La mort (très) lente de Daech
«Malheureusement, il est irréaliste de ne pas s’attendre à des pertes civiles lors d’un conflit armé», a annoncé le colonel de l’armée américaine John L. Dorrian, porte-parole de la Force opérationnelle interarmées multinationale - Operation Inherent Resolve. (Où trouvent-ils ces noms de code ridicules?)
La FOIM - Operation Inherent Resolve est la force internationale créée pour vaincre Daech et dirigée par les États-Unis. Dorrian faisait toutefois référence à la ville de Mossoul au nord de l’Irak, prise par les forces de Daech il y a plus de deux ans. Au moins 650 000 civils demeurent dans la région de Mossoul dominée par ce groupe terroriste, et quand l’armée de l’Irak la reprendra, un grand nombre d’entre eux seront tués ou blessés.
Le colonel Dorrian n’a voulu que «gérer les attentes», mais il n’aurait pas dû en prendre la peine. Il y aura probablement le même nombre de pertes civiles pendant la reprise de Mossoul qu’il y a eu pendant la reprise d’Alep-Est par l’armée syrienne en décembre. Les médias n’y accorderont toutefois pas autant d’attention - principalement parce que Daech n’est pas aussi discret que le Front Nosra, l’organisation islamiste rivale qui a dominé Alep-Est.
Le Front Nosra, maintenant renommé le Front Fateh al-Cham (conquête du front syrien) pour déguiser son allégeance à Al-Qaïda, a bien fait de laisser de petites filles bloguer sur les horreurs du siège d’Alep, et les médias de l’Ouest y ont consenti sans se poser de questions. Ce fut l’Holocauste, ont-elles dit, perpétré par la mauvaise armée de ce méchant Bachar alAssad.
Quand la reprise de Mossoul aura lieu, les médias de l’Ouest n’auront pas de tels commentaires à faire sur la mort inévitable de civils innocents, car l’Ouest appuie l’armée irakienne. De toute façon, Daech est probablement trop rigide pour permettre ce type de blogue.
La tentative de l’armée irakienne pour reprendre la ville de Mossoul a déjà duré presque aussi longtemps que le siège de Satlingrad. Jusqu’à maintenant, l’armée n’a réussi qu’à vider les banlieues sur la rive Est du Tigre, et seuls quelques centaines de civils sont morts.
La semaine dernière, l’armée a commencé son assaut sur la partie principale de la ville, qui se trouve sur la rive Ouest. Il se peut qu’elle puisse se frayer un chemin jusqu’au coeur de la vieille ville d’ici un ou deux mois, mais les armées perdent beaucoup de soldats lors des combats de rue, et les rues en question sont étroites et sinueuses. Les victimes seront nombreuses parmi à la fois les soldats et les civils, et il y a de fortes chances que l’opération ne prendra pas fin jusqu’en avril ou en mai.
Soyons optimistes et supposons que Mossoul tombera en fin de compte. Cela marquerait la fin de la moitié irakienne de ce qu’on appelait l’État islamique en Irak et en Syrie (Daech). Le sort de la moitié syrienne demeure toutefois incertain.
Ces Syriens perdaient en territoire aux mains des Kurdes syriens, qui s’avançaient résolument sur le territoire Daech à Raqqa dans l’est de la Syrie. Les Kurdes syriens ont tellement bien réussi en raison de l’appui aérien des États-Unis toujours à leur disposition. Ils représentaient l’allié principal des Américains pendant la guerre civile en Syrie et la seule force terrestre majeure (à l’exception de l’armée syrienne) qui luttait activement contre Daech.
Mais ce système risque de s’effondrer, car la Turquie, l’appui principal des rebelles syriens depuis des années, a changé de camp. Ce pays considère un État kurde semi-indépendant au nord de la Syrie comme une plus grande menace à son intégrité territoriale que Daech ou le régime d’Assad à Damas. Et elle a apparemment conclu un accord avec la Russie qui lui donnera carte blanche pour détruire les Kurdes syriens.
Il est difficile à dire si l’armée turque pourra y parvenir sans tuer un grand nombre de civils, mais c’est probable qu’elle essayera. Les États-Unis auront alors à choisir entre son allié des quatre dernières années, les Kurdes syriens, et son allié infidèle de l’OTAN, la Turquie. Ils choisiront probablement la Turquie, car on lui accorde plus d’importance, et abandonneront les Kurdes à leur sort.
Ceux-ci sont habitués à la trahison, alors ils ne seront pas étonnés. Mais il va falloir mettre de côté la destruction de Daech en Syrie pour le moment.