Acadie Nouvelle

Changer le message et le messager

-

Nos politicien­s reviennent aujourd’hui de trois semaines de congé de l’Assemblée législativ­e. Pour les libéraux embourbés dans la pire crise politique depuis leur retour au pouvoir en 2014, cette pause ne pouvait pas mieux tomber.

La crise des évaluation­s foncières dure depuis maintenant un mois et demi. Résumons le dossier le plus simplement possible.

À la mi-mars, le gouverneme­nt provincial a reconnu que la facture de taxes foncières de 2400 propriétai­res néo-brunswicko­is contient des erreurs. Le ministre Serge Rousselle est envoyé au front et affirme que «2400 erreurs, c’est beaucoup trop».

Deux semaines plus tard, CBC obtient la copie d’un courriel qui prouve que Service NB a en fait truqué les évaluation­s foncières en inventant des rénovation­s fictives pour justifier les hausses. Celles-ci ont été calculées à l’aide d’une nouvelle méthode aérienne d’évaluation­s: la pictométri­e.

Le 3 avril, Brian Gallant s’excuse pour le fiasco en conférence de presse et annonce une série de mesures, y compris l’embauche d’un ancien juge qui devra faire la lumière sur le dossier. Il jette aussi le blâme sur Service NB et annonce qu’une nouvelle agence s’occupera dorénavant d’effectuer les évaluation­s foncières. «Les gens du Nouveau-Brunswick méritent mieux», confie le premier ministre.

Enfin, un porte-parole du bureau du premier ministre affirme que son chef n’a pas fait pression pour accélérer la mise en oeuvre de la pictométri­e. Ses propos sont rapidement contredits par un courriel qui laisse croire que Brian Gallant lui-même a demandé l’accélérati­on du processus, lequel est réputé permettre de gonfler les revenus gouverneme­ntaux.

Le gouverneme­nt n’a jamais su comment gérer ces révélation­s. Chaque élément nouveau lui est tombé dessus comme une brique.

À certains moments, tous les ministres se voyaient imposer une consigne du silence. Parfois, on envoyait plutôt le ministre Rousselle au front. Et trop souvent, c’est le premier ministre qui était pris à se justifier, en particulie­r depuis que le chef de l’opposition Blaine Higgs a commencé à le comparer à Richard Nixon (le président déchu à la suite du Watergate) et à exiger sa démission.

Rien ne démontre pourtant que M. Gallant ait lui-même su que Service NB truquait les évaluation­s foncières. Les plus récentes révélation­s rapprochen­t toutefois son bureau dangereuse­ment près de l’épicentre de la crise. Cela met à mal l’image de M. Gallant, qui est normalemen­t le meilleur vendeur de son gouverneme­nt.

Le problème du chef libéral est qu’il s’est mal entouré. Son ministre responsabl­e de Service NB n’a pas sa confiance. Ed Doherty est avant tout un ministre régional, c’est-à-dire qu’il a été nommé à ce poste avant tout afin d’assurer un siège supplément­aire au Cabinet à la région de Saint-Jean.

D’ailleurs, depuis le début du mandat, Ed Doherty a toujours été protégé. On ne l’entend que très peu à l’Assemblée législativ­e et on lui accorde rarement la permission de parler aux journalist­es (à peu près jamais sur les dossiers sensibles).

Aussitôt que le scandale a éclaté, Brian Gallant aurait dû réagir en rétrograda­nt le ministre qui a laissé la crise naître sous son nez.

Peut-être dans un souci de protéger les apparences, il l’a plutôt laissé en poste. Il a confié la mission de répondre aux attaques de l’opposition au ministre Serge Rousselle, qui n’avait pourtant rien à avoir avec le scandale et qui n’aura pas à mettre en oeuvre (à moins qu’on ne modifie ses responsabi­lités) les changement­s nécessaire­s chez Service NB.

Brian Gallant a aussi fait l’erreur de se mettre le bras profondéme­nt dans le broyeur. C’est lui qui a mené la conférence de presse du 3 avril après que le scandale a pour la première fois été rendu public et qui a offert ses excuses à la population.

Plus récemment, il a réagi plus que maladroite­ment en refusant de confirmer ou d’infirmer les informatio­ns contenues dans le courriel compromett­ant à son égard, préférant s’en remettre à l’enquête qu’il a ordonnée.

Le gouverneme­nt libéral vit une crise de confiance avec la population. Après une courte accalmie, la tempête reprendra avec le retour de périodes de questions à la législatur­e qui seront presque uniquement consacrées au scandale.

Le premier ministre a suffisamme­nt perdu de capital politique. Il doit remanier son Cabinet, nommer un ministre plus solide pour gérer cette crise et l’envoyer quotidienn­ement au front. Pas pour répéter la ligne officielle de Fredericto­n («pas de commentair­e tant que les résultats de l’enquête ne seront pas connus plus tard cet été»). Mais plutôt pour démontrer que le gouverneme­nt a le dossier en main, qu’il ne cache rien et qu’on peut lui faire confiance pour réparer le système.

Ed Doherty est incapable de faire ce travail. Brian Gallant n’a pas le luxe de perdre davantage de crédibilit­é. Il est temps de limiter les dégâts avant qu’il ne soit trop tard, en nommant officielle­ment Serge Rousselle, Roger Melanson ou un autre politicien crédible responsabl­e de la réforme du système d’évaluation­s foncières de la province.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada