Ces idées venues du froid
Il y eut un temps où les Territoires du Nord-Ouest et la Terre de Rupert englobaient les Prairies et une partie du Labrador. Il y eut aussi un temps où la langue française aurait dû avoir plein droit de cité sur cet immense territoire puisque des garantie
Il aurait suffi que l’on respecte les textes constitutifs de ces deux contrées pour que le français s’y déploie comme les splendides aurores boréales qui dansent dans le ciel sous ces latitudes nordiques. Pourquoi ne pas rêver un peu? Le Manitoba, la Saskatchewan, l’Alberta, le Nunavut et même Terre-Neuve-et-Labrador auraient été officiellement bilingues.
Hélas, ces textes sont tombés dans l’oubli. La poussière a enseveli tous les avantages qu’ils promettaient aux francophones. Les dispositions de la constitution d’origine des Territoires, qui faisaient du français une langue législative au même titre que l’anglais, n’imposent rien à personne. La Cour Suprême l’a déjà confirmé, et ce, deux fois plutôt qu’une.
La première, au cours des années 1980 dans l’affaire Mercure, puis tout récemment, avec l’affaire Caron.
Dans ces deux renvois, on invoquait ces textes datant de la création du Canada pour revendiquer la place du français dans le domaine législatif. L’effort fut vain. Toutes les provinces qui ont adopté les lois des TNO et de la Terre de Rupert lors de leur entrée au Canada ont acquis le droit d’en faire ce qu’elles veulent. Et c’est ce qu’elles ont fait.
Manifestement, personne ne veut laisser au français la place convenue au 19e siècle.
Si je rappelle ce petit bout d’histoire, c’est parce que le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest (TNO) va peutêtre continuer dans la voie délétère de l’oubli, celle que l’on a suivie depuis la Confédération.
Comme au fédéral et au Nouveau-Brunswick, de même qu’en Ontario, les TNO ont un chien de garde pour protéger le bilinguisme: un Commissaire aux langues officielles. En plus, les TNO sont dotés de conseils linguistiques, un pour la langue française et l’autre pour les langues autochtones. L’idée qui circule à leur sujet n’a rien de rassurant. Le poste de commissaire serait aboli et les deux conseils linguistiques, amalgamés.
On songe à «réécrire la LLO pour s’éloigner du modèle législatif fédéral qui ne correspond pas aux réalités démographiques, socio-géographiques et politiques des TNO», rapporte le journaliste Baptiste Foisy dans L’Aquilon, le journal des Franco-Ténois.
Dommage… Le modèle fédéral que le Nouveau-Brunswick a calqué est le seul qui se veut égalitaire. Pas la peine de scruter les autres à la loupe pour voir que l’égalité linguistique n’est pas un idéal partagé ailleurs au pays.
Ce serait là un recul pour la francophonie. Cela dit, je lance une idée comme ça…
Les Territoires du Nord-Ouest n’ont pas le statut constitutionnel des provinces. Cela signifie que leur autorité en matière de juridiction relève du fédéral. Elle n’est pas écrite dans la Constitution comme c’est le cas pour les provinces. En d’autres mots, Ottawa pourrait se mêler des affaires des Territoires, sans agir contre la constitution.
Pourquoi ne pas se servir de cette liberté pour mettre le holà et donner au modèle fédéral la plus grande portée possible sur tout le territoire canadien ?
Ce serait formidable tout autant que peut l’être un rêve, celui par exemple que j’évoquais plus haut… Voir la langue française danser avec l’élégance et la grandeur des aurores boréales. Mais un rêve reste un rêve.
Je rêvais de voir ces splendeurs célestes lors d’une visite aux confins de notre taïga, près du Grand Lac des Esclaves. Malheureusement, j’étais trop près de novembre. La grisaille d’un ciel d’automne m’en a privé.
Je ne peux m’empêcher de voir dans ces nuages l’humeur qui anime le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest en ce moment…
De souche acadienne, Réjean Paulin a parcouru la francophonie tout au long de sa carrière de journaliste. Il a aussi vécu en France, au Québec et dans l’Ouest canadien avant de s’établir à Ottawa où il est professeur en journalisme au collège La Cité.