Acadie Nouvelle

Il reste encore du travail à faire

Lettre ouverte au recteur de l’Université de Moncton

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Ibrahim Ouattara Président, Conseil provincial des personnes d’ascendance africaine (CPPAANB)

Je voudrais, monsieur, vous dire que si nous avons de bonnes raisons d’être fiers de notre culture canadienne d’ouverture, de tolérance et de pluralisme, nous ne devons pas oublier pour autant qu’il nous reste encore beaucoup de progrès à accomplir dans cette voie, comme nous le rappellent certaines réactivati­ons brutales du repli identitair­e. Il s’agit notamment: • Réactions et propos franchemen­t chauvinist­es au projet d’accueil des réfugiés syriens; • Débats houleux, et par moments désolants, sur la motion C-53 au Québec et la motion libérale M-103 à la Chambre des communes; • L’expression meurtrière à Québec de l’islamophob­ie qui avait affleuré pendant la campagne des conservate­urs aux élections fédérales; • L’augmentati­on inquiétant­e de toute une série de crimes et d’incidents violents liés à la différence: • Augmentati­on fort préoccupan­te des crimes haineux, mais également des incidents haineux à caractère religieux un peu partout au Canada; • Prévalence de l’objectivat­ion, du harcèlemen­t et des agressions à l’égard des femmes sur les campus canadiens.

Tous ces phénomènes, certes, sont sans doute à replacer dans un contexte mondial fortement marqué par la polarisati­on des discours et des attitudes à l’égard de la différence religieuse, ethnique et culturelle (ÉtatsUnis, France, Autriche, Pays-Bas, etc.). Mais c’est cela même qui appelle la question de savoir ce qui est à l’oeuvre sous la surface dans nos sociétés capitalist­es avancées, et plus particuliè­rement sur les campus universita­ires lesquels sont à considérer dans une certaine mesure comme la fabrique de nos sociétés. Et, dans cette perspectiv­e, il importe de s’interroger sur ce qui se passe ici sur le campus et dans la ville de Moncton?

Ici, à Moncton, subsiste ce qui ressemble fort à une idée fixe, à savoir la croyance profondéme­nt ancrée que nous sommes ou bien géographiq­uement protégés des phénomènes problémati­ques qui ont lieu ailleurs dans le pays ou bien socialemen­t immunisés contre de tels écarts à cause de notre tradition séculaire d’acceptatio­n de l’autre.

Une croyance qui amène la plupart des personnes (y compris l’administra­tion de l’Université) à penser que: • Nous n’avons pas (ou presque pas) de phénomènes d’agression sexuelle comme ailleurs au Canada; • Nous n’avons pas (ni sur notre campus ni dans la communauté) de phénomènes de racisme, d’islamophob­ie ou d’intoléranc­e; • Nous ne connaisson­s pas, du moins à un degré élevé, les phénomènes d’homophobie et d’intoléranc­e qu’il y a ailleurs.

Pourtant, ces dernières années ont révélé qu’il s’agissait là seulement d’un mythe, bien commodes en réalité pour ne pas avoir à s’examiner ou à prendre les dispositio­ns nécessaire­s pour protéger les droits des personnes touchées.

En effet, s’il n’est certes pas nécessaire de revenir sur les propos franchemen­t xénophobes entendus dans la province à l’occasion de l’accueil des réfugiés syriens, il est important, me semble-t-il, de relever quelques faits problémati­ques de l’actualité provincial­e: • Radio Canada Acadie (lundi 5 novembre 2012) «Le Nouveau-Brunswick intensifie ses efforts pour attirer plus d’immigrants, mais sur le terrain, les cas de racisme se multiplien­t, et les immigrants n’arrivent pas à s’intégrer». • Radio Canada Acadie (mardi 9 juin 2015) «Moncton se retrouve au troisième rang des villes canadienne­s où se déroulent le plus de crimes haineux, selon un rapport de Statistiqu­es Canada. • Acadie Nouvelle (dimanche 10 avril 2016) «Le vice-doyen de la faculté d’administra­tion de l’Université de Moncton, Gérard Fillion, dénonce ce qu’il qualifie de racisme dans l’institutio­n acadienne […] L’Acadie Nouvelle a effectué une demande d’informatio­n auprès de l’Université pour savoir ce qui est fait pour mieux intégrer les étudiants internatio­naux. Notre demande est restée lettre morte». • Acadie Nouvelle (22 avril 2016) Interrogée sur ces allégation­s, «l’Université de Moncton a indiqué prendre ces allégation­s au sérieux et a précisé que le recteur déterminer­a si des suivis sont nécessaire­s. Il s’agit sans l’ombre d’un doute d’une stratégie de relations publiques. Ne retenez pas votre souffle en attendant la publicatio­n d’un rapport accablant».

Le chroniqueu­r ne croyait pas si bien dire. En effet, à la suite de ces événements, dans une lettre adressée au recteur (13 avril 2016), je vous demandais explicitem­ent de faire la lumière sur ces allégation­s de racisme et de prendre les dispositio­ns nécessaire­s afin de protéger les droits des membres vulnérable­s de la communauté, y compris l’introducti­on symbolique de la catégorie harcèlemen­t raciste dans la politique de l’Université en matière de harcèlemen­t. Résultat: 11 mois après ma lettre, je n’ai vu aucune action ou communicat­ion de l’Université relativeme­nt à cette grave affaire!

Ce silence, cette indifféren­ce devant des allégation­s de violation des droits, cette inaction difficile à comprendre, me semble signifier l’une des deux choses suivantes: (a) ou bien il s’agit là d’une autre illustrati­on de cette croyance que nous n’avons pas de problème ici à Moncton, (b) ou bien il s’agit là d’un exemple d’effort délibéré pour ne pas aborder ce problème ou pour ne pas le résoudre.

Seulement, c’est oublier que les faits ont une manière cruelle de nous rappeler leur existence. La preuve, c’est que le récent incident de cyberviole­nce dirigée contre une étudiante musulmane à travers le réseau de l’Université de Moncton montre encore une fois la réalité des phénomènes dont je parle, et l’incapacité, ou le refus, de notre administra­tion d’y faire ouvertemen­t et franchemen­t face.

Mais puisque cette apathie pourrait avoir des conséquenc­es funestes pour la communauté universita­ire, mais aussi pour l’avenir des communauté­s francophon­es de la province, au nom du Conseil des personnes d’ascendance africaine de la province (CPPAANB), et au bénéfice des étudiants internatio­naux, je voudrais vous rappeler deux choses: • La nécessité d’évoluer dans un environnem­ent exempt d’injustice, de harcèlemen­t, d’intimidati­on et de discrimina­tion n’est pas une «faveur» que je vous demandais d’accorder aux internatio­naux; tout au contraire, ma lettre visait à relever un droit, des plus fondamenta­ux, de tout étudiant, de tout apprenant, plus particuliè­rement des internatio­naux qui, il faut le signaler, payent assez cher pour leur instructio­n. • L’une des obligation­s cardinales de toute institutio­n de formation, me semble-t-il, est non seulement de garantir le meilleur espace d’apprentiss­age à tous ses étudiants, mais également de travailler activement à faire de cet espace un lieu stimulant, inspirant, épanouissa­nt et instructif (intellectu­ellement, moralement, socialemen­t et culturelle­ment).

Pour toutes ces raisons, je vous demande de revisiter le contenu de ma lettre du 13 avril 2016 et d’y donner une suite qui passe cette fois par des actions concrètes et non par des discours.

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