Le règne du flou
L’histoire d’Annie Berthelot et de ses collègues francophones suspendus au Moncton Hospital après avoir échoué à une évaluation d’expression de compréhension écrite en anglais continue de faire jaser. Elle démontre surtout qu’encore aujourd’hui, la fonction publique provinciale ne sait pas trop comment gérer la délicate question des langues officielles.
À la base, il est tout à fait normal que des postes soient désignés bilingues. Chaque Néo-Brunswickois qui fait affaire avec le gouvernement provincial ou l’une de ses créatures (dans ce cas-ci, le Réseau de santé Horizon) a le droit d’être servi dans sa langue, même si, dans les faits, la réalité n’est malheureusement pas toujours aussi simple.
Cette obligation linguistique du gouvernement provincial fait souvent grincer des dents, en particulier quand elle a pour conséquence la mise à pied ou la rétrogradation d’un employé unilingue (généralement anglophone).
On l’a vu dans les derniers mois quand une enquête menée par la commissaire aux langues officielles du N.-B., Katherine d’Entremont, a soulevé la controverse. Elle avait découvert que Wayne Grant, un employé basé à l’entrée de la Place Chancery (un édifice qui abrite plusieurs ministères), est unilingue anglophone. Il va pourtant de soi qu’un tel emploi qui comprend beaucoup d’interaction avec le public devrait être occupé par une personne bilingue.
M. Grant a alors été déplacé vers un autre poste et ses heures de travail ont été réduites. Il n’en fallait pas plus pour qu’une bonne partie de la classe politique fasse de lui une sorte de martyr.
Et on ne parle pas ici de simples députés d’arrière-ban en manque de publicité. Le premier ministre Brian Gallant, le ministre responsable des langues officielles Donald Arseneault et le chef de l’opposition (à l’époque) Bruce Fitch avaient tous critiqué vertement l’action de la commissaire aux langues officielles.
N’en doutons pas, la suspension de la technologue en rayons X Annie Berthelot n’attirera pas autant l’attention à l’Assemblée législative. Néanmoins, son dossier est intéressant du fait que contrairement à Wayne Grant et à d’autres cas semblables qui ont défrayé les manchettes, nous parlons ici d’une employée bilingue. Le droit du patient d’être servi dans sa langue n’était nullement menacé. Elle avait d’ailleurs réussi un test d’anglais oral avant d’être embauchée.
Or, après cinq mois en poste, le Moncton Hospital lui a demandé de passer un test d’anglais écrit. Elle l’a échoué, ce qui a mené à sa suspension. D’autres employés ont subi le même sort.
Il ne s’agit pas d’un complot antifrancophone. Preuve que son employeur tient à elle, Annie Berthelot aura l’occasion de passer le test une deuxième fois.
Elle s’interroge toutefois, avec raison, sur ce qui s’est passé pour que l’hôpital modifie soudainement ses exigences et exige de sa part un excellent anglais écrit.
De l’aveu même de Mme Berthelot, elle n’a eu qu’à rédiger un seul rapport écrit depuis son embauche. Elle se demande aussi si les employés anglophones du département doivent subir le même test. En effet, le fait de maîtriser une langue n’est pas gage de savoir l’écrire, même quand il s’agit de sa langue maternelle.
La plupart des mises à pied provoquées pour des raisons linguistiques n’auraient pas eu lieu si l’embauche s’était faite dès le départ en tenant compte des exigences.
L’avocat spécialiste en droits linguistiques Michel Doucet a rappelé dans nos pages que le gouvernement du Nouveau-Brunswick ne précise pas avec détails, lors de l’affichage d’un poste, le niveau de bilinguisme requis.
Par exemple, les offres d’emplois bilingues publiées par le ministère des Ressources humaines du Nouveau-Brunswick indiquent que la connaissance de l’anglais et du français parlé et écrit est nécessaire, sans aller plus de précisions.
À titre comparatif, le gouvernement fédéral mentionne dans ses offres d’emploi si le poste exige un niveau débutant, intermédiaire, avancé ou expert dans chacune des deux langues.
Dans le cas du Moncton Hospital, il est probable qu’une maîtrise de l’anglais écrit a toujours été jugée obligatoire pour les technologues en rayons X. Mais pourquoi diable a-t-il fallu attendre que l’employée soit en poste depuis des mois avant de vérifier ses compétences? Allez savoir. Le Réseau de santé Horizon refuse de commenter les cas personnels, une excuse bien commode quand on n’a pas le goût de justifier une décision controversée.
Cette saga ne fait que démontrer que la désignation linguistique des postes de travail est trop souvent un véritable fouillis au NouveauBrunswick. Nous avons l’impression que l’employeur progresse souvent à tâtons, sans trop savoir quand il doit jouer la ligne dure ou tolérer la faiblesse de son employé dans l’une des deux langues officielles.
Là où le flou règne, il faut plutôt opposer des critères clairs, transparents et connus dès l’ouverture du poste. C’est seulement de cette manière qu’une mésaventure comme celle d’Annie Berthelot pourra être évitée.