les auteurs d’actes de corruption et de violation des droits de la personne en Russie.

Aujourd’hui, nous sommes tous familiers avec l’état dans lequel se trouvent les institutio­ns publiques de la Russie, où l’espoir de voir la démocratie s’installer, suscité par l’effondreme­nt du communisme, a été bouleversé par un quart de siècle où la corruption s’est fait passer pour un libre marché et où la répression a supplanté la gouvernanc­e.

Nous savons que de nombreux militants, journalist­es et parlementa­ires russes ont fait face à des poursuites, à la persécutio­n ou pire encore, et ce, parce qu’ils s’étaient dressés contre les puissants intérêts qui existent dans ce pays.

M. Magnitsky, un avocat-fiscaliste, travaillai­t pour la société Hermitage Capital Management, faisait enquête sur le vol de sceaux et de documents connexes de la société. Des fonctionna­ires du ministère de l’Intérieur russe étaient impliqués dans l’affaire et l’enquête a permis de découvrir une fraude fiscale de 230 millions de dollars impliquant la fabricatio­n de faux documents, la création de sociétés fictives et d’autres procédures «légales» compliquée­s, et j’emploie ici le mot «légales» au sens très large.

À mesure que son enquête progressai­t, M. Magnitski en est venu à conclure que, loin d’être la source de la fraude, la société en question était en fait la victime de l’inconduite de fonctionna­ires corrompus et de leurs associés. Malheureus­ement pour M. Magnitsky, ces fonctionna­ires étaient si bien placés qu’ils ont pu renverser les rôles, et c’est lui qui a été accusé et emprisonné. Pendant son incarcérat­ion, sa santé s’est détériorée, car il a fait l’objet de mauvais traitement­s et a été privé de soins médicaux essentiels. Il est mort en prison en 2008.

Cependant, même après son décès, le gouverneme­nt russe l’a poursuivi en justice et l’a condamné pour fraude fiscale en juillet 2013. Peut-on imaginer un meilleur exemple du comble de l’insulte?

Une descriptio­n détaillée de l’affaire se trouve dans le livre de Bill Browder, propriétai­re de la société Hermitage Capital Management, qui était l’ami et le collègue de M. Magnitski. Le livre s’intitule Notice rouge: comment je suis devenu l’ennemi no 1 de Poutine.

La lutte que M. Browder mène pour la justice, en mémoire de son ami, repose sur un élément clé que l’on en est venu à appeler la loi Magnitski, c’est-à-dire diverses lois qui visent à faire en sorte que les fonctionna­ires responsabl­es des abus de pouvoir comme celui ayant causé la perte de M. Magnitski, subissent des sanctions qui les priveraien­t, eux et leurs capitaux, du libre accès à l’économie mondiale.

Les États-Unis ont adopté une loi qui gèlerait les actifs américains de ces individus, y interdirai­t toute transactio­n axée sur ces avoirs et empêcherai­t ces personnes de se rendre en territoire américain.

L’an dernier, une motion appuyant une mesure semblable a été adoptée à la Chambre des communes. À ce moment, Irwin Cotler, qui était alors député et qui militait depuis longtemps pour la justice au nom de nombreuses personnes un peu partout dans le monde, y compris M. Magnitski, a déclaré ce qui suit: «L’appui unanime à cette motion envoie aux violateurs des droits de la personne, en Russie et dans le monde entier, le message clair qu’ils auront à répondre de leurs crimes. En imposant des sanctions, nous pouvons infliger des pénalités significat­ives aux violateurs des droits de la personne et décourager des violations futures.»

La dissuasion est un élément essentiel. Il ne faut pas oublier que la fraude fiscale est à l’origine de toute l’affaire Magnitski. Une des choses que j’ai apprises au cours des années où j’ai étudié l’évasion fiscale, c’est que les fraudeurs continuent de s’adonner à ces méfaits tant qu’ils ne subissent pas personnell­ement les conséquenc­es concrètes de leurs actes.

Malheureus­ement, malgré l’appui dont il a bénéficié au début, le projet de loi se heurte maintenant à certaines difficulté­s, car certains individus au sein du gouverneme­nt ont exprimé des réserves liées à la possibilit­é qu’il nuise à la reprise du dialogue entre le Canada et la Russie. Reprendre le dialogue, c’est bien, mais à quelles conditions ?

Le moment est venu pour le gouverneme­nt du Canada de présenter cette mesure législativ­e nécessaire, que le Parlement précédent a appuyée, afin que nous puissions démontrer au gouverneme­nt russe que la reprise du dialogue ne s’opèrera qu’à nos conditions et non aux siennes.

Percy E. Downe est un sénateur qui représente l’Île-du-Prince-Édouard. Il est viceprésid­ent du Comité sénatorial des affaires étrangères et commerce internatio­nal.

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