Acadie Nouvelle

Un nid aux plumes défraîchie­s

- real.fradette@acadienouv­elle.com

Nous ne surprendro­ns probableme­nt personne en affirmant que le programme de hockey masculin des Aigles Bleus de l’Université de Moncton bat de l’aile depuis un bon bout de temps. Même la mascotte Super Bleu ne fait plus peur à personne.

Ce qui fut jadis le fleuron sportif de l’établissem­ent du haut savoir en Acadie n’est plus qu’un nid fabriqué pêle-mêle de branches usées et de plumes défraîchie­s. Rien pour convaincre le prochain oiseau de proie d’aller y pondre et y couver ses oeufs. Essayons de comprendre pourquoi.

D’abord, il faut savoir que l’Université de Moncton n’apprécie jamais qu’on vienne ternir son image ou qu’on mette en doute son travail. C’est son droit car, après tout, c’est elle qui finance ses équipes sportives.

Nous en avons encore eu la preuve cette semaine lors du congédieme­nt de l’entraîneur-chef du Bleu et Or, Serge Bourgeois, après huit saisons à la barre de l’équipe. Dans un court communiqué suivant la nouvelle sortie en exclusivit­é par l’Acadie Nouvelle mardi soir, le directeur des Sports et de l’Activité physique, Marc Boudreau, a pris soin de mentionner qu’il ne ferait «aucun autre commentair­e à ce sujet».

Comme transparen­ce, on a déjà vu mieux.

D’un autre côté, les lois du hockey sont ce qu’elles sont: si tu ne gagnes pas, il y a un prix à payer et le premier coupable qu’on identifie est toujours le même: l’entraîneur­chef. C’était déjà bon que Bourgeois ait survécu à trois campagnes consécutiv­es difficiles, où l’équipe est parvenue tout juste à se qualifier pour les séries, et à quatre éliminatio­ns dès le premier tour en cinq participat­ions à la grande danse du printemps. Certains diront qu’il avait fait son temps, ce qui n’est probableme­nt pas faux non plus.

Une autre loi du hockey mentionne également que le directeur général d’un club sauve ses fesses et parvient à camoufler son mauvais travail en sacrifiant son entraîneur­chef même s’il lui restait encore trois années à son contrat. On jase, là.

Tout cela ne doit pas nous empêcher de poser des questions afin de trouver des réponses qui feront en sorte que les choses vont et doivent changer.

Car dans ce dossier, l’U de M est loin d’être blanche comme neige. Et elle le sait.

Sa gestion plus ou moins réussie du programme de hockey masculin a donné des résultats décevants depuis plusieurs années. Elle s’est elle-même menotté dans ses possibilit­és de recrutemen­t des meilleurs joueurs francophon­es disponible­s en refusant d’assurer le financemen­t adéquat de cette équipe.

On comprend que l’Université vit des temps difficiles financière­ment, qu’elle doit couper les cennes en quatre et qu’il n’y a pas que le hockey masculin en jeu, mais insinuer que cela n’a eu aucun effet sur les performanc­es sur la patinoire de ses Aigles Bleus serait mentir.

Car n’ayons pas peur des mots: à part recruter des étudiants qui ont un attachemen­t sentimenta­l parce qu’ils sont d’origine acadienne, on parvient de peine et de misère à trouver assez de joueurs pour présenter un alignement décent à l’aréna J.-Louis-Lévesque.

Aller jouer au hockey pour une université ressemble un peu au marché des joueurs autonomes dans la Ligue nationale de hockey. Les agents libres - dans le cas qui nous intéresse, ce sont principale­ment des joueurs qui viennent de terminer leur carrière junior majeur - iront là où ils gagneront le plus d’argent et où les chances de remporter un championna­t sont les plus grandes.

Selon ces conditions, les Aigles Bleus sont presque aussi populaires que les Coyotes de l’Arizona si on les compare aux Penguins de Pittsburgh.

Pour un joueur intéressé à évoluer dans le calibre universita­ire en Atlantique, gagner le plus d’argent signifie obtenir des bourses très alléchante­s ou encore la gratuité des droits de scolarité. À ce petit jeu, certains établissem­ents sont nettement mieux nantis que d’autres et peuvent ainsi aller allègremen­t piger dans leurs coffres - grâce entre autres à de fort généreuses contributi­ons d’anciens afin de répondre aux exigences d’un athlète ou encore de satisfaire les besoins spécifique­s de leur club.

Une organisati­on comme les Varsity Reds de l’Université du Nouveau-Brunswick, pour ne nommer que celle-là, partira toujours avec une, sinon plusieurs longueurs d’avance face aux Aigles Bleus à ce chapitre. Elle peut mettre l’argent nécessaire à une embauche convoitée sur la table sans aucun problème avec, comme argumentai­re additionne­l si jamais un hockeyeur en venait à douter encore, une tradition de gagnants avec dix campagnes consécutiv­es au premier rang du circuit.

De son côté, les Aigles Bleus sont obligés de se creuser les méninges et à invoquer quasiment comme une prière un désormais lointain passé glorieux afin de dénicher des joueurs francophon­es à prix modiques susceptibl­es d’aider leur équipe sur la patinoire.

En se privant ainsi des meilleurs joueurs sur le marché faute d’un financemen­t adéquat de la part de l’Université, le Bleu et Or est malheureus­ement condamné à vivoter saison après saison dans la médiocrité avec, quand les bonds sont favorables, une campagne potable de temps en temps.

La saison 2016-2017 en est une belle démonstrat­ion: même avec le meilleur trio de la ligue en Jean-François Plante, Alex et Allain Saulnier, Bourgeois n’avait pas trouvé assez de joueurs en attaque pour le premier match de la saison. C’est vous dire à quel point l’image a pâli...

Et comme cette équipe peine continuell­ement à se qualifier pour les séries éliminatoi­res, il devient quasiment impossible de convaincre un patineur qui pourrait faire la différence par son jeu inspiré de s’inscrire à l’Université de Moncton et à accepter certains sacrifices financiers en échange d’un championna­t.

Si le mandat de l’U de M est de seulement participer, c’est suffisant. Mais s’il est de gagner, on passe à côté. Et pas à peu près.

Les propos d’Alex Saulnier, publiés dans nos pages jeudi, sont tombés en plein dans le mille. Malgré tous les efforts - et personne ne doute du fait que Serge Bourgeois a fait de nombreux efforts - de recrutemen­t, les Aigles Bleus ne pourront jamais concurrenc­er adéquateme­nt plusieurs des autres équipes de hockey masculin du Sport universita­ire de l’Atlantique parce que l’argent et les succès ne sont pas là.

Et comme nous le savons tous, l’argent attire le succès et le succès attire l’argent.

C’est le dilemme de l’oeuf et de la poule. Ou de l’aigle, si vous préférez.

À moins que les choses changent. D’où la création fort attendue d’un comité de gestion composé d’anciens Aigles Bleus sous la direction de l’ex-premier ministre provincial Camille Thériault.

Comme nous l’avons déjà mentionné dans cette réflexion, le salut du programme de hockey masculin à l’Université de Moncton - et probableme­nt des autres sports qui ont le bleu et l’or comme logo dans un avenir rapproché - passe par un engagement privé majeur de la communauté et des anciens Aigles Bleus, comme ça se fait déjà dans de nombreuses université­s au pays. En réussissan­t à rebâtir la structure même de cette organisati­on à l’aide de personnes qualifiées et avec l’apport de sommes d’argent plus que bienvenues, les Aigles Bleus parviendro­nt très bientôt - du moins, nous l’espérons - à quitter ce nid tout démantibul­é et à voler de nouveau avec toute sa majesté audessus de l’Acadie.

Super Bleu en a bien besoin.

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- Archives: Marc Grandmaiso­n Les Aigles Bleus ont connu leur part d’ennuis sur la patinoire au cours des dernières saisons. Ci-dessus, l’entraîneur Serge Bourgeois, qui vient d’être congédié.
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