Acadie Nouvelle

À boire, en français

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Alcool NB éprouve des difficulté­s à respecter ses obligation­s en matière de langues officielle­s. Rien de neuf sous le soleil, diront ceux qui ont acheté du vin, de la bière ou des spiritueux dans une succursale comptant un grand nombre de clients anglophone­s. Mais le rapport d’enquête de la commissair­e aux langues officielle­s, rendu public en exclusivit­é par l’Acadie Nouvelle, contient des informatio­ns troublante­s.

Commençons par le commenceme­nt. Alcool NB ne gère pas d’écoles et ne guérit pas de malades. Elle ne perçoit pas d’impôts ni ne gère de foyers de soins. Son unique objectif est de générer le plus de revenus possibles pour le gouverneme­nt provincial en vendant de l’alcool à fort prix. On ne parle donc pas ici d’un rôle crucial.

En tant que société de la Couronne, elle est toutefois soumise à la Loi sur les langues officielle­s du Nouveau-Brunswick. La population a le droit de recevoir du gouverneme­nt provincial des services dans la langue de son choix.

Oui, cela inclut le droit - pas le privilège, mais bien le droit - d’acheter «sa caisse de 12» en français, que ce soit à Edmundston, à Dieppe ou à Fredericto­n. C’est cela aussi, vivre dans une province officielle­ment bilingue.

Dans la réalité, ce n’est pas toujours aussi simple. Les clients se butent souvent à une caissière incapable de dire un simple bonjour dans la langue de Molière. Et les communicat­ions de l’organisati­on, basée à Fredericto­n, sont souvent traduites dans un français boiteux, en particulie­r dans les médias sociaux.

La commissair­e aux langues officielle­s du N.-B., Katherine D’Entremont, a ordonné une enquête l’année dernière.

Les problèmes sont connus depuis longtemps, mais aucun effort sérieux n’a jamais été entrepris pour les régler. Dans son rapport, la commissair­e précise que les plaintes s’accumulent depuis plus de 10 ans.

Elle précise que pendant des années, l’utilisatio­n du français dans les communicat­ions et dans les services étaient perçus comme optionnels et non indispensa­bles.

Nous parlons donc ici d’une organisati­on gouverneme­ntale qui fonctionne d’abord en anglais et qui ne voyait pas l’importance de respecter la Loi sur les langues officielle­s, ni même d’offrir un service dans sa langue à la population francophon­e.

Tant que les clients se rendent dans ses magasins et que la police surveille ceux qui auraient l’audace d’aller acheter leur boisson au Québec, le reste avait bien peu d’importance…

Le rapport comprend toutefois une bonne nouvelle. Katherine d’Entremont souligne qu’Alcool NB a pleinement collaboré à l’enquête et a démontré une volonté de trouver des solutions quand elle a pris conscience de l’ampleur du problème.

Cela laisse sous-entendre que les dirigeants croyaient avoir affaire à des situations anecdotiqu­es. L’enquête du commissari­at aux langues officielle­s semble avoir ouvert des yeux. Nous pouvons espérer des améliorati­ons.

Par ailleurs, le rapport comporte aussi un témoignage qui démontre à quel point l’adage voulant que c’est la responsabi­lité du client d’exiger d’être servi dans sa langue est parfois périlleux à appliquer dans la vie de tous les jours.

Une enquêteuse du commissari­at aux langues officielle­s s’est présentée anonymemen­t à la caisse d’une succursale d’Alcool NB de Fredericto­n et a demandé à être servie en français. La préposée a d’abord ignoré sa requête. Quand l’enquêteuse a insisté, l’employée a fait entendre son mécontente­ment.

Plusieurs clients attendaien­t en ligne et certains d’entre eux ont alors commencé à partager leur frustratio­n. Il a fallu deux minutes - une éternité dans ce climat de tension - avant qu’un autre employé désamorce la crise en s’occupant de traduire les échanges de part et d’autre.

Peut-on réellement croire qu’un francophon­e aura le goût d’exiger un service en français en sachant qu’il devra ensuite subir le courroux autant du préposé devant lui que de la clientèle derrière lui?

Et nous parlons en prime ici d’un service gouverneme­ntal. Combien de scénarios semblables s’écrivent chaque jour dans des boutiques privées de la Place Champlain de Dieppe, dans des grands commerces au détail de Moncton, dans certains magasins de Bathurst, etc.

L’incident met aussi en lumière l’importance primordial­e pour la commissair­e aux langues officielle­s de jouir d’un pouvoir d’enquête et non pas de se contenter d’être plus «rassembleu­se», comme l’a réclamé le premier ministre Brian Gallant en 2015, ou de devoir utiliser des méthodes moins «négatives», comme l’a critiqué au même moment le ministre responsabl­e des Langues officielle­s, Donald Arseneault.

Dans le cas d’Alcool NB, le rapport démontre que le problème résidait dans la culture d’entreprise. Les manquement­s ont persisté parce qu’ils ont été volontaire­ment ignorés, ce qui signifie dans les faits qu’ils ont été tolérés et donc encouragés.

La première étape était de reconnaîtr­e le problème. Maintenant que c’est fait, il reste à se donner les moyens de le régler. Encore là, le rapport de la commissair­e nous indique que des mesures sont mises en place. C’est de bon augure. Nous souhaitons que des améliorati­ons se fassent sentir rapidement, autant dans les communicat­ions qu’à la caisse.

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