Allain Bugeaud (Bujold), notaire, chirurgien… et protestant
Il n’y a pas si longtemps, on ignorait toujours le lieu d’origine d’Allain Bugeaud, ancêtre des Bujold acadiens.
C’est grâce aux recherches du Français Jacques Nerrou que depuis 2003, on en connaît beaucoup plus.
Dans les archives départementales de la Charente-Maritime, M. Nerrou a mis la main sur un document qui ferait rêver tout chercheur: une procuration traitant de la succession des parents d’Allain Bugeaud, passée le 12 octobre 1705 devant Jean Chrisostome Loppinot, notaire royal de la Cadie à Port-Royal. Cet acte nous donne les noms de ses parents: Daniel Bugeaud notaire et Marie de Vergne (dit Vergnaud), de Saint-Ciers-du-Taillon.
Plutôt que de retourner en France pour régler les affaires, Allain a délégué un ami de son village natal pour le représenter.
Avec ces éléments en main, M. Nerrou s’est mis à la recherche du baptême de l’enfant. Mais la famille est absente des registres catholiques de Saint-Ciers.
Le prénom Allain, tiré de l’Ancien Testament, était déjà un indice que le premier Bugeaud était peut-être issu d’une famille protestante (comme le sont probablement les Dugas et les LeBlanc par exemple, dont les pionniers portaient les prénoms d’Abraham et de Daniel).
La recherche de M. Nerrou a porté ses fruits. C’est dans les registres protestants de Bois, village à 8 km au nord de Saint-Ciers, que se trouvait la réponse.
Allain Bugeaud est né à Saint-Ciers-duTaillon, le 12 novembre 1672, et baptisé dans l’Église réformée à Blois le 27 novembre, en Charente-Maritime.
À la découverte de M. Nerrou, le chercheur Stéphan Bujold a pris la balle au bond, et a publié une biographie historique très intéressante au sujet du pionnier dans les Cahiers de la Société historique acadienne (juillet 2003). Il remet la religion, les métiers et la migration d’Allain Bugeaud dans leur contexte historique, à travers une période mouvementée pour les protestants français. Un texte qui fait réfléchir sur la trajectoire possible de cet ancêtre notoire.
La reconstitution de la famille BujoldDevergne est rendue difficile, puisqu’à la révocation de l’Édit de Nantes en 1685, les protestants devaient se convertir ou s’exiler. Jusque là, les protestants étaient protégés et pouvaient pratiquer leur culte. En se convertissant, certains prenaient un prénom plus «catholique».
On connaît les baptêmes de deux frères d’Allain aussi baptisés à Bois: Henry et Isaac (d’autres prénoms protestants). Cependant, un certain François Bugeaud, feu frère d’Allain, est cité parmi les enfants héritiers de la famille en 1705, alors que Henry et Isaac n’y sont pas nommés. L’un s’est peut-être exilé (perdant ainsi ses droits d’héritage) et l’autre aurait peut-être adopté le prénom de François.
Allain Bugeaud avait aussi une soeur, Marie, connue par son mariage du 4 février 1689 au registre catholique de Saint-Ciersdu-Taillon, avec Jean Sorigne.
On ignore quand Allain est parti de la France, ou sa date d’arrivée en Acadie. Est-il exilé ou converti en 1685?
Comme fils de notaire, il a sans doute appris les rudiments du métier assez jeune. Mais c’est le métier de chirurgien qui l’a probablement propulsé à l’aventure, prisé dans les armées, sur les navires et dans les colonies.
Stéphan Bujold signale un Élie (Louis) Bugeaud chirurgien à Saint-Ciers, marié en 1689, chez qui ou avec qui Allain a peutêtre reçu son apprentissage.
UN IMMIGRANT BIEN BRANCHÉ
Allain est probablement arrivé en Acadie entre 1690 et 1695.
Très rapidement, il tombe sous l’influence de Pierre Melanson, capitaine de milice et délégué du seigneur de l’endroit, et lui-même gendre du seigneur de Pobomcoup, Philippe Mius d’Entremont, dont j’ai parlé récemment.
Vers 1695, Allain épouse la fille de Pierre Melanson, Élisabeth, s’alliant ainsi concrètement au clan le plus influent dans la région de Grand-Pré.
Il pratique vraisemblablement son métier de chirurgien depuis son arrivée. De fil en aiguille, il est nommé notaire seigneurial à partir d’environ 1702, puis élevé à notaire royal en 1705 par le gouverneur de Québec, titre qui sera confirmé par le roi en 1707. En plus de lui permettre de pratiquer dans tout le royaume, le notaire royal reçoit le double des honoraires du simple notaire.
Ces deux métiers doivent tenir Allain assez occupé et permettent à la famille Bujold de vivre assez confortablement. Il ne cultive pas de terres selon les recensements. Avec le réseau des Melanson et de son beau-frère David Basset de Boston, il prend peut-être aussi part au commerce du clan avec la colonie anglaise.
Stéphan Bujold propose par exemple que ce soit Allain qui a acquis le navire de commerce qui sera plus tard la propriété de son fils, comme quoi il aurait été légué en héritage.
Quoi qu’il en soit, il s’agit vraisemblablement d’une famille qui est devenue prospère en peu de temps, pour figurer parmi les notables de Grand-Pré. Mais cette ascension a connu une fin abrupte.
À peine un an après avoir été confirmé notaire royal, Allain est décédé, vers 1708 à Grand-Pré, à l’âge d’environ 35 ans.
Si l’ancêtre a laissé cinq fils et une fille, un seul fils – Joseph – a propagé son nom jusqu’à nos jours en Acadie du Nord comme du Sud. La plupart des enfants de Joseph ont peuplé la baie des Chaleurs. Joseph et Étienne à Joseph ont rejoint la Lousianne, tandis que leur frère Jean est décédé à Saint-Malo en 1759.
Un autre frère de Joseph, Allain (fils), aurait péri avec toute sa famille en 1758 lors du naufrage du