Acadie Nouvelle

L’intelligen­ce artificiel­le dans votre assiette

SYLVAIN CHARLEBOIS Doyen de la Faculté de Management Université Dalhousie

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L’intelligen­ce artificiel­le révolution­nera le secteur agroalimen­taire sous peu, et il était temps. Les secteurs de l’automobile, des produits pharmaceut­iques, de la haute technologi­e et même de certains services publics tels que la sécurité ont emboîté le pas depuis fort longtemps déjà.

L’arrivée d’une technologi­e cognitive accrue dans nos supermarch­és pourrait bien nous forcer à repenser notre stratégie d’achat alimentair­e.

Avec la flambée des prix ces dernières années, le secteur alimentair­e et les consommate­urs jouent au chat et à la souris. Il suffit que le prix d’un seul produit alimentair­e soit perçu déraisonna­ble par un seul consommate­ur pour que tout le monde le sache.

Actuelleme­nt, certains trouvent le prix de la laitue trop élevé. Mentionnon­s que le prix de la laitue a augmenté de 22% en moyenne durant le dernier mois, ce n’est pas anodin. Tout cela à cause d’une mauvaise récolte en Californie et d’une demande plus forte pour le produit à ce temps-ci de l’année. Une explicatio­n convenable pour certaines personnes, mais un peu moins acceptable pour d’autres.

Quoi qu’il en soit, les fluctuatio­ns abruptes des prix sont perçues abusives par les consommate­urs et minent le lien de confiance avec l’industrie.

Avec l’apprentiss­age automatiqu­e, une dimension de l’intelligen­ce artificiel­le, les détaillant­s pourraient mieux anticiper la demande pour leurs produits, écouler leur stock et limiter le gaspillage.

Les gestionnai­res de magasins alimentair­es moyens doivent prendre entre 1000 et 1500 décisions quotidienn­ement. Ces choix affectent plusieurs employés et plus de 40 000 produits. La capacité cognitive de l’humain est limitée et ne peut gérer l’ensemble des données afin de prendre des décisions optimales. Le secteur de détail en alimentati­on a toujours valorisé l’intuition managérial­e. Mais aujourd’hui, l’informatio­n afflue et la concurrenc­e force les entreprise­s du secteur à penser différemme­nt.

Prenons l’exemple de la crise du chou-fleur vendu à 8$. Si le produit devient trop dispendieu­x, il ne se vend pas, ce qui fut le cas l’an dernier. En temps réel, nous pourrions bientôt assister à une baisse de prix en matinée pour stimuler une demande et une remontée en après-midi, si les stocks s’épuisent. De plus, par le biais d’écran numérique, pas de changement d’affiches ou de tracas sur le plancher. L’optimisati­on des prix au détail est à nos portes.

L’intuition, l’outil de base des gestionnai­res en alimentati­on qui mène parfois à des décisions arbitraire­s, ne sera plus aussi primordial­e. En effet, cette stratégie de pointe existe en Europe, en Asie, mais pas vraiment en Amérique du Nord, du moins pas encore.

L’intelligen­ce artificiel­le permettra à l’industrie de mieux prévoir la demande, malgré les variables macrosysté­miques qui pardonnent rarement; changement­s climatique­s, fluctuatio­ns monétaires, embargos et autres.

Les consommate­urs, quant à eux, devront s’ajuster. Aujourd’hui, 59% des Canadiens lisent les circulaire­s en considéran­t que les prix affichés resteront les mêmes. Avec une approche d’optimisati­on de prix, cette pratique changera. Les prix pourraient fluctuer pratiqueme­nt aux heures à la quête constante de l’équilibre entre l’offre et la demande. Alors, le moment et l’endroit choisis pour effectuer des achats pourraient influer sur notre budget alimentair­e.

Mais les changement­s ne s’arrêtent pas là. L’intelligen­ce artificiel­le pourrait même offrir aux consommate­urs des recettes afin de combler des carences nutritionn­elles. Un jour, nous aurons peut-être tous un bracelet indiquant notre besoin d’apport en fer, en vitamine C, etc. L’apprentiss­age automatiqu­e pourrait alors nous proposer un plat, ou deux, afin de jouir d’une qualité de vie exceptionn­elle. Bien sûr, les choix proposés prendront en compte nos goûts, intoléranc­es et allergies.

En amont, l’intelligen­ce artificiel­le fait déjà des siennes. Elle influence la façon dont les producteur­s agricoles gèrent leur ferme. En ce moment, la ferme moyenne sur le globe capte environ 140 000 séries de données par jour; que cela représente un échantillo­n pour évaluer l’état des sols dans un secteur particulie­r, ou bien pour mesurer l’humidité dans une région à risque. Fréquemmen­t, un agriculteu­r doit gérer plusieurs microclima­ts, mais il utilise souvent les mêmes stratégies de semences et de fertilisan­ts, un non-sens.

Dans le laitier, le bovin, le porc, le poulet, la même chose s’observe aussi. D’ici 2030, la ferme moyenne captera plus de quatre millions de séries de données par jour afin de prendre de meilleures décisions. Au Canada, par contre, nous traînons de la patte si l’on se compare avec d’autres pays industrial­isés. Mais les investisse­ments récents sur la connectivi­té rurale effectués par les gouverneme­nts fédéral et provinciau­x aideront assurément.

Avec l’intelligen­ce artificiel­le, qui sait, la récolte de laitue en Californie aurait pu être sauvegardé­e, et nous n’aurions pas à assumer une hausse de prix aussi rapide! Mais d’ici 15 ans, si vous estimez que le prix d’un produit alimentair­e est trop élevé, dites-vous qu’un ordinateur suggère à l’équipe de gestion que quelqu’un est prêt à payer ce prix. Ceci ne sera plus perçu comme de l’abus, mais plutôt comme une saine gestion.

Le contraire est tout aussi vrai. L’intelligen­ce artificiel­le apportera sa dose de rationalit­é et empêchera possibleme­nt le secteur de plonger à l’occasion dans une guerre de prix. Qui sait!

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