Acadie Nouvelle

Ta blancheur

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C’est à toi que je pense en ces premiers jours de printemps. Parce que parmi plusieurs, c’est définitive­ment toi que je préfère. Et je voudrais te le dire, alors que l’hiver t’a éprouvé. Lundi dernier, j’étais aux premières loges du spectacle que tu as donné avec ta famille dans la piste de ski de fond. On aurait dit que vous vous étiez passé le mot pour saluer l’arrivée du printemps.

Le verglas t’a amené jusqu’à terre. Pourtant, j’ai vu en toi toute la résilience du monde. Tu acceptes de marcher courbé, la tête haute, au lieu de déclarer forfait. Tu sais bien que si du dehors tu sembles affaibli, la vie prend sa revanche à partir de tes racines jusqu’au bout de tes doigts: dans quelques semaines, tu vas nous montrer ce dont tu es capable.

Toi le bouleau blanc, tu n’as pas la noblesse des chênes ni la hauteur des pins, mais dans mon palmarès à moi, tu es en tête de liste. Mon père aussi t’avait choisi: il avait planté un membre de ta famille sur le parterre devant la maison. Chaque printemps, soigneusem­ent, il prenait plaisir à te donner une forme sphérique. Puisque ta croissance est lente, son plaisir a duré jusqu’à sa mort.

Toi, tu lui as survécu. Côté longévité, toi et ta famille avez une longueur d’avance sur nous! Si vous pouviez nous raconter ce dont vous avez été témoin, à combien d’histoires pourrions-nous avoir accès? Parce que vous en avez vu passer des défilés sous votre ombre. Et vous en avez vu grimper des enfants dans vos branches.

À ce temps de l’année, on n’en a que pour les érables. Ces derniers pleurent de joie en voyant arriver le printemps; leurs larmes ont un goût de sucre qui réjouit nos papilles. On pourrait t’entailler, je suppose… mais ta saveur ne va pas au pied de la sève de l’érable. À l’automne, c’est encore vers lui, l’érable, qu’on se tourne. Impossible que tu rivalises avec ses couleurs flamboyant­es.

Mais qu’est-ce qui te rend unique? D’où me vient cet amour que j’éprouve pour toi?

J’ai un faible pour ton écorce. Voilà ce qui te rend unique. Au commenceme­nt, les autochtone­s s’en servaient pour fabriquer leurs canots. Je n’ai pas ce talent. La seule utilité que j’ai trouvée à ton écorce, c’était pour allumer le feu de camp au bord de la rivière.

La couleur de ton écorce. Voilà ce que j’aime tant. Les rayons lumineux du grand astre du jour sont resplendis­sants lorsqu’ils se jettent sur toi.

Même le petit astre qui règne sur la nuit réussit à te faire briller les soirs de plénitude.

Et tu n’enlèves jamais la robe blanche des grandes occasions. Tu es toujours en robe de mariée! Pour nous dire que chaque jour est une fête! Que tout être vivant est en alliance. Ta blancheur est immaculée. Rien ne semble te noircir pour te faire disparaîtr­e. Pas même les grands feux… après lesquels tu es le premier à montrer le bout du nez pour renaître.

Cette chorégraph­ie avec les lambeaux d’écorce qui se détachaien­t de vos troncs était sublime. Vous avez eu l’aide du vent, mais il n’avait pas à souffler fort pour faire danser ces milliers de fanions multiforme­s. Bravo!

Tu acceptes de laisser aller ces morceaux de chair pour grandir et aller de l’avant. Ce n’est pas aussi prodigieux que la mue du serpent. Tes pertes discrètes et silencieus­es m’apprennent que dans la vie, il n’y a pas que les changement­s drastiques qui transforme­nt. Laisser aller un peu de son écorce, jour après jour, est la sagesse de ta nature.

Dans quelques semaines, tu vas t’éclater. Je devine la vie qui grandit en toi et que tu peines à contenir. Un jour, bientôt, tu ne pourras plus retenir cette puissance qui gonfle chaque extrémité de tes branches. Le temps de la gestation sera terminé. L’hiver sera fini. Les bourgeons vont pointer. Les feuilles vont se montrer le bout du nez.

Tes feuilles! Elles aussi je les aime. Plus que celles des autres arbres. Elle sont petites et font honneur au moindre souffle de vent. Elles fourniront un abri aux oiseaux et de l’ombre à plusieurs. Et au terme de leur courte vie, elles prendront la couleur de leur âge pour nous révéler leur valeur: celle de l’or!

Pour les Autochtone­s, tu es un arbre sacré. Pour les Celtes, tu représente­s la sagesse. Pour de nombreux peuples slaves, tu es synonyme du mois de mars et du retour du printemps. Pour Boucar, tu es celui qui l’a inculturé à notre culture. Pour moi, tu es tout cela… et encore plus!

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Personne n’avait interdit de prendre des photos lors du grand spectacle. Voici donc ce que j’ai photograph­ié lundi pour célébrer l’arrivée du printemps. – Serge Comeau
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scomo@nbnet.nb.ca

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