Des «faits alternatifs» bien canadiens
Les «faits alternatifs» ne sont pas propres à Trump: les politiciens canadiens s’en servent depuis des années
Contrairement à l’opinion de plus en plus populaire des Canadiens, l’administration Trump ne détient pas le monopole des soi-disant «faits alternatifs». Elle n’a pas inventé le concept non plus.
La déformation délibérée de la réalité fait partie intégrante du discours politique canadien depuis des années, et tous les partis en sont coupables – y compris celui présentement en poste à Ottawa.
Il y a vingt ans, l’ancien journaliste André Pratte – qui siège maintenant au Sénat – a écrit un livre rempli d’exemples de ce qu’il a dénommé Le Syndrome de
Pinocchio. Et il n’a pas dû chercher plus loin que l’Assemblée nationale et le Parlement du Canada pour les trouver.
D’ailleurs, il aurait amplement de matériel s’il voulait en rédiger une suite. En voici quelques possibilités:
Il y a quelques années, le Parti Québécois a essentiellement fondé sa justification pour imposer un code vestimentaire aux fonctionnaires provinciaux sur des faits alternatifs – par exemple, l’islamisation imminente de la province. Ce fut une solution en quête d’un problème.
Ce fut de même pour la candidate à la direction conservatrice, Kellie Leitch, et sa proposition de soumettre chaque visiteur au Canada – soit-il touriste, réfugié ou postulant à l’immigration – à une entrevue individuelle avec une autorité frontalière. Quant aux immigrants, la prémisse que n’importe qui peut s’installer au Canada sans processus de filtrage rigoureux est erronée.
La rhétorique contre la motion M-103 qui encourage les députés à dénoncer l’islamophobie appartient à la même catégorie fictive. L’affirmation que cette motion ouvre la voie à l’imposition de la charia aux Canadiens ou qu’elle représente le début de la fin de la liberté de parole est illogique.
La promesse électorale de longue date du NPD d’abolir le Sénat est similairement fondée sur des faits alternatifs. À moins que le chef du NPD, Thomas Mulcair, ait passé les années précédant la dernière campagne sur une autre planète, il a dû savoir qu’il ne recevrait jamais l’accord provincial unanime nécessaire à cette fin.
Mulcair a aussi balayé du revers de la main la notion que le Québec entrera seulement en pourparlers si ses demandes constitutionnelles de longue date sont acceptées. Ses assertions ont défié la réalité politique de sa province natale.
Les premiers ministres ne s’éloignent pas des faits alternatifs non plus. Pensez à Jean Chrétien quand il a affirmé qu’il n’a pas rompu sa promesse faite en 1993 d’éliminer ou de remplacer la TPS.
En 2008, Stephen Harper a décrit les efforts de l’opposition pour former un gouvernement de coalition comme un affront injuste à la démocratie. Il a présenté ce récit au même moment où les conservateurs du Royaume-Uni mettaient sur pied une coalition avec les libéraux démocrates.
Et n’oublions pas comment Harper et la majorité des candidats à sa succession ont décrit la taxe sur le carbone comme une mesure qui ferait disparaître des emplois. La C.-B. a pourtant instauré une taxe sur le carbone quand le parti fédéral a commencé à répéter ce mantra, et depuis lors, son économie florissante maintient la C.-B. au premier rang parmi les provinces.
Jusqu’à maintenant, il n’y a aucune preuve que l’attention négative des médias sur la prédilection de Trump pour les faits alternatifs dissuade les politiciens canadiens de s’en servir. Au contraire, Justin Trudeau a affirmé lors d’un séjour à Calgary la semaine passée que, contrairement à Harper, il a «fait approuver un oléoduc.»
Cette assertion n’a aucun fondement. En fait, le dernier gouvernement conservateur a approuvé chaque projet d’oléoduc qu’on leur a présenté. Sous Harper, on a même construit certains de ces oléoducs.
Dans le débat sur le financement des soins de santé à l’automne dernier, le premier ministre a déduit que, sous les conservateurs, certaines des provinces, sinon toutes, avaient réaffecté des fonds fédéraux destinés aux soins de santé à d’autres priorités.
En réalité, année après année, les provinces investissent de plus en plus de leurs propres recettes dans les soins de santé afin de couvrir les coûts en hausse. Sous la formule de financement de Trudeau, ce sera probablement le cas plus que jamais auparavant.
Par contre, comparativement à l’administration Trump, Trudeau et ses homologues de l’opposition n’altèrent pas assez la vérité pour que la vérification des faits en devienne un emploi à temps plein, comme au sud de la frontière.
Souvent confrontée à des vérités en porte-à-faux avec le discours politique, la confiance des électeurs envers le débat démocratique en prend pour son rhume.
N’oublions pas la rhétorique des libéraux sur la réforme électorale: une collection d’énoncés qui appartient à une classe à part entière de faits alternatifs.