Acadie Nouvelle

Ces morts d’enfants qu’on préfère oublier

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Au Nouveau-Brunswick, ce ne sont pas tous les enfants qui ont la chance de vivre dans un environnem­ent sécuritair­e avec des parents aimants qui s’occupent bien d’eux. Malheureus­ement, certains tirent le mauvais numéro à la loterie de la vie. Et les conséquenc­es sont catastroph­iques.

La CBC a présenté dans les derniers jours une série de reportages à propos d’un sujet qui rend inconforta­bles bien des gens, soit les morts infantiles au Nouveau-Brunswick. L’enquête a révélé qu’au moins 53 enfants connus des services de protection de l’enfance de la province ont perdu la vie depuis 20 ans dans des circonstan­ces qui ne sont pas naturelles.

Avec des témoignage­s à l’appui, la télévision publique est revenue sur l’histoire tragique de Jackie Brewer, décédé à l’âge de 2 ans en 1996. Ses parents ne lui avaient rien donné à boire pendant six jours. Ils ont rappelé les circonstan­ces du décès en 2004 de Juli-Anna St. Peter, victime de la négligence criminelle de ses parents, ainsi que celle de bébé Russell, poignardé en 2009 par son père dans les minutes qui ont suivi sa naissance.

Des histoires difficiles à entendre, qui mettent les larmes aux yeux et qui sont un rappel que derrière les statistiqu­es se cachent des drames épouvantab­les.

Quand une telle mort survient au NouveauBru­nswick, elle est révisée par le Comité provincial d’examen des décès d’enfants. Celui-ci ne se contente pas de se pencher sur les jeunes garçons ou filles victimes de crimes. Le cas d’un enfant qui meurt dans un accident de la route après que le conducteur ait perdu le contrôle en raison de la chaussée glissante, par exemple, sera porté à l’attention du comité.

Celui-ci rédigera ensuite un rapport qui sera rendu au gouverneme­nt provincial, par le biais du coroner en chef de la province.

Les rapports ne sont jamais rendus publics. Quand il est question de morts d’enfants, le gouverneme­nt du Nouveau-Brunswick privilégie le secret.

Fredericto­n a la responsabi­lité de respecter la vie privée des citoyens et de protéger l’anonymat des personnes d’âge mineur, autant les victimes que les survivants (pour éviter notamment que l’on puisse identifier les petits frères et soeurs).

Cela dit, les lois protégeant la vie privée ont le dos large.

Elles sont bien commodes pour protéger les politicien­s et les dirigeants de sociétés de la Couronne qui n’ont pas le goût de répondre à des questions trop pointues sur des sujets délicats ni de justifier leurs actions (ou inaction).

Il serait possible de dévoiler les conclusion­s d’un rapport d’enquête, après la mort d’une personne d’âge mineure, sans identifier celleci. Surtout que, quand la mort survient à la suite d’un crime, les circonstan­ces sont de toute façon souvent dévoilées dans le détail au cours d’un procès.

Cette règle du secret mécontente le défenseur de la jeunesse. Il est en effet inconcevab­le de constater qu’il n’a pas le droit d’enquêter sur les morts d’enfants. À la CBC, Normand Bossé a réclamé le droit de rendre publiques les recommanda­tions sur le décès de ceux-ci. Et son prédécesse­ur, Bernard Richard, avait dû se battre devant les tribunaux afin de pouvoir consulter le rapport du comité provincial d’examen après la mort de Juli-Anna St. Peter.

M. Bossé (et M. Richard avant lui) ne demande rien de farfelu. D’autres provinces accordent déjà de tels pouvoirs à leurs défenseurs de la jeunesse, sans que cela n’ait fait tomber le système.

En fait, le problème n’en est pas un de respect de la loi ou de la vie privée. Il est plutôt politique.

Les morts d’enfants, en particulie­r lorsqu’elles surviennen­t en raison d’un crime, sont un sujet politiquem­ent très toxique. Il est impossible de prédire comment l’électorat réagirait à la suite d’un rapport qui révélerait, par exemple, que les autorités responsabl­es ont ignoré pendant des mois des signaux d’alarme, et que cela a eu pour conséquenc­e la fin abrupte d’une jeune vie.

Cela ne signifie pas que les gouverneme­nts ne prennent pas cet enjeu à coeur. Le Comité provincial d’examen des décès d’enfants effectue, nous en sommes convaincus, un travail sérieux et responsabl­e. Ses recommanda­tions sont livrées à des personnes de bonne foi et ne dorment pas sur une tablette. Du moins, nous l’espérons.

Mais il n’y a aucun moyen de le savoir avec certitude, pour la simple raison qu’au Nouveau-Brunswick, le gouverneme­nt estime que la population n’a pas à savoir ce genre de choses. Dans quelles circonstan­ces exactes ces 53 enfants recensés par la CBC sont-ils décédés? Leur mort aurait-elle pu être évitée? Les services de protection de l’enfance ont-ils manqué à leur responsabi­lité à l’endroit de ces petits? Ont-ils appris de leurs erreurs? Peuventell­es se répéter? Allez savoir.

Les rapports sur les morts suspectes d’enfants doivent être rendus publics, comme c’est déjà le cas dans d’autres provinces.

Le silence protège les autorités publiques. Pas les enfants.

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